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23 décembre 2018 7 23 /12 /décembre /2018 17:49

 

ÉROTOCRITE

 

 

Version française – ÉROTOCRITE – Marco Valdo M.I.2018

d’après la version italienne

EROTOCRITO de Riccardo Venturi – 2017 (Traduzione integrale di Riccardo Venturi
Firenze, 6 luglio 2016
Firenze, 9 giugno 2017.)

d’une chanson grecque (Cretese / Cretan),

Érotocrite [Ερωτόκριτος] - Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou – 1976

tirée de Ερωτόκριτος, poème de Vincenzo Cornaro (1553-1614)

 

 

 

 

 

 

Cette page a une longue histoire. Ou mieux, une longue préhistoire. On pourrait dire que c’est une vieille promesse que je n’ai pas tenue à temps, en raison aussi des nombreuses difficultés qu’elle présente ; cependant, lors de nombreux et très longs coups de téléphone nocturnes avec Gian Piero Testa (Gian Piero Testa, collaborateur historique des Chansons contre la Guerre et âme de la « Section Grecque », avec des dizaines de traductions magistrales, nous a laissés le 28 novembre 2014), c’était devenu comme une espèce d’obsession. « Tôt ou tard, je me mettrai à l’Érotocrite », « Et l’Érotocrite, où en est-il… ? ». Il n’en était en réalité nulle part, l’Érotocrite ; c’est une promesse que je tiens, donc, hors tous les délais. Ou peut-être non, peut-être, qu’il n’existe aucun délai, maximum ou minimum. J’espère de toute façon que les aventures et les péripéties amoureuses d’Érotocrite et d’Arétuse ne déplairont pas ici, péripéties dont je vais un peu parler.

 

L’Érotocrite [Ἐρωτόκριτος] doit être compté parmi les chefs-d’œuvre de la littérature de tous des temps, et ce n’est certes pas une de mes « lubies », mais l’avis d’un grand nombre de personnes. Il l’est certainement de la littérature crétoise qui elle-même appartient à la littérature néo-hellénique, mais il y occupe une place particulière et bien distincte. Il s’agit d’un poème du genre épique-amoureux, fait de 10 012 distiques, en rime baisée AABB, écrit dans une langue qui, usuellement, est appelé « dialecte crétois oriental », mais qui s’inspire beaucoup de la langue (grecque) classique (dont les formes sont conservées dans les dialectes archaïques de l’île). Ses aventures renvoient directement au roman médiéval français, ou « franc », et en particulier au roman « Paris et Vienne » (XV siècle ; le titre n’a rien qu’à voir avec les deux villes, mais il signifie « Paris et Viviane »). Ses intrigues se confondent précisément avec celles de l’Érotocrite, même si dans l’original français, elles sont parallèles aux Croisades. Le roman français est attribué au marseillais Pierre De La Cépède.

(Lucien l’âne qui en connaît un bout précise : Dans ce roman, après moult tribulations, Paris, devenu Sarrasin, sauve le Dauphin de France et le ramène à Aigues-Mortes ; revenu en ses états, le Dauphin accepte de lui donner comme épouse, sa fille – Vienne. Tout est bien qui finit bien : Paris épouse Vienne, hérite du Dauphiné ; ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants : quatre fils et trois filles ; Paris vécut jusqu’à 105 ans et Vienne jusque 97 ans ; soit environ 80 ans de vie commune).

