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15 janvier 2019 2 15 /01 /janvier /2019 12:49
TAMERLAN

 

Version française – TAMERLAN – Marco Valdo M.I. - 2019

Chanson allemande – Mir ist heut’ so nach TamerlanKurt Tucholsky – 1922

 

Texte de Kurt Tucholsky, sous le pseudonyme de Theobald Tiger.

Musique de Rudolf Nelson (1878-1960), Allemand, compositeur et imprésario de cabaret.

Texte trouvé sur Mudcat Café, dans la base de données musicale allemande

Chanté à l’origine par Fritzi Massary (1882-1969), une actrice et compositrice autrichienne. Récemment repris par Ute Lemper dans son album "Berlin Cabaret Songs" de 1996.

 

 

Petit Tamerlan illustré

 

 

 

Le cabaret berlinois à l’époque de Weimar n’avait rien à envier au cabaret parisien, et la vie sociale étincelante et, surtout, la vie nocturne étaient absolument comparables. Kurt Tucholsky, correspondant à Paris du journal « Die Weltbühne », a respiré ces deux incroyables airs de liberté débridée et est devenu l’un des plus importants auteurs de pièces pour cabaret. Mais déjà au début des années vingt, Tucholsky a commencé à respirer un autre air, cette fois-ci méphitique et malade, qui était apprécié par les castes politiques, financières et militaires, mais aussi par beaucoup de gens ordinaires, celui du désir d’un retour à l’homme fort – le Tamerlan de la chanson – qui allait ramener l’Allemagne à son ancienne splendeur impériale. C’est peut-être pour cela que le grand Tucholsky, habitué à l’air frais et libre, après l’avènement du nazisme ne put plus respirer. Amoureux de la beauté, juif et anti-autoritaire, ennemi juré de tout nationalisme guerrier, Tucholsky s’enfuit en Suède et s’y suicida en 1935.

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Quoi ? Que vient faire Tamerlan dans un cabaret berlinois d’il y a presque cent ans ?, demande Lucien l’âne.

 

Tout réfléchi, dit Marco Valdo M.I., je peux te l’expliquer. Mais pour cela, il faut mieux connaître Kurt Tucholsky et sa manière de procéder et doublement : dans la création poétique, littéraire, politique et dans la vie, particulièrement dans ses relations avec les femmes. Pour cette chanson, il convient de se souvenir qu’il s’agit d’une chanson de cabaret, ce qui implique une forte dose d’acide comique, mêlé d’acide ironique et d’acide humourique. On doit donc se figurer un cabaret de l’époque, t’en souviens-tu ? Mettons l’Ange bleu tel qu’il apparaît dans le film de Sternberg.

 

Certainement, Marco Valdo M.I., ces cabarets étaient des lieux où on pouvait passer la soirée ou même la nuit, où on mangeait (mais pas dans tous), où on buvait (dans tous), on consommait diverses substances (partout, mais pas tous), où il y avait une piste de danse (mais pas dans tous) et où des artistes se produisaient – du musicien à la stripteaseuse en passant par le magicien, le danseur, la chanteuse, etc. L’éclairage – sauf sur l’artiste – y était généralement tamisé. Il y avait là toute une atmosphère de complicité, d’alcôve, d’alcool ; une fausse réalité alimentée par une intimité factice.

 

Donc, Lucien l’âne mon ami, imagine la chose. On est dans un cabaret et c’est une dame qui chante Tamerlan. Sa chanson relate la conversation qu’elle tient avec son compagnon quand elle est assise avec lui à une table dans la salle du cabaret comme une de ces multiples jeunes femmes rêveuses. Et de fait, elle rêve, elle rumine, elle calcule aussi ; son imagination voyage entre le songe et la réalité, entre ses illusions de jeune femme et la réalité qui l’attend au sortir du fantasme. Bref, elle est à la recherche du prince charmant, de l’homme fort à séduire qui lui assurera un bel avenir. Son compagnon de soirée est Tucholsky lui-même qui fait écho à leurs chuchotements.

 

Tucholsky, dit Lucien l’âne, mais il n’a jamais rien eu d’un Tamerlan, même si c’était un séducteur assidu.

 

Oh, je le sais, Lucien l’âne mon ami, je l’ai d’ailleurs décrit en action dans une chanson intitulée « Mademoiselle Ilse », où on retrouve cette même atmosphère berlinoise des années de Weimar, la même qu’on peut reconnaître dans le Fabian. Die Geschichte eines Moralisten (Fabian, l’histoire d’un moraliste) d’Erich Kästner, publié en 1931. La version originale intégrale, qui devait s’intituler Der Gang vor die Hunde (Le couloir pour le chien), n’a été publiée qu’en 2013 et en 2016 en français sous le titre significatif (pour décrire cette époque et la nôtre) : « Vers l’Abîme ».

 

Donc, Lucien l’âne, retiens que cette chanson est un aparté entre deux personnes au cabaret et tout comme dans Mademoiselle Ilse, Kurt Tucholsky se met en scène dans son costume de séducteur, c’est le pseudo-Tamerlan avec qui la dame s’entretient. Écoute-le dire en conclusion en s’appliquant à lui-même cette ironie cinglante et lucide :

 

Aujourd’hui, je suis fort comme Tamerlan !

Un petit peu Tamerlan, ce serait épatant.

Ce n’est pas pour toi et moi,

Ils ont tous un grain !

Ne pleure pas pour rien,

Il n’y en a plus maintenant

Comme Tamerlan.

 

Reste maintenant à voir le côté prophétique de la chanson, car la chanson (plus exactement, l’auteur de la chanson) a souvent joué le rôle périlleux de Cassandre. En l’occurrence, ce sera le cas. Sortant du néant avant de la créer et d’y retourner, Tamerlan reviendra sur la scène du monde et sur son passage, l’herbe disparaîtra. L’humanité aussi, d’ailleurs.

 

Il me semble, dit Lucien l’âne, que si cette chanson résonne tant à nos oreilles, c’est qu’elle trouve à nouveau écho dans notre temps. Je vois partout des apprentis Tamerlan. Enfin, en voilà assez pour cette chanson ; tissons le linceul de ce vieux monde de ce vieux monde déliquescent, tourmenté, crétin, fantasmatique et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.

 

 

 

Tamerlan le duc des Kirghizes était

Et tout le monde savait en Asie

Que quand Tamerlan traversait les vertes prairies,

Où il marchait, l’herbe ne repoussait jamais.

Et que toutes les femmes craignaient son arrivée,

Car quand les villes tombaient, tombaient les filles.

Il était toujours prêt pour une lutte acharnée,

C’était le bon temps en Asie !

 

Aujourd’hui, je suis fort comme Tamerlan !

Un petit peu Tamerlan serait mieux.

Ce serait quand même embarrassant,

Ça fait rire, ça me gêne un peu.

Je pense que quelque chose va arriver,

Cette nuit, quelque chose va se passer.

 

Aujourd’hui, je suis fort comme Tamerlan !

Ce serait bien un petit peu Tamerlan.

Et dans le public, le fluide, je le sens

Serpenter comme le courant.

Oh Monsieur, allez-vous-en,

Il n’y a place ici à présent

Que pour Tamerlan.

Tamerlan, ma chère enfant, oui, du gâteau !

Être comme Tamerlan, ce serait très beau.

Un Tamerlan, elle peut chercher longtemps,

Dans ce trafiquant de devises ventripotent

Et quand une femme embrasse un gros chauve

On sait que c’est pour du vent.

Elle cherche en vain son Tamerlan,

Redescends sur terre, regarde-le !

 

Ici, on ne trouve pas de Tamerlan,

Ce serait bien un petit Tamerlan.

Je vais regarder les hommes ici, ohlala,

Il n’y a pas de Tamerlan là !

Aujourd’hui, je suis fort comme Tamerlan !

Un petit peu Tamerlan, ce serait épatant.

Ce n’est pas pour toi et moi,

Ils ont tous un grain !

Ne pleure pas pour rien,

Il n’y en a plus maintenant

Comme Tamerlan.

 

TAMERLAN
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Published by Marco Valdo M.I.
13 janvier 2019 7 13 /01 /janvier /2019 20:42

 

Les Araignées rouges

 

Lettre de prison 3

Canzone léviane – Les Araignées rouges – Marco Valdo M.I. – 2018

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

Vois-tu, Lucien l’âne mon ami, il faut toujours garder à l’esprit le temps, non pas le temps qu’il fait, mais bien ce temps qui est et qui passe obstinément. Par exemple, il ne faudrait pas oublier que ces chansons de prison sont le reflet de lettres de prison qui ont été écrites il y a plus de quatre-vingts ans.

 

Certes, dit Lucien l’âne, quatre-vingt-cinq ans, c’est plus de quatre cinquièmes d’un siècle ; c’est un fameux bout de temps, l’équivalent d’une vie humaine actuelle. Soit, mais pourquoi dis-tu ça maintenant ?