 

L’Érotocrite fut sûrement écrit au XVII siècle ; il fut publié sous forme imprimée pour la première fois à Venise en 1713, sous le titre Ποίημα ἐρωτικόν λεγόμενον Ἐρωτόκριτος chez l’imprimeur Bortoli. Ce n’est certes pas un hasard, qu’il ait été imprimé et publié à Venise, même si la Sérénissime avait déjà depuis longtemps perdu la Crète, ou mieux Candia, du fait des Ottomans. Entre la Crète et Venise, il subsista un lien très étroit, et je n’ai aucun doute que Gian Piero Testa, à ce point, aurait évoqué Γεια σου χαρά σου Βενετιά, chanson de Nikos Gatsos. Ce fut probablement à cause de ses liens indissolubles avec Venise que la Crète et sa littérature, jusqu’au moins à l’indépendance hellénique de 1821, continuèrent à tenir seules le flambeau des lettres dans un monde grec embarbarisé par la Turcocratie. En Crète, diverses traditions européennes (le roman amoureux français et le roman pastoral italien in primis) se confondirent avec les traditions locales, en donnant vie à des compositions souvent originales et de grande valeur, qui furent à leur tour répandues par les imprimeries vénitiennes, chez les rares personnes qui en Europe occidentale, connaissaient et savaient utiliser les caractères grecs et qui, surtout, étaient en mesure de comprendre le grec vulgaire.

 

Selon la tradition, et ainsi qu’il est indiqué dans sa première édition, l’auteur de l’Érotocrite serait Vincenzo Cornaro, et ce nom évoque immédiatement de faciles et compréhensibles suggestions. J’évite cependant ici d’établir quelqu’arbre généalogique (on pense à la famille des Corner, pleine de doges et d’une reine de Chypre) ; l’existence même de l’auteur est par beaucoup, et à raison, mise en doute. Les seuls éléments certains proviennent, du reste, des deux derniers distiques du poème, sorte de « signature » dans laquelle apparaît un Βιτζέντζοc Κορνάροc (Vicénzos Kornáros ou Vitséntzos Kornáros) qu’on dit né à Στεία, à savoir le Σητεία d’aujourd’hui (en italien – comme en français – Sitia, dans la partie orientale de l’île de Crète). En réalité, certaines indications fragmentaires sur Vincenzo Cornaro existent : il serait né le 29 mars 1553 à Trapezonda, faubourg de Sitia, et serait mort en 1613 ou 1614 (sur la base de telles hypothèses biographiques, l’Érotocrite devrait être attribué à la seconde partie du XVI siècle). Il aurait été le fils d’un aristocrate vénitien de l’ancienne lignée royale des Cornaro, ou Corner, hellénisé (ou mieux, crétoisé). D’ultérieures indications biographiques, sur la crédibilité desquelles beaucoup nourrissent de sérieux doutes, lui attribuent un transfert en 1590 de Sitia à Candia (l’actuelle Héraklion, capitale de l’île), où il aurait épousé Marietta Zeno et aurait eu deux filles appelées Heleni et Katerina (c’est-à-dire, rien de moins qu’une homonyme de Caterina Cornaro, Dame d’Asolo et Reine de Chypre, Jérusalem et d’Arménie – 1454-1510). Toujours selon les indications biographiques, Vincenzo Cornaro aurait été, entre 1591 et 1593, directeur sanitaire de Candia au moment d’une épidémie de peste ; ses intérêts littéraires trouveraient leur source, tant en langue vénitienne que grecque, à l’Accademia degli Stravaganti (Académie des Extravagants), dont la fondation à Candia est attribuée à son frère Andrea. Vincenzo Cornaro serait mort pour des causes inconnues, en 1613 ou 1614, et enterré dans l’église de San Francesco, où on ne trouve aucune trace de sa tombe. Maintenant, nombre de sources, cependant, déplacent la date de la mort de Vincenzo Cornaro en 1677, en indiquant 1613 ou 1614, comme année de naissance. Comme on peut voir « Vincenzo Cornaro », encore faut-il qu’il ait effectivement existé (la chose est de toute façon possible), comporte beaucoup d’éléments légendaires, tout comme il est certain que l’Érotocrite a en soi beaucoup de caractéristiques des œuvres populaires, en premier lieu des célèbres μαντινάδες [madinades] crétoises, typiques de la partie orientale de l’île. Que le poème présente une composante cultivée et « littéraire » est indubitable ; une analyse approfondie de sa langue et de ses tournures poétiques le révèle clairement. On gardera donc son attribution traditionnelle à Vincenzo Cornaro.