 

Tout simplement, répond Marco Valdo M.I., parce que dans le cas de ces Araignées rouges, ça n’a aucune importance ; elles me paraissent intemporelles. Du moins, elles sont à l’échelle du millénaire et s’il n’y était pas question de monastères (minster, munster, münster, moutier) et de couvents, dont l’origine se situe vers 350 en Égypte – un temps où l’Égypte était le haut lieu de la chrétienté et qui naquirent du rassemblement des cénobites tranquilles et ces araignées rouges remonteraient aux premières prisons, il y a plusieurs milliers d’années ; en fait, probablement, quand les prisons sont apparues à la création des premières agglomérations ; ce sont de petites personnes curieuses et pour ce qui en est dit par Carlo Levi, des animaux fort sociables et affectueux. Cependant, leur développement moderne comme lieu d’enfermement de longue durée, tendant à la punition et à la rédemption, est lié à l’Inquisition.

 

Bien, bien, Marco Valdo M.I., mais il me semble que tu en as dit assez à ce sujet. Parle-moi plutôt de ce que raconte la chanson.

 

Puisque tu le demandes, Lucien l’âne mon ami, je m’en vas te faire un petit topo de la canzone. On retrouve au début, comme il est logique, une amorce, une petite réflexion sur le temps qu’il fait, ce temps qui passe sans rien faire d’autre, c’est de temps vide de la vie vide, c’est le temps du rien, c’est le temps où naît l’ennui, si on ne peut nourrir le néant de sa propre création. Ensuite, viennent les Araignées, de petites araignées rouges qui pour les « confinés pour de longs temps », sont des compagnes bienvenues et bien soignées.

 

 

En disant ça, Carlo Levi passe le message apaisant que lui ne fait pas partie de ces « confinés pour un long temps » ; il rassure sa famille et en même temps, il fait savoir à destination de ses « amis » de Giustizia e Libertà (Justice et Liberté) qu’il pense sortir bientôt. Cependant, en prison, le temps n’a pas la même dimension qu’à l’extérieur. Qu’est-ce que bientôt ?

 

« Des araignées rouges au ventre tendu ;

Elles arrivent avec le printemps.

Les confinés pour de longs temps

Les soignent avec un amour éperdu. »

 

Et dans le quintil suivant, il ajoute :

 

« Pour moi, elles sont apaisantes ;

Je n’ai pas l’âme d’un prisonnier. »

 

 

Oh, Marco Valdo M.I., je t’interromps, mais je voudrais faire une remarque. La première concerne les araignées rouges qui sont soignées par les prisonniers ; j’ai entendu dire, au long de mes longues pérégrinations, qu’il n’y a pas que les araignées du printemps à tenir ainsi compagnie aux prisonniers ; il y a des rats, des souris, des chats, des oiseaux. En fait, tous ceux qui peuvent franchir les barreaux et viennent apprivoiser le gros animal encagé.

 

Ensuite, reprend Marco Valdo M.I., Carlo Levi évoque le soleil et Campanella ; il s’agit de dire beaucoup de chose : un, son niveau de débat face au régime ignare ; deux, La Cité du Soleil qui est évidemment le monde de plein air auquel il aspire ; trois, Campanella lui aussi fit de la prison et malgré qu’il dut y passer 27 ans, il en sortit et reprit le cours de sa vie.

 

« Quant au soleil, si chaud au cœur,

Campanella l’invoquait par désir de chaleur. »

 

On voit bien ce que tout ça évoque et laisse entendre à qui veut bien comprendre. C’est le « comprend qui peut, comprend qui veut ». Ensuite, il parle à nouveau de peinture, mais d’un peintre révolutionnaire, ni contestataire, il parle d’un peintre ancien et replace ainsi sa revendication de son statut d’artiste, menant sans en avoir l’air une ligne de défense qu’il va développer, y compris lors des interrogatoires des juges du Tribunal spécial, institué par Mussolini pour les opposants au régime :

 

« Fra Angelico, à la fresque, y peignait le monde. »

 

Il s’agit également d’entretenir son image d’artiste hors du temps, ignorant de politique et par conséquent forcément à l’écart de la lutte antifasciste. Enfin, dans le dernier quintil, il s’en prend à la prison en tant que peine, ce qui est une attaque frontale contre le fondement du régime qui est précisément la discipline, l’obéissance et les conséquents châtiments. En fait, ce banal petit bout de poème est en soi toute une philosophie de l’organisation sociale. La prison, la façon de traiter le prisonnier est un des miroirs dans lequel on peut voir à nu l’esprit de la société.

 

Décidément, Marco Valdo M.I., il me faut comme chaque fois t’arrêter dans tes réflexions. Ce n’est pas qu’elles me paraissent insignifiantes, ni qu’elles me révulsent, mais il s’agit – je dois te le rappeler – de commenter une canzone. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde prisonnier de lui-même, de l’ennui, de l’envie, de l’arrogance, de l’ignorance et cacochyme.

 

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Finalement, il fait beau ;

Les belles journées de printemps

S’allongent et donnent chaud.

Ce premier orage maintenant,

Pour la saison, c’est fort tôt.

 

Tout à l’heure, j’ai vu

Des araignées rouges au ventre tendu ;

Elles arrivent avec le printemps.

Les confinés pour de longs temps

Les soignent avec un amour éperdu.

 

Pour le pauvre prisonnier,

Ce sont choses troublantes,

Des rides sur un visage aimé.

Pour moi, elles sont apaisantes ;

Je n’ai pas l’âme d’un prisonnier.

 

Quant au soleil, si chaud au cœur,

Campanella l’invoquait par désir de chaleur.

Pour moi, la cellule n’est pas un trou immonde ;

La lumière s’y déverse par-dessus la bonde ;

Fra Angelico, à la fresque, y peignait le monde.

 

Monastères, couvents et prisons se ressemblent

Vont fort bien ensemble,

Tous privent de présent :

Les uns, au nom de la vie future ;

Les autres, en raison du passé, également.

 

La prison est absurde, c’est une méthode

Qui attache à sa faute le condamné,

Qui l’incruste dans son passé.

Elle applique un code

Depuis longtemps passé de mode.

 

 

 Les Araignées rouges
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Published by Marco Valdo M.I.
10 janvier 2019 4 10 /01 /janvier /2019 09:15

 

Le Vent souffle

 

Lettre de prison 2

Canzone léviane – Le Vent souffle – Marco Valdo M.I. – 2019

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Lucien l’âne mon ami, ces lettres du prisonnier Levi sont assez singulières. Comme on va s’en apercevoir au fur et à mesure qu’on les découvrira, elles se ressemblent et elles ressortissent apparemment à la banalité la plus quotidienne.

 

Oh, dit Lucien l’âne, c’est assez normal si on y réfléchit un peu à ce qu’est le quotidien du prisonnier, qu’il soit Carlo Levi n’y change pas grand-chose. C’est d’ailleurs une des caractéristiques du temps de prison : il est indifférent et banal. Il ne s’y passe rien que sa propre répétition, il n’y passe que des heures qui se suivent à l’aveuglette. Avec le temps, elles finissent par distiller un insondable ennui.

 

Sans doute, reprend Marco Valdo M.I., mais nous n’en sommes pas encore là. Le prisonnier Levi vient seulement d’arriver et comme on le connaît, il va s’efforcer de comprendre sa situation et d’y apporter certaines améliorations. Cependant, je vais rompre avec ma propre règle et te faire une sorte d’analyse de cette chanson ; chose que j’ai faite de temps en temps, mais à vrai dire, rarement. Mais il me faut immédiatement ajouter qu’il ne s’agit nullement de didactisme, il ne s’agit pas de dire comment il faut comprendre ou penser ; à la vérité, ce sont de feintes explications, c’est juste l’occasion de meubler notre dialogue, de lui donner un peu de consistance. Comprends-moi, un dialogue où on ne dit rien ne peut exister. En ce sens, il faut dire, il faut parler et peu importe ce qui y est dit, peu importe la manière.

 

À chacun la sienne, opine Lucien l’âne. Dès lors, je t’en prie, va ton chemin comme le vent te pousse.

 

Ainsi que tu pourras le constater à l’usage, Lucien l’âne, chaque chanson de ces Chansons de Prison comporte 5 quintils, qui forment chacun une entité autonome.

 

Oh, dit Lucien l’âne, je le connais ce quintil, c’était déjà lui qui souvent servait aux ballades anciennes, on l’appelait alors cinquain ou chinquain.

 

Soit, dit Marco Valdo M.I., c’est celui-là même. Comme dans une conversation ordinaire qui démarre, celui du début parle du temps et règle la question de l’intendance :

 

« J’ai froid, je me réchauffe à peine ;

Il me faudrait des chaussettes de laine »

 

Dans le second, commence un double mouvement : la revendication et l’affirmation de son statut d’artiste. On verra plus tard que ce n’est pas un hasard ; c’est sa ligne de défense qu’il installe. Le message est vers l’extérieur : je vais prétendre que je suis un artiste et rien d’autre.

 

« J’ai demandé de pouvoir peindre ;

Il me faut des pinceaux, de l’huile de lin »

 

Le troisième est la voix même de l’innocence empêchée de se défendre, qui ne sait ce qu’on lui reproche et aussi, un message aux « amis » :

 

« Qui donc nous a calomniés ? »

 

Le quatrième est ironique et tourne l’arme de la moquerie vers les mesures qui le frappent. Il ridiculise les interrogatoires en laissant entendre – comprend qui peut, comprend qui veut – qu’il ne s’y dit rien d’intéressant.

 

« Les interrogatoires font passer le temps. »

 

Dans une analyse plus historique et politique, Carlo Levi fait savoir qu’il est suspecté d’être en contact avec ses « amis » : son oncle Claudio Treves est un des dirigeants en exil du Parti socialiste et les amitiés familiales, les réseaux d’amis sont pour une bonne part de ce milieu d’opposants.

 

« On ne me reproche rien tant

Que d’être parent de parents,

Et ami d’amis,

Et ami de parents d’amis. »

 

Le cinquième, enfin, et dernier quintil répète le cinquième de la première chanson : à destination de sa mère : « Pas de souci » et le message à transmettre aux amis.

 

« Je ne me fais pas de souci

Et dites à tous les amis »

 

J’aimerais te faire remarquer, Marco Valdo M.I. mon ami, que pour l’auditeur, tout ceci ressemble à une lamentation et sans doute, en est-ce une également. Reprenons à présent notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde banal, quotidien, répétitif, étroit et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Merci pour le linge si utile.

Ici, le vent souffle.

J’ai froid, je me réchauffe à peine ;

Il me faudrait des chaussettes de laine,

Un gros pull et des pantoufles.

 

Ici, rien ne sert de geindre.

J’ai demandé de pouvoir peindre ;

Il me faut des pinceaux, de l’huile de lin

Des couleurs – le rouge indien,

Des toiles, une palette et des fusains.

 

Comment imaginer une défense

Quand on est accusé

Et qu’on ne sait pas grand-chose

De son propre dossier ?

Qui donc nous a calomniés ?

 

On ne me reproche rien tant

Que d’être parent de parents,

Et ami d’amis,

Et ami de parents d’amis.

Les interrogatoires font passer le temps.

 

Surtout, ne vous faites pas de tracas,

Ni de ces images monstrueuses

De mes supposées souffrances,

La prison n’est vraiment pas

Pour moi, l’enfer que l’on pense.

 

Avec mes bras, mes jambes et ma tête,

Je ne me fais pas de souci

Et dites à tous les amis

Que je serai bientôt sorti

Et qu’on fera la fête.

 

 

Le Vent souffle
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Published by Marco Valdo M.I.
6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 21:31

 

Le Fils emprisonné

 

Lettre de prison 1

Canzone léviane – Le Fils emprisonné – Marco Valdo M.I. – 2018

 

 

Le Fils emprisonné

 

Lettre de prison 1

Canzone léviane – Le Fils emprisonné – Marco Valdo M.I. – 2018

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Par deux fois, avec un intervalle de quelques mois, le peintre Carlo Levi (1902-1975) qui vivait à Turin, est arrêté et interné aux Nuove, la prison historique de Turin. C’était en 1934 et en 1935, avant d’être envoyé à Regina Cœli à Rome et de là, en relégation à Aliano en Lucanie. Durant ces séjours dans ces établissements publics, il enverra des lettres à sa famille. Ce sont ces 42 lettres, tirées de l’édition italienne : « È questo il «Carcer tetro»? Lettere dal carcere 1934-1935 (Il Melangolo – 1991), dont j’ai fait les versions françaises que sont ces chansons.

 

Ah, dit Lucien l’âne, voilà qui me paraît intéressant, déjà, car il s’agit de Carlo Levi, mais aussi, car je me suis toujours demandé ce que pensait un prisonnier au fur et à mesure qu’il découvre l’univers carcéral et que se prolonge son emprisonnement.

 

 

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, tu vas être servi. Cela dit, il y a bien d’autres lettres de prison, mémoires de prison, carnets de prisons, cahiers de prison qui ont été écrits et publiés et par exemple, sans trop chercher : Casanova, Cellini, Wilde, Koestler. Parallèlement à ces lettres de Carlo Levi, on connaît les Cahiers de Prison d’Antonio Gramsci qui datent de la même époque. Cependant, ils ne sont pas écrits dans le même contexte, ils avaient dès le départ une autre ambition, un autre but du fait que contrairement à Carlo Levi, Gramsci sait qu’il va rester un long temps en prison. Il s’est donc tracé un programme : « Je voudrais, suivant un plan préétabli, m'occuper intensément et systématiquement de quelque sujet qui m'absorberait et polariserait ma vie intérieure. » Ici, il s’agit de « simples lettres » à caractère familial et familier. Toutefois, on peut mettre en balance ces deux séjours forcés : ils se déroulent dans la même période, dans le même pays, face au même pouvoir. Sans compter que Carlo Levi et Antonio Gramsci se connaissaient depuis des années. Cependant, il faudra attendre 1946 pour que Carlo Levi publie Le Christ s’est arrêté à Eboli, qui est son « cahier de relégation » et qui prolonge ces quelques lettres. Autrement dit, ces lettres peuvent servir d’introduction à cet écrit fabuleux.

 

 

Soit, dit Lucien l’âne. Cependant, de Carlo Levi et de ses écrits nous avons déjà parlé ; spécialement de ce qu’il avait inclus dans son Quaderno a Cancelli, dont tu as tiré plus de cent chansons, toutes agrémentées de nos petits dialogues. Tu en as même, si je ne trompe pas, tiré trois livres.

 

 

En effet, Lucien l’âne, tu as bonne mémoire. J’ai regroupé ces chansons sous le titre général de Chansons lévianes, ce que seront également celles-ci, et je les ai publiées en 3 tomes – au total, 750 pages – sous les titres :

Comme il n’y a que 42 lettres cette série sera nettement plus courte et de toute façon, fort différente.

 

 

À propos, Marco Valdo M.I. mon ami, pourrais-tu me dire quelques mots de cette chanson qui inaugure ce cycle.

 

 

Certes, Lucien l’âne mon ami. D’abord, il faut se dire que c’est la première fois que Carlo Levi est mis en prison et qu’il ne s’y attendait pas vraiment à ce moment-là, même si c’était une éventualité pour tous les antifascistes qui vivaient en Italie. Donc, comme prisonnier, il fait ses classes, il découvre un univers. Cependant, le résistant clandestin de G.L. (Giustizia e Libertà ; Justice et Liberté) qu’il est, a les réflexes qu’il convient et n’ignore nullement que toutes ses lettres passent d’abord par la censure, c’est-à-dire par les mains de la police politique du régime. Il va devoir dire des choses anodines et au travers de ces propos communs faire passer autre chose aussi. Par exemple, quand il dit :

« Et dites à tous les amis

Que je serai bientôt en ville. »

il faut comprendre : « Prévenez les amis (ceux de la résistance) que je suis en prison ». Inversement, Carlo Levi va utiliser cette lecture par la police politique pour affirmer son innocence, pour affirmer sa qualité d’artiste et répéter son incompréhension face à son emprisonnement. Enfin, il va tenter de rassurer sa mère à qui il écrit la plupart de ces missives.

 

 

Arrête-toi, Marco Valdo M.I., j’en sais assez pour l’instant. À présent, il nous faut tisser le linceul de ce vieux monde emprisonneur, incarcérateur, emmureur et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 

17 mars 1934

 

 

Chère maman, il ne faut pas pleurer.

Voici des mots, des baisers,

Des sourires, des caresses

Et toute la tendresse

D’un fils emprisonné.

 

La prison n’est pas si triste,

Ni si obscure, ni si pénible

Que d’aucuns le pensent ;

On y est nourris,

Logés et servis.

 

À l’ombre, sans privation matérielle,

On jouit d’une lumière éternelle

Qui entre par la fenêtre grinçante.

Dans ma cellule, je lis Dante ;

C’est une expérience divertissante.

 

Je n’ai pas l’habitude

De me laisser abattre.

J’ai tant de pensées pour peupler

La plus longue solitude

Sans un instant me dessécher.

 

L’imagination embellit

Le jour et la nuit.

Je ne vais pas me lamenter,

Ni du fond de mon lit,

Lancer des plaintes et des cris.

 

Ne te fais pas de souci !

Tout ceci sera vite fini.

À la maison, vivez tranquilles

Et dites à tous les amis

Que je serai bientôt en ville.

 

Le Fils emprisonné
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Published by Marco Valdo M.I.
5 janvier 2019 6 05 /01 /janvier /2019 18:24
DENDROCHRONOLOGIE

 

Version française – DENDROCHRONOLOGIE – Marco Valdo M.I. – 2019

Chanson italienne – DendrocronologiaDeproducers – 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

De la rencontre de quatre producteurs : Vittorio Cosma, Gianni Maroccolo, Max Casacci et Riccardo Sinigalliaest né un projet novateur et rassembleur, une combinaison sans précédent de musique et de science. Deproducers est une sorte de collectif Les Deproducers ont l’intention de mettre en musique sur scène des conférences scientifiques racontées d’une manière rigoureuse mais accessible.