 

L’Érotocrite, en sa structure et son argumentation, est un roman pleinement médiéval malgré sa rédaction assez tardive. Des romans du genre circulaient encore pleinement dans l’Europe XVI et du XVIIe siècles. Arrivé sur les rivages de Crète, le « Paris et Vienne » reçut, comme il apparaît, un traitement particulier, et pas seulement du point de vue de la métrique et du langage ; il fut importé tel quel, en somme, dans la tradition crétoise (ou mieux, crétois-vénitienne) en maintenant des liens évidents avec ses origines. Éliminé tout élément remontant aux Croisades, elle devint bien vite l’œuvre la plus représentative et vitale de la littérature crétoise, l’unique qui s’exprimait entièrement à travers des dialectes vulgaires. L’action est transposée en Grèce, dans une ancienne Athènes imaginaire qui reproduit par contre parfaitement (même dans l’imagerie traditionnelle du poème) une ville médiévale. Athènes est sous la coupe d’un roi, Eraclio, qui a une fille unique et très belle, âgée de dix-huit ans, Arétuse (« Vertueuse »). Le jeune Érotocrite (qui dans le poème, à une partie le titre, est exclusivement nommé dans sa forme populaire Ῥωτόκριτος [Rotòkritos]…), fils du conseiller du roi Pezòstrato (« Soldat d’infanterie »), en tombe éperdument et désespérément amoureux (« Érotocrite » signifie « Tourmenté de l’Amour »). Chaque nuit Érotocrite, poussé par la passion, se rend avec son luth sous les fenêtres du palais royal pour chanter des vers d’amour, après les avoir transcrits pour pouvoir s’en souvenir. Le roi Eraclio, père de la belle Arétuse, met en place divers guets-apens pour découvrir l’identité de l’amoureux de sa fille, et par lui, Érotocrite est forcé d’interrompre ses sérénades passionnées. Arétuse, qui, avec le temps, est aussi tombée follement amoureuse du garçon, s’en afflige beaucoup et confesse tout à sa nourrice ; Érotocrite part, rendant malade de douleur son père, qui reçoit la visite de la reine et de sa fille Arétuse, quand cette dernière trouve dans le jardin une cabane où Érotocrite a l’habitude de se tenir et dans laquelle il garde ses poèmes d’amour. En raison de la maladie de son père, Érotocrite rentre à Athènes, craignant toutefois qu’Arétuse ait tout révélé à son père, le roi Eraclio ; mais celui-ci ne sait rien, et le jeune homme recommence ainsi à fréquenter la cour en participant à un tournoi de chevalerie. Érotocrite l’emporte, et reçoit le prix des mains d’Arétuse, qui lui déclare ensuite son amour. Érotocrite prend courage et demande au roi Eraclio la main d’Arétuse ; mais le roi la lui refuse et l’envoie en exil (sujet du très célèbre morceau Τὰ θλιβερὰ μαντάτα). Arétuse lui offre un anneau, comme gage d’amour et de fidélité ; le roi son père veut donner Arétuse comme épouse au prince de Byzance. Sa fille refuse, et le père fait alors enfermer Arétuse en prison. Entretemps, la guerre a éclaté entre le roi d’Athènes et le roi des Valaques ; Érotocrite revient alors combattre pour sa patrie, en tuant beaucoup de Valaques et en sauvant la vie du roi Eraclio, qui avait été enlevé. Le roi offre à Érotocrite la moitié de son royaume et il lui concède la main d’Arétuse. Le roman se conclut heureusement avec les noces des deux amoureux.
 