 

 

Planetario, le premier chapitre, remonte à 2012 et combine la musique aux conférences spatiales de l’astrophysicien et directeur du Planétarium de Milan Fabio Peri. Le tout avec les images originales fournies par l’ESA pour le spectacle.

Botanica, le deuxième chapitre, est né en 2016 et crée une bande sonore organique et riche pour les incroyables révélations sur la vie secrète des plantes, racontées avec rigueur par Stefano Mancuso, un des plus grands neurobiologistes vivants.

Les deux spectacles utilisent les visuels de Marino Capitanio et les mise en scène de Peter Bottazzi.

L’idée de Deproducers est née de Vittorio Cosma, qui a décidé d’impliquer certains des musiciens les plus respectés dans un projet qui allie musique et science.

Un matin, il décida d’entrer au Planétarium de Milan, où il rencontra le directeur Fabio Peri, un scientifique ayant une formation musicale importante. L’empathie est immédiate et le professeur est aussitôt impliqué dans le projet : c’est en fait la naissance de Planetario.

L’astrophysicien illustra les merveilles du cosmos et le mystère de sa naissance, les constellations et leur mythologie, la relation entre l’homme et l’infini, le tout véhiculé par une incroyable capacité à emballer le public avec un langage simple et accessible.

Avec lui, les quatre producteurs étendent un tapis sonore qui entraîne l’auditeur au milieu du ciel, faisant du concert un véritable voyage intergalactique.

Lors d’une réunion publique organisée par Aboca, Vittorio Cosma rencontre Stefano Mancuso en 2015. Encore une fois, l’empathie immédiate mène à la genèse de l’idée de Botanique. Le neurobiologiste s’intéresse à la communication qui a lieu entre les plantes, en étudiant les modalités selon des critères strictement scientifiques.

Devant le public, une facette totalement inconnue du monde végétal est révélée lors d’une rencontre populaire mais rigoureuse, compréhensible pour tous.

Les musiciens, submergés par les projections synchronisées créées par Marino Capitanio, accompagnent le voyage en dessinant des univers sonores palpitants et engageants qui améliorent la communication du scientifique et captivent le public.

 

 

La chronologie cosmique du voyage d’un rayon de lumière, racontée dans Travelling, trouve sa parfaite contrepartie dans ce morceau consacré à la chronologie végétale : quelque chose qui nous fait nous sentir infiniment petits, éphémères. Peu de différence entre notre moyenne de quatre-vingts ans et les vingt minutes d’une bactérie, par rapport aux espèces végétales qui ont vu non seulement tout le flux de notre histoire connue et de notre préhistoire, mais aussi l’aube d’une planète où l’espèce humaine était loin d’être à venir. La botanique est un spectacle que les Deproducers organisent depuis 2017 et, surtout, ils l’ont présenté dans de nombreuses écoles sous la supervision scientifique du professeur Stefano Mancuso, botaniste de renommée mondiale, professeur à l’Université de Florence et directeur du Laboratoire international de neurobiologie des plantes (LINV). [RV]

 

Dialogue Maïeutique

 

 

Quel curieux titre pour une chanson, dit Lucien l’âne. Je sais que je le dis souvent, mais cette fois, c’est un titre d’une curiosité curieuse et ne crois pas que je ne sais pas ce dont il s’agit. Tout au contraire, pur mi, la chose est claire et c’est pour cela que je trouve ce titre curieux et de plus, il attire la curiosité. Je sais pertinemment qu’il s’agit de la chronologie de l’arbre et par extension, de la chronologie par l’arbre. Littéralement, il s’agit de la datation d’un arbre en comptant les anneaux que les années passées une à une ont laissés à l’intérieur du tronc de l’arbre et qui d’ailleurs en constituent la matière.

 

En effet, Lucien l’âne mon ami, c’est un curieux titre qui cependant correspond exactement à ce que tu en disais. C’est une chanson « scientifique » ; disons plus justement, une chanson de « vulgarisation scientifique » et c’est, en son genre, une réussite.

 

Et c’est également une très bonne idée, reprend Lucien l’âne. Cela manquait. À côté de la chanson d’amour, on avait déjà – dans le désordre le plus absolu – la chanson politique, la chanson contre la guerre, la chanson sociale, la chanson poétique, la chanson épique, la chanson historique, la chanson chronique, la chanson romantique, la chanson comique, la chanson magique, la chanson enfantine, la chanson religieuse, que sais-je encore ?, mais pas vraiment de chanson scientifique, du moins se revendiquant telle.

 

Tu as résumé le propos, dit Marco Valdo M.I., et je n’y ajouterai rien grand-chose. Sauf qu’il me faut avouer une petite incartade de ma part : j’ai ajouté un vers à la chanson d’origine et franchement, je ne le regrette pas, car il manquait. C’est le vers final qui exprime le rapport temporel et vital entre l’homme et les autres espèces et au-delà entre la vie biologique – telle qu’on la connaît sur Terre (pléonasme de renforcement) et le reste de l’univers. Nous sommes tous – à savoir ces vivants énumérés dans la chanson – des précaires, des êtres de hasard dont le destin est lui-même hasardeux. Pour mieux encore préciser cette pensée, nous savons (plus ou moins) notre passé et nous pourrions le connaître beaucoup mieux, beaucoup mieux le documenter ; ça, c’est de l’ordre du possible. On peut le retracer, au moins dans ses grandes lignes, mais ne nous pouvons augurer du futur. On peut savoir les bonds du hasard passés ; on ne peut que subodorer ceux du futur qui sont rigoureusement livrés à eux-mêmes. En ce sens, il n’y a pas de futur, il n’y a que des potentialités de futur. L’avenir est enfant de hasard ; même sil existe dans le passé de ce hasard-là des nécessités qui le contraignent. Le hasard ainsi considéré est la rencontre de potentialités infinies avec d’infinies nécessités. Pour en quelque sorte arriver à cristalliser certains futurs, il faut en réduire très considérablement la durée, l’ampleur et la complexité. Ce qui est notamment une des raisons de cette phrase :

 

« Du moins, tant qu’il y aura des hommes… »

 

Arrêtons là, dit Lucien l’âne, j’ai le tournis. En attendant, tissons le linceul de ce monde infini, hasardeux, énorme, à notre échelle, ridiculement minuscule et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Les bactéries peuvent vivre 20 minutes.

Un papillon peut vivre 12 heures, une puce d’eau peut vivre une semaine.

Les rongeurs peuvent vivre en moyenne deux ans, un chat quinze,

Un cheval peut arriver à dépasser les vents.

L’espérance de vie moyenne d’un être humain est d’environ 80 ans.

Les oiseaux comme les perroquets, les hiboux, les faucons peuvent vivre jusqu’à 100 ans.

Les éléphants, les baleines et autres grands mammifères peuvent survivre au siècle.

Les tortues géantes des Galápagos peuvent vivre jusqu’à 200 ans.

Mais parmi les végétaux, il y a des espèces d’arbres, comme Pinus longaeva, qui peuvent vivre jusqu’à plus de 4 700 ans.

Leur naissance précède l’invention de la première forme d’écriture alphabétique, qui accompagne toute l’histoire de l’homme jusqu’à nos jours.

Ils étaient là quand les Pyramides et le Sphinx ont été construits.

Ils étaient là avant l’essor de la civilisation grecque, la fondation de Rome.

Ils étaient là avant Jésus-Christ, avant Bouddha, avant Mahomet et avant Confucius.

Ils étaient là lors de la chute de l’Empire romain et au couronnement de Charlemagne.

Ils étaient là avant l’invention de la presse, la découverte de l’Amérique,

Avant Copernic et avant la théorie de la gravitation universelle.

Ils étaient là et ils ont survécu à la Révolution industrielle, la Révolution française, Napoléon.

Ils étaient là lors de la pose des premiers câbles télégraphiques et des câbles électriques.

Ils étaient là et ils ont été traversés par les premiers signaux radio, survolés par les avions,

Et ils ont survécu à deux guerres mondiales et aux radiations nucléaires.

Ils ont vu l’homme sur la Lune.

Et ils continueront d’être témoins de notre évolution.

Du moins, tant qu’il y aura des hommes…

 

DENDROCHRONOLOGIE
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Published by Marco Valdo M.I.
3 janvier 2019 4 03 /01 /janvier /2019 21:20
GROS TEMPS

 

 

 

Version française – GROS TEMPS – Marco Valdo M.I. – 2019

Chanson allemande – Große ZeitenErich Kästner – 1931

 

 

 

La musique est de Will Elfes (1924-1971), un sculpteur et musicien allemand. Dans son album de 1970, « Will Elfes Singt Kästner ».

 

 

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

Mais enfin, Marco Valdo M.I., que fais-tu ? Il existe déjà une traduction française de cette chanson. Pourquoi en fais-tu une nouvelle ?

 

J’ai toujours dit, Lucien l’âne mon ami, que je ne fais pas de traduction ; j’établis une version française à mon intention et je la mets à la disposition de qui veut la lire, à qui il plaît de la lire. Et puis, vaut mieux une version de plus ; ça enrichit tout le monde. Et surtout, ne me demande pas mon avis sur les traductions faites par d’autres ; ce serait déloyal.

 

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, détends-toi. Je n’ai d’ailleurs rien dit de cette traduction, si ce n’est qu’elle existe. Et j’avais sous-entendu, il est vrai qu’il existe tant d’autres chansons et même, si le cœur t’en dit, des pièces de théâtre. Tu pourrais, par exemple, donner une version française de Shakespeare, d’une pièce, d’une autre, du Songe d’une Nuit d’Été ou du Roi Jean ou d’autres auteurs. Que sais-je ?

 

De cela non plus, je ne dirai rien, Lucien l’âne mon ami et tu sais pourquoi. Ça nous emmènerait trop loin. Lors, j’ai voulu faire une version française de ce « Grosse Zeiten » de Kästner, car j’aime beaucoup Erich Kästnerj’ai mis à ma sauce en français bon nombre de ses chansons et je voulais savoir ce qu’il disait exactement dans ce texte. Maintenant, je sais.

 

Alors, je t’en prie, Marco Valdo M.I. mon ami, dis-moi tout.

 

Hum, Lucien l’âne mon ami, tout, ce ne sera pas possible, mais certaines choses utiles, oui. D’abord, entame Marco Valdo M.I., je commencerai par le titre. Il comporte deux mots. Sur le mot temps, il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est qu’il est terriblement ambigu et polysémique et qu’il faut le prendre ici au sens figuré, généralement utilisé pour décrire la situation ; c’est de la météorologie appliquée au temps social ou politique. Et ce temps (ou ces temps, peu importe) est « gross », ce qui peut vouloir dire grand et gros ou les deux en même temps ; on peut donc également alterner la qualification. Ici, il me faut revenir à la météorologie marine, car, du moins, à mon sens, il faut comprendre « gros temps », c’est-à-dire un temps annonciateur de tempête ou tout bonnement, un temps de tempête. J’aime à faire remarquer qu’Erich Kästner écrit cette chanson en 1931, moment où la houle devient de plus en plus forte et que la très grosse tempête s’annonce. C’est l’année également où il publie son roman vers l’abîme, qui fut massacré par la critique et les « bonnes gens » de son temps. Et c’est de ce « gros temps » déjà là qu’il parle – sans doute en vain. Tout comme aujourd’hui, dans les pays qui foncent vers l’abîme, celui qui a le malheur d’y faire allusion est mal reçu. Quant à l’état général du monde, je suis assez persuadé que cette expression de « Grosse Zeiten » s’y applique sans conteste. Mais en l’occurrence, Erich Kästner avait quand même pris soin de poser lui-même la question du pays : Kennst du das Land, wo die Kanonen blühn?Connais-tu le pays où les canons fleurissent ?, où il disait :

 

« Connais-tu ce pays ? Il pourrait être heureux.

Peut-il être heureux et rendre heureux ?

Là-bas, il y a des champs, le charbon, l’acier et la pierre,

L’ardeur, la force et d’autres belles choses.

 

Là-bas, de temps en temps, il y a même l’esprit et la bonté

Et un véritable héroïsme. Mais pas chez beaucoup. »

 

 

Oui, mais la chanson, dit Lucien l’âne, elle parle de ça, elle aussi ?

 

Évidemment, Lucien l’âne mon ami, elle est annonciatrice du « gros temps » et de l’éventuel naufrage du navire, mais elle transcende, comme le fait souvent le texte poétique, les événements précis auxquels elle allude. Tiens, « La Tempête », n’était-ce pas aussi une pièce de cet écrivain dont tu parlais tout à l’heure, celui dont, au temps de Montaigne, de Bruno ou de Campanella, on jouait les pièces à Londres et qui signait William Shakespeare ? Pour en revenir à la chanson d’Erich Kästner, si elle annonce le gros temps, elle raconte que la plupart des gens (les hydrocéphales, les têtes pleines d’eau) ne s’en rendent même pas compte et suivent le mouvement du flux, ils se laissent littéralement porter par la vague. Quant à ceux qui s’en inquiètent, ils se replient et se préparent au pire. Par ailleurs, la vie continue, on nourrit le passereau dans le bosquet du bois voisin ; on vogue dans la béatitude du quotidien. Après nous, les mouches.

 

Dans la forêt, s’ébat le gai passereau.

Les bonnes gens qui le nourrissent,

Sont heureux d’avoir un oiseau.

Les pieds du futur doucement se refroidissent.

 

Oh, dit Lucien l’âne, sans vouloir t’offusquer, on dirait une sorte d’instantané de la situation contemporaine.

 

C’est bien ça, Lucien l’âne mon ami. Finalement, comme aujourd’hui, les Cassandre (par exemple Kästner lui-même, mais aussi, Erika Mann, Erich Mühsam, Carl von Ossietsky, Kurt Tucholsky, Bertolt Brecht, Ernst Töller, etc.) sont moquées et le peuple sombre dans la folie. Je dis comme aujourd’hui en pensant à quelques pays. Lesquels ? Presque tous, car c’est une épidémie.

 

Les Cassandre sont traitées par le mépris.
La sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’
a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans l
a folie.

 

J’avais toujours soupçonné Erich Kästner d’être un peu prophétique, tout à fait poétique et trop intelligent pour ne pas sentir ce qui se préparait. Mais comme Cassandre, on ne l’a pas trop cru et vite, on l’a fait taire dans un énorme bûcher berlinois auquel il assista, incognito (heureusement !), perdu dans la foule des S.A. qui délirait sur la place. Mais définitivement, une voix peut-elle arrêter l’avalanche ? Cependant, je rejoins ton regard, elle doit crier, l’oiseau doit continuer à chanter.

 

Alors, conclut Lucien l’âne, continuons. Tissons le linceul de ce vieux monde sot, insensé, inconscient et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.

 

 

 

Le temps est si gros, beaucoup trop grand.
Il grandit trop vite.
Ça le pourrit.
On
le mesure chaque jour et on se dit anxieusement :
Le temps n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui.

 

Il grossit. Il grandit. Bientôt, il fait faux bond.
Que fait l’homme là-contre ? Il est bon.
Chez les hydrocéphales, monte par vagues le flux.
Dans le cerveau des gens sensés, c’est le reflux.

 

Dans la forêt, s’ébat le gai passereau.

Les bonnes gens qui le nourrissent,

Sont heureux d’avoir un oiseau.

Les pieds du futur doucement se refroidissent.

 

Les Cassandre sont traitées par le mépris.
La sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’
a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans l
a folie.

 

GROS TEMPS
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Published by Marco Valdo M.I.
3 janvier 2019 4 03 /01 /janvier /2019 10:05

 

L’Heure de l’Hirondelle

 

Chanson française – L’Heure de l’Hirondelle – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
121
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
V, VII)

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

 

« L’heure de l’hirondelle », en voilà encore un de tes titres, dit Lucien l’âne. Je vais essayer d’en deviner le sens avant même de connaître la chanson.

 

 

 

Voyons voir, dit Marco Valdo M.I. en souriant.

 

 

 

Donc, l’heure de l’hirondelle, dit Lucien l’âne, pour moi, a une double signification. Soit, elle marque un début ; soit, elle marque une fin. Car, si l’hirondelle annonce le printemps, elle annonce aussi et en même temps, la fin de l’hiver.

 

 

 

Ça, Lucien l’âne mon ami, tu as mis pile dans le mille – certains ajoutent : Émile, comme aurait dit Rousseau. C’est vraiment le sens qu’il faut donner au titre. Mais ce qui correspond aussi au rythme de ses transhumances, à ses allers-retours migratoires, l’heure de l’hirondelle peut aussi annoncer, comme tu le verras, le retour tant espéré de Calleken, la femme de Lamme et le retour à la vie tranquille de Lamme lui-même. C’est aussi pour ce fougueux pacifiste la fin de la guerre, de la guerre de liberté, où tout bien considéré, il avait déjà assez donné. À d’autres de prendre le relais ; il y a un temps pour chaque chose. « Faut bien qu’on vive ! ».

 

 

 

Mais dis-moi, Marco Valdo M.I., que vient faire là le broer Cornélis ?

 

 

 

Ça mérite au moins une explication, reprend Marco Valdo M.I. Ce frère Cornélis, on l’avait déjà entendu prêcher violemment contre les hérétiques. C’est un de ces chiens de l’Église qui allaient de par les Pays semant la haine et la discorde, justifiant au nom de Dieu l’occupation espagnole, l’Inquisition, les placards, la torture et les bûchers. Ce bon ecclésiastique avait également un autre but, c’était de s’occuper – toujours au nom de Dieu – des femmes (de préférence, jeunes et jolies) et de leur chasteté, y compris de celle de femmes mariées, auxquelles il interdisait (Deus dixit) les relations conjugales. Une chasteté qui ne pouvait être rompue qu’entre les bras du serviteur de Dieu qu’était le père Cornélis Adriaensen lui-même, en personne. C’était là une façon catholique de récupérer le mouvement des béguines, femmes libres, qui avait fortement tendance à échapper à l’Église et à sa sainte Tutelle.