Comme dit supra, la transposition du roman médiéval français en terre de Crète a produit, comme toutes les hybridations, une œuvre littéraire fort originale à tout point de vue. Sous celui de l’acclimatation, puisque du poème on entrevoit parfaitement Crète sous les dépouilles de l’ancienne Athènes imaginaire (à son tour un τόπος (topos) répandu dans l’Europe médiévale ; on pense par exemple aux nouvelles de Boccace acclimatées dans une Athènes elle aussi seulement littérairement classique) ; sous celui de la versification, qui respecte une forme traditionnelle crétoise, celle du μαντινάδα en distiques en rime baisée, au sujet amoureux ou satirique, laquelle est cependant à son tour de dérivation vénitienne (le terme dérive de la vénitienne matinada « chante au matin ») et qui, en dernière analyse, trouve son origine dans l’aubade provençale ; sous celui du langage, où cohabitent les formes dialectales crétoises, les formes neohelléniques normales et les formes classiques en produisant une richesse incomparable ; et sous celui de la fraîcheur, qui rend de la vie à un frustre roman médiéval, sorte feuilleton populaire qui en Crète, fut revitalisé, probablement, aussi par sa transposition immédiate en chant. En réalité, l’Érotocrite est imbibé de la vie grecque, et crétoise en particulier, de ses traditions et de son folklore. En même temps, l’auteur, quel qu’il fut, montre une maestria littéraire consommée ; il sait portraiturer les personnages de manière précise, en montrant un grand esprit d’observation et un considérable approfondissement psychologique des personnages (tout à fait absent du roman médiéval original, uniquement centré sur leurs péripéties aventureuses). Malgré qu’on sache dès le début que les événements compliqués auront une fin heureuse, l’auteur tente habilement de tenir en haleine le lecteur. Par exemple, l’emploi typique des répétitions, du fait qu’il désire maintenir le suspense de l’intrigue et n’est pas du tout désireux d’arriver à la fin (d’où la considérable longueur du poème). En italien, le poème a été traduit intégralement et commenté en 1975 par le grand néohelléniste Francesco Maspero, pour les éditions Bietti ; mais pour les morceaux de cette page, on offre des traductions originales.
 

Comme ce peut être évident, l’Érotocrite a eu des transpositions musicales dans les temps contemporains ; ce commentaire s’intéresse spécifiquement à la principale d’entre elles. Elle remonte à 1976, quand douze morceaux d’Érotocrite furent mis en musique par le musicien athénien Christodoulos Hàlaris (Χριστόδουλος Χάλαρης, né en 1946) et confiés aux voix de Tania Tsanaklidou (Τάνια Τσανακλίδου, né en 1952 à Drama en Macédoine) et, surtout, du Crétois Nikos Xylouris « Psaronikos » (1936-1980). En réalité, le premier des douze morceaux, Ὁ τροχὸς τῆς Μοίρας, avait été mis en musique par Halaris déjà en 1964 et interprété de Manos Katrakis (Μάνος Κατράκης). Le succès de l’album fut extraordinaire, et pas seulement grâce à la voix de l’« Archange de Crète ». L’Athénien Halaris avait créé des musiques qui, orchestration à part, pourraient être difficilement distinguées des authentiques compositions populaires crétoises. D’autres morceaux de l’Érotocrite ont été mis en musique par d’autres, parmi lesquels on rappelle Paris Perysinakis, Nikos Mamangakis, Nikos Xydakis ; un morceau (le vv. 491-514) l’a été par Miltiadis Paschalidis et interprété par le même Nikos Xylouris. Mais l’album de 1976 reste l’Érotocrite en musique par excellence L’espoir de cette page longue et compliquée, faite pour s’acquitter de la promesse faite à (au regretté) Gian Piero Testa, est qu’au-delà d’inciter à la lecture d’Érotocrite dans son intégralité, elle fasse quand même un peu rêver. [RV]


 


 

Vincenzo Cornaro


Érotocrite

Fragments mis en musique par
CHRISTODOULOUS HALARIS

Interprètes
NIKOS XYLOURIS
TANIA TSANAKLIDOU
1976

 

 

1. La roue du Destin
Nikos Xylouris

 


 

Les tours du cerceau, qui montent et descendent,
Et de la roue, qui parfois montent et parfois s’abîment
Avec le temps qui ne s’arrête pas,
Mais marchent et courent par malheurs et joies.