 

 

 

Oh oui, dit Lucien l’âne, je me souviens de ces femmes qui vivaient, en effet, assez librement en communauté. Il y en avait un partout en Europe en ce temps-là. J’ai même souvenir qu’on en tortura et qu’on en brûla un certain nombre sur les bûchers de l’Inquisition, à l’égal des sorcières auxquelles souvent la propagande catholique les assimilait. Aujourd’hui encore, il me semble que chez les humains, les communautés de femmes libres et les femmes libres ne sont pas en odeur de sainteté.

 

 

 

Certes, Lucien l’âne mon ami, mais les femmes de la communauté de Cornélis étaient fort peu libres et comme je te l’ai dit, elles lui devaient des comptes sous l’espionnage de la confession et le reste sous le mariage virginal avec Dieu, par l’entremise de Cornélis, évidemment, puisque Dieu lui-même n’est pas équipé pour la manœuvre. Cependant, et c’est important pour Lamme, le frère félon – même s’il avait réussi à la dissuader d’accepter encore les relations conjugales avec son bonhomme de mari – n’a jamais pu exercer son paternel sentiment sur la personne de Calleken qui, si elle s’était laissée embrigader dans le chaste régiment de Dieu, si elle se soumettait aux questions de la confession, n’a jamais accepté que le dodu moine lui mette la main dessus.

 

 

 

Bien, bien, dit Lucien l’âne, voilà qui a dû faire plaisir à Lamme.

 

 

 

Un dernier élément à signaler, complète Marco Valdo M.I., ce sont les adieux de Lamme aux Gueux, à Till, à Nelle ; avec ces adieux s’arrête l’aventure et comme il est dit plus haut : à d’autres de la poursuivre cette quête de liberté et de tranquille existence.

 

 

 

Alors donc, nous voici à la fin de la geste, dit Lucien l’âne. Cette fin abrupte me rappelle celle qui attend tout être vivant et il me revient à l’esprit – s’il l’a jamais quitté – ce philosophe ancien qui disait en toute sérénité : « Il n’y a rien à craindre de la mort » et aussi, ton presque contemporain, Boris Vian qui écrivait, je cite de mémoire : « Un mort, c’est bien. C’est complet. Ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas complet tant on n’est pas mort. »

 

 

 

Maintenant, dit Lucien l’âne, il me faut vraiment conclure encore. Tissons le linceul de ce vieux monde trop catholique, trop religieux, menteur, vicié et cacochyme.

 

 

 

Heureusement !

 

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 

 

 

 

Lamme dit : « J’ai un grand dessein

 

À l’égard de sa catholique Paternité.

 

Qu’on garde en vie ce capucin !

 

Avec soin, nous allons l’engraisser.

 

 

 

À quelque temps de là, Lamme le pèse :

 

Trois cent septante livres et demi.

 

Lamme dit : « J’en suis fort aise,

 

Mon grand œuvre s’accomplit.

 

 

 

« Ouvrons la cage, le chapon est gras.

 

Il est bien plus gros que moi,

 

Ses joues tremblent comme gelée de cochon,

 

Sa panse pend comme un vieux torchon.

 

 

 

Broer Cornelis Adriaensen, le prêcheur,

 

Frère Cornélis Vauriensen, le menteur,

 

Prêchait aux filles la chasteté

 

Pour être tout seul à en profiter.

 

 

 

Oh ! Oh Gueux marins ! Oh ! Équipage !

 

Oh ! Capitaine ! Je m’en vais maintenant.

 

Faites engraisser ce moine en sa cage

 

Comme une baleine, comme un éléphant !

 

 

 

Mon hirondelle est revenue, elle est là !

 

Calleken a soigné ma blessure,

 

Calleken revient se blottir dans mes bras,

 

Calleken a fui la religieuse luxure.

 

 

 

Tous deux, demain, nous partirons

 

Ensemble vivre la vie en bord de mer

 

Calleken et moi, jusqu’au bout nous irons.

 

Puis, elle et moi, nous dormirons sous la terre. »

 

 

 

Et le frère Cornélis en colère s’écrie :

 

« Femelle charnelle, fille d’Ève pervertie,

 

C’est ta foi, c’est ton vœu que tu renies :

 

Sois maudite et damnée par l’hostie !

 

 

 

Qu’en ta bouche, le pain te soit cendre !

 

Que sur ton sein, le soleil soit glace !

 

Qu’éternellement, tu pleures, que toujours, tu souffres !

 

Tu refusas mon paternel amour, je te chasse ! »

 

 

 

Lamme chante et danse en levant les bras :

 

« Vive Calleken, mon épouse fidèle, hosanna !

 

Adieu les Gueux ! Adieu Till, adieu Nelle !

 

Adieu la guerre de l’alouette, c’est l’heure de l’hirondelle ! »

 

L’Heure de l’Hirondelle
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Published by Marco Valdo M.I.
1 janvier 2019 2 01 /01 /janvier /2019 19:41


LA CHANSON DU CACHALOT

 

Version française – LA CHANSON DU CACHALOT – Marco Valdo M.I.2019

Chanson italienneLa canzone del capodoglioLa Fabbrica dei Pesci Rossi2011

Écrite par Maggi et Marchitelli

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour tous ceux qui, comme moi, célèbrent le cachalot et non le Nouvel An…

 

 

Dialogue halieutique

 

En fait, à quoi elle te fait penser cette chanson du cachalot ? Dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, toi qui viens de la mettre en français ?

 

À vrai dire, Lucien l’âne, ta question est vraiment pertinente, car cette chanson m’a fait tout d’abord penser à « Bella ciao ».

 

À « Bella Ciao » ?, dit Lucien l’âne. Là, vraiment, je suis surpris et j’aimerais quand même un mot ou deux d’explication.

 

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, j’y ai immédiatement pensé rien qu’à voir le début du texte. Compare le premier vers de chacune des chansons : « Stamattina mi sono alzato, » (Bella Ciao) et « Stamattina mi sono spiaggiato » (Capodoglio). Je suis persuadé que ce n’est pas là un hasard et que la signification est évidente : les deux chansons sont unies par leur chant de résistance.

 

J’imagine que tu as raison, Marco Valdo M.I. mon ami. Mais je vois à ton œil luisant que tu as d’autres réminiscences en tête. Au fait, quelles sont-elles ?

 

Tout d’abord, eu égard au titre de la chanson et à ce qu’elle raconte – à première vue – la mort d’un cachalot, animal aquatique, j’ai pensé à La Pêche à la Baleine de Prévert :

 

« La baleine est sortie,
Asseyez-vous,
Attendez là,
Dans une quinzaine d’années, sans doute elle reviendra… »

 

Évidemment, ça ne pouvait manquer, dit Lucien l’âne, cette histoire de baleine après celle du cachalot, mais encore ?

 

Et puis, Lucien l’âne mon ami, animal marin pour animal marin, je me suis souvenu de La complainte du phoque que chantaient nos amis québecois de Beau Dommage.

 

« Ça ne vaut pas la peine
De laisser ceux qu’on aime
Pour aller faire tourner
Des ballons sur son nez »

 

Note que ça, ça se discute ; il vaut peut-être mieux faire tourner des ballons sur son nez que de … etc., il y a tant de choses qu’il vaut mieux ne pas faire.

 

Certes, Marco Valdo M.I. mon ami, la guerre par exemple. Et puis, tu en as encore à proposer de tes réminiscences, qui sont choses inévitables dans la chanson ?

 

Là, Lucien l’âne mon ami, le chemin est un peu plus long et plus tortueux. Il me faut te ramener au sens général de cette canzone, c’est-à-dire à la mort du cachalot et ce qu’elle incarne, la mort du monde marin, la mort du vivant sur Terre – en tout cas, en ce compris, par ricochet, de l’humanité. Comme tu l’as peut-être entendu, dernièrement, on trouve de plus en plus de poissons et de cétacés et d’autres animaux marins, morts sur les plages, le ventre plein de plastique. C’est là que j’ai dérivé vers Léo Ferré et sa prophétique chanson Le Temps du Plastique, qui date – rends-toi compte de 1959, soixante ans et qui disait alors déjà :

 

« Il est peut-être pas trop tard
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard… »

 

Cependant, même si Les temps changent comme le pensent les optimistes quelque peu béats et crédules, les temps sont (de plus en plus) difficiles, jusqu’à la disparition des temps, résultant de celle des horlogers.

 

« Maintenant Van Gogh vaut des millions,
Gauguin se vend mieux que du cochon.
Rien n’a changé on tourne en rond
Et dure dure ma chanson,
Le temps que je me marre. ».

 

Ah, Léo, toujours Léo, dit Lucien l’âne. Tu n’aurais pas un petit Vian à proposer, des fois ?

 

Évidemment, dit Marco Valdo M.I., et quel Vian, Je voudrais pas crever que j’entends encore avec la voix, la voix inoubliable de Pierre Brasseur, qui joue pour la cause le héraut :

 

« Je voudrais pas crever,
Non monsieur, non madame,
Avant d’avoir tâté
Le goût qui me tourmente,
Le goût qu’est le plus fort.

Je voudrais pas crever,
Avant d’avoir goûté
La saveur de la mort. »

 

Tout compte fait, sentencie Lucien l’âne, c’était peut-être ce que pense le cachalot ou la baleine quand il vague entre les vagues. Il faut finir, alors je m’en vais conclure un peu abruptement, mais il le faut. Oh, cachalot, cache-toi dans l’eau et ensemble, tissons le linceul de ce vieux monde assassin, pestiféré, pestilentiel, criminel et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 

Ce matin, je me suis échoué sur une plage.

Pour m’enfuir, je n’ai pas de jambes

Et le sable, ce n’est pas la mer,

Pas la mer.

Depuis des jours, je nage dans le vide.

La mer s’écrase sous les grandes ombres

Et j’ai une énorme peur,

Énorme peur.

 

Un grondement a brisé la paix,

Des bulles blanches envahissent la mer,

Maintenant, dans la mer,

Je pourrais me noyer.

 

Ce matin, j’ai mangé une pomme,

Ce matin, j’ai mangé une pomme,

Avec le ver, avec le ver.

Je suis le ver.

 

J’ai avalé vos distractions,

Les ersatz que vous avez créés,

Du fer et des additifs, le verre en tessons

De vos festivités.

 

Depuis des jours, je nage dans le vide

Et le rivage est soudain proche.

En un instant, je te sens

Distant.

 

Je suis fatigué et la vague de la mer

Pour lui faire un câlin d’hiver

Caresse ma peau.

Telle est la fin d’un cachalot.

 

On mange tous des pommes,

On mange tous des pommes,

Avec des vers, avec des vers :

Nous sommes les vers.

 

 LA CHANSON DU CACHALOT
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Published by Marco Valdo M.I.
1 janvier 2019 2 01 /01 /janvier /2019 09:13

CHARLES MARTEL RETOUR DE LA

 

 BATAILLE DE POITIERS

 

2019

 

Version française – CHARLES MARTEL DE RETOUR DE LA BATAILLE DE POITIERS – Marco Valdo M.I. – 2009 – 2019

 

 

 

 

 

 

Introduction 2009

 

Riccardo Venturi avait fait une version de cette chanson dans un « françois d’époque », enfin disons, une manière de grommelot amélioré ; c’est une version très amusante. Celle, ici proposée, est plus contemporaine ; j’ose l’espérer assez distrayante.

 

On a tous dans l’oreille la chanson du Roi Renaud et de son lugubre destin : « Le Roi Renaud de guerre s’en revint portant ses tripes dans ses mains… ». J’aime à penser que Fabrizio connaissait ce destin du pauvre Renaud ; un destin de roi. Ceci donne tout le sel à sa chanson « Charles Martel de retour de la bataille de Poitiers », car – ainsi qu’on le verra – Charles revint vainqueur en portant tout autre chose que ses tripes dans ses mains. La donzelle l’apprit à ses dépens. De première part, en étant contrainte de laisser Charles et son fameux marteau honorer sa (disons) pudeur, à moins que ce ne fut son (disons) postérieur ; de seconde part, en voyant l’ignoble séducteur s’enfuir sans honorer sa dette.

Mais il y a quand même une justice dans ce monde, il y a quand même une morale dans la chanson : le roi penaud s’en alla finir sa guerre dans les taillis – cul par-dessus tête – c’était bien son tour.

Voilà une vision moins glorieuse de Charles et de son marteau, duquel on nous a tant rebattu les oreilles et cassé nos enfantines roubignoles en de grands élans européoxénophobes.

Rappelez-vous, en ces temps-là, on enfonçait la chrétienté dans nos têtes à coups de marteau… Le fait-on encore aujourd’hui ? C’est à craindre.

 

Cela dit, ne vous mettez pas martel en tête avec tout ça, voilà une chanson revigorante et rabelaisienne, dont tout un chacun se réjouira hautement.

 

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.

 

 

Dialogue maïeutique – 2019

 

Avant d’aborder notre conversation à propos de la chanson elle-même, laisse-moi te faire remarquer, Lucien l’âne mon ami, qu’au temps où j’avais fait la première version de cette chanson, je parlais tout seul dans le désert ; tu ne m’avais pas encore rejoint.

 

Ah ! Combien de chansons, combien de version françaises, j’ai ainsi ignorées, Marco Valdo M.I. mon ami ? Je suis bien conscient de cette lacune et il me plaît de la combler en ta compagnie.

 

Je te le dis en vérité, Lucien l’âne mon ami, le hasard, le sort, les circonstances, toutes choses du genre font parfois bien de nous ramener à certain moment de notre passé.

 

Je te crois volontiers, Marco Valdo M .I. mon ami, mais, dis-moi encore, que signifie tout ce préambule énigmatique ?

 

Rien de fort mystérieux, Lucien l’âne mon ami, tu peux me croire en cela aussi. Il s’agit tout simplement de ceci qu’un mien ami, qui s’intéresse pour l’heure à l’histoire, celle des historiens, pas celle des conteurs, car l’une n’a que de lointains rapports avec l’autre, cet ami, donc, me disait étudier le fameux épisode de Charles Martel à la bataille de Poitiers et ce qui s’ensuivit ; un moment où d’aucuns voient le fondement de l’Europe. Et à propos de fondement de Charles Martel et pas seulement, tu verras que la chanson ne manque pas d’y faire allusion. Cependant, n’anticipons pas.

 

Certes, dit Lucien l’âne, mais pourquoi donc l’Europe, Charles Martel et ses successeurs n’auraient-ils pas de fondement ?

 

En effet, c’est une bonne question, Lucien l’âne mon ami, car de fondement, ils en ont besoin, rapport aux coups de pied qu’ils méritent amplement d’y recevoir.

 

De qui parles-tu ?, Marco Valdo M.I. mon ami.

 

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, je t’imaginais plus perspicace. Oh, je vois à ton clin d’œil que ton interrogation était encore une de ces fleurs de rhétorique dont tu parfumes régulièrement nos propos.

 

En effet, Marco Valdo M.I. mon ami, j’avais parfaitement saisi ce que tu entendais signifier, mais je te tendais la perche pour que tu puisses développer ton point de vue.

 

Soit, Lucien l’âne, nous parlons bien des lointains successeurs de Charles Martel, lui-même fils et petit fils de Pépin, tous Maires du Palais, tous gens de Meuse ; Charles était né à Herstal dans le pays de Liège, ces ardents thuriféraires de racines nationales, européennes et pour tout dire, chrétiennes. Certains y ajoutent un brin de réminiscence celtique. Friands de racines, ce sont les rongeurs de notre temps ; ils ne déplacent qu’en bandes et la plupart du temps, armés – parfois, jusqu’aux dents. Ils ont un goût excessif pour les chemises de couleur uniforme et pour toute sorte de signe de reconnaissance. Tout comme Charles martel, ils sont les marteaux de la civilisation, un concept assez fumeux dont ils enfument le monde. Je dis le monde, car leurs pratiques, leurs haines et leur tempérament se sont exportés ou ont été imités dans le monde avec des variantes adaptées aux religions, aux lieux et aux climats. Et les plus grands pays, les plus peuplés ou les plus riches en sont infectés. Mais on s’en tiendra ici aux descendants directs de Charles Martel, ceux qui sévissent sur notre continent.

 

Ça fait déjà pas mal de gens, dit Lucien l’âne. Ils sont partout. Mais dis-moi, la chanson ?

 

J’y reviens, dit Marco Valdo M.I. ; c’est d’ailleurs le cas de le dire, puisque c’est en discutant avec l’adepte de l’histoire médiévale que m’est venue l’idée de reprendre ma version française de cette chanson italienne que j’avais écrite en janvier 2009, il y a tout juste dix ans. Je l’ai un tout petit peu modifiée, rajouté une virgule, un point, une majuscule, changé un mot, changé un temps, que sais-je ?, mais c’est surtout l’occasion de remettre en avant cette superbe chanson de Fabrizio De André, qui donne un éclairage particulier de la « grande » victoire de Poitiers et qui la redimensionne sans avoir l’air d’y toucher. Évidemment, comme pour bon nombre de chansons, il faut aussi y écouter le contre-chant, la signification profonde, celle qui n’est pas dite explicitement et à laquelle précisément, il convient de réfléchir.

 

Certes, dit Lucien l’âne, mais hors de toute cette réflexion, que se passe-t-il vraiment dans cette chanson ? Que rencontre Charles Martel au retour de la bataille et que fait-il de si remarquable ?