 

Armes, tumultes, inimitiés, charges,
Les pouvoirs de l’Amour, la vertu de l’Amitié.
Tout cela me pousse, en ce jour à raconter
Et à dire ce que connurent et firent

 

Une fille et un garçon, qui se lièrent l’un à l’autre
D’une amitié pure, sans aucune indécence.
Son nom, son doux nom est Arétuse,
Grandes sont ses beautés, extérieures et intérieures.

 

La nature l’a faite femme pleine de grâce ;
Ni à l’Orient et ni à l’Occident, on ne trouve son égale
Et le nom du garçon est Érotocrite,
Un torrent de courage, un flux de noblesse.

 

Et toutes les grâces par le Ciel et les Étoiles engendrées
Desquelles il a été doté, lui ont été destinées,
Et dans la nuit fraîche où chacun se repose
Et tout animal cherche un endroit pour la pause,

 

Il prend son luth, et marchant silencieusement,
Devant le palais, il va jouer doucement.


 

2. Racines
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou


 


 

Dans le passé, du temps où commandaient les Hellènes
Et où leur foi n’avait ni base ni racine,
Parut dans le monde un amour fidèle qui fut gravé
Dans le cœur sans jamais s’effacer.

 

À Athènes, qui nourrissait l’étude et la sagesse,
Et qui était trône de vertu et fleuve de connaissance,
Un grand Roi régnait sur cette digne terre,
Il s’appelait Eraclio et devint célèbre.

 

Très jeune, il épousa et vécut avec une compagne

À laquelle on ne trouva jamais de défaut, personne ;
Artemide était le nom de cette Reine,
Pour la sagesse, elle n’eut jamais d’égale.

 

Et ils priaient souvent le Soleil et le Ciel afin
Qu’ils leur concèdent l’enfant tant désiré ;
Passent les mois et les ans, et la Reine fut enfin
Enceinte et le Roi ne dut plus ruminer de graves pensées.

 

Elle eut une fille qui illuminait le Palais
Quand la nourrice dans ses bras la montrait ;
Son nom, son doux nom était Arétuse,
Grandes ses beautés, généreuses ses muses.

 

Le Roi disposait de beaucoup d’hommes riches et sages,
Conseillers qui étaient ses vassaux fidèles.
Parmi eux, un lui était cher, qu’il tenait toujours en sa compagnie,
Celui-là s’appelait Pezòstrate.

 

Lui aussi avait un enfant adoré,
Intelligent et de grande valeur, comme le miel, sucré.

 


 

3. L’Heure de l’Amour
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou

 

 

Le nom de ce garçon était Érotocrite,
C’était un flux de vertu, un flux de noblesse.
Et de toutes les grâces par le Ciel et les Étoiles générées
Il avait été doté, car elles lui avaient été destinées.

 

Durant ce temps, le sort amer infuse
En son esprit l’amour pour Arétuse.
Et que fait l’Amour, dans un cœur qu’il commande,
Si ce n’est le vaincre pour que le bien du mal, il ne distingue ?

 

Il se fait soir, il se fait nuit, leurs cœurs défaillent,
Voilà la rencontre à la fenêtre et se disent leurs tourments.
Une heure durant, ils pleurent et gémissent âprement,
Puis, avec de grands soupirs, ils étreignent leurs peines.

 

 

ÉROTOCRITE
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Published by Marco Valdo M.I.
20 décembre 2018 4 20 /12 /décembre /2018 17:44

 

 

Le Moine de Lamme

 

 

 

 

 

Chanson française – Le Moine de Lamme – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
119
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
IV, XX)

 

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

 

Je pense