 

Vu comme ça, Lucien l’âne, tu me pousses dans mes retranchements et il me faut bien révéler l’indigne conduite du Charles frappeur. En fait, le brillant guerrier avait des envies de soudard et croisant une dame au bord de la route, le cavalier encore tout corseté sous son armure, sent soudain croître une turgescence maligne et profite de la circonstance pour lutiner la dame, qui n’en peut, mais. Elle lui fait croire à sa fidélité pour monter le prix de la course et finalement cède en le flattant plus encore du nom de roi, qu’il n’est pas. Charles Martel n’a jamais été roi, comme sans doute, tout le monde s’en souvient. Après l’intermède ludique, la dame lui présente sa facture et Charles comme un malpropre tente de s’enfuir sans régler la note. Mais sa grivèlerie n’aboutit pas, car la dame le retient par sa manche et après moult récriminations, obtient son dû. Furieux, il s’élance en catastrophe et finit dans un buisson d’épineux au terme d’une pirouette ridicule, se blessant finalement au fondement (de l’Europe, de la nation, de la religion, de la chrétienté, de la civilisation, etc).

 

Ainsi soit-il, conclut Lucien l’âne. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde chrétien, civilisé, enraciné, menteur, hâbleur et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien l’âne.

 

 

 

Le Roi Charles de guerre s’en revient.

Accueilli sur ses terres d’une couronne de laurier,

Au chaud soleil du printemps angevin,

Scintille l’armure du vainqueur de Poitiers.

 

Le sang du Prince, le sang du Maure

Arrosent le cimier de mêmes contours,

Mais plus que des blessures corporelles,

Charles ressent les affres de l’amour.

 

« Si la guerre étanche chez le vainqueur

La passion de la gloire et la soif d’honneur,

Elle ne concède pas un moment pour faire l’amour.

Celui qui impose la ceinture de chasteté

À sa suave épouse, commet un geste bien lourd

Et à la bataille, court le risque d’en perdre la clé. »

 

Ainsi se lamentait ce roi chrétien.

Le blé s’incline, les fleurs le décorent.

Le miroir de la fontaine d’étain

Reflète le fier vainqueur des Mores.

 

Quand voici que dans l’eau débonde,

Admirable vision, le symbole de l’amour.

Au cœur de longues tresses blondes

Paraît en plein soleil son sein nu.

 

« Je n’ai jamais vu chose plus belle,

Jamais je ne vis si jolie pucelle ! »,

Dit le roi en descendant rapidement de selle.

« Hé, chevalier, ne vous approchez pas,

D’autres déjà jouissent de celle-là,

À d’autres fontaines plus faciles, apaisez votre émoi. »

 

Surpris de mots si décidés,

Charles s’arrête en s’entendant ainsi moqué.

Mais le jeûne pèse plus que l’honneur,

Tout tremblant, le roi offre son cœur.

 

C’était là le répertoire caché

Dont use Charles dans les grandes difficultés.

À la dame, il montre un grand nez

Un visage de bouc, mais c’était Sa Majesté.

 

« Si vous n’étiez mon souverain »,

Charles dégage sa grande rapière,

« Je ne cèlerais pas mon désir de fuir au loin,

Mais puisque vous êtes mon seigneur, »

Charles lève sa bannière.

« Je dois vous concéder toute ma pudeur ».

 

C’était un cavalier des plus vaillants,

Dans cette passe d’honneur, il se redresse

Et arrivé à l’acmé tout fringant,

Il tente de remonter une fois encore.

 

Rapide, la pucelle le harponna

Et présente ses honoraires à son seigneur :

« C’est bon que vous êtes le roi,

Cinquante mille, c’est un prix de faveur. »

 

« C’est pas Dieu possible, nom d’un chien,

Qu’en ce royaume, toutes les aventures

Se déroulent avec de grandes putains !

Même sur le prix, il y a à redire. Pour sûr,

Je me souviens très bien qu’avant mon départ,

Les tarifs étaient inférieurs à trente mille patards ».

 

Cela dit, comme un grand saligaud,

D’un bond de lion, en selle, il fait un saut.

Et fouettant son cheval comme un bourricot,

Le roi s’étale dans les glycines et le sureau.

 

Le Roi Charles de guerre s’en revenant

Est accueilli sur ses terres d’une couronne de laurier.

Au soleil d’un chaud printemps,

Scintille l’armure du vainqueur de Poitiers.

 

 

CHARLES MARTEL RETOUR DE LA BATAILLE DE POITIERS 2019
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Published by Marco Valdo M.I.
25 décembre 2018 2 25 /12 /décembre /2018 19:14

 

 

PETITE CANTATE ALLEMANDE 

 

ou

 

 

PETITE CANTATE MAÇONNIQUE

 

 

Version française – PETITE CANTATE ALLEMANDE ou PETITE CANTATE MAÇONNIQUE – Marco Valdo M.I. – 25 décembre 2018

 

Texte : Franz Heinrich Ziegenhagen (1753-1806)
Musique
 : Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Cantate K 619 pour ténor et pianoforte

 

 

 

Loge « Zur Neugekronten Hoffnung » de Mozart

 

 

 

 

 

La Petite Cantate allemande, également connue sous le nom de Petite Cantate maçonnique, fut composée par Wolfgang Amadeus Mozart en juillet 1791 sur des vers du poète strasbourgeois Franz Heinrich Ziegenhagen (souvenez-vous que Strasbourg était alors une ville allemande de langue et de culture). Ziegenhagen et Mozart lui-même étaient tous deux d’ardents francs-maçons, ou ouvriers de la maçonnerie libérale ; d’une franc-maçonnerie qui avait comme référence précise le socialisme utopique, c’est-à-dire le premier courant du socialisme moderne qui se développa en Europe durant le XVIIIe et le XIXe siècle. Ses origines lointaines se trouvent dans les idées de Thomas More et Thomas Campanella, le socialisme utopique de la fin du XVIIIe siècle, qui allait de pair avec les idéaux et les exigences des Lumières et de la Révolution française, avait comme figures de proue Charles Fourier, Henri de Saint-Simon et Robert Owen.

 

Le texte de Franz Heinrich Ziegenhagen s’inscrit pleinement dans ces idéaux, et ce n’est pas un hasard si son frère maçon Mozart l’a choisi. Mozart a multiplié ses œuvres musicales avec des références à la Franc-maçonnerie ; en plus de la Maurerische Trauermusik (ou Musique funèbre maçonnique) en do mineur K477 et l’adagio pour deux clarinettes et trois cors de basset K411, il faut noter la Flûte enchantée, un opéra riche en symbolisme maçonnique. Franz Heinrich Ziegenhagen, un socialiste utopiste, était un représentant des Lumières radicales et égalitaires. Son texte est un plaidoyer passionné pour la tolérance religieuse, contre le fanatisme et pour la paix entre les peuples. La Cantate est l’une des dernières œuvres de Mozart ; il l’a composée en juillet 1791. Il est décédé le 5 décembre de la même année. [RV]

 

 

 

Récitatif

 

Vous qui honorez le créateur de l’univers incommensurable,

Que vous l’appeliez Jéhovah, Dieu, Fu ou Brahma, écoutez !

Écoutez les paroles du porte-voix du Tout-Puissant !

À travers les terres, les lunes, les soleils, leur son éternel résonne haut et fort,

Écoutez hommes, écoutez hommes, vous aussi !

 

 

Andante

 

Aimez-moi dans mon travail,

Aimez l’ordre, la symétrie et l’harmonie !

Aimez-vous, aimez-vous, aimez-vous-même et vos frères,

Aimez-vous vous-même et vos frères !

Que la force physique et la beauté soient votre parure,

Lumineuse, votre noblesse !

Tendez la main fraternelle de l’amitié éternelle,

À celui qui ne vous a jamais caché ni une folie, ni une vérité !

 

 

Allegro

 

Cassez cette sarabande de folie,

Déchirez ce voile de préjugés,

Débarrassez-vous de la robe,

Qui habille de sectarisme lhumanité !

La faucille se forge de fer,

Le sang humain, le sang du frère versé jusqu’à présent !

On explose la roche avec la poudre noire,

Le plomb meurtrier finit souvent dans le cœur du frère !

 

 

Andante

 

Ne pensez pas que le vrai malheur soit sur ma terre !

L’enseignement fait le bien,

Seulement s’il vous pousse à de meilleures actions,

Hommes qui êtes dans la misère,

Si, par sottise aveugle, vous repoussez l’aiguillon,

Qui vous fait avancer, vous devrez avancer.

Soyez sages, soyez courageux et soyez frères !

Alors descend sur vous toute ma satisfaction,

Alors les larmes de joie inondent vos joues,

Alors vos lamentations deviennent des cris de joie,

Alors vous arrivez dans les vallées d’Éden,

Alors tout dans la nature vous sourit,

 

 

Allegro

 

Alors on touche au vrai bonheur de la vie !

 

 

PETITE CANTATE ALLEMANDE    ou    PETITE CANTATE MAÇONNIQUE
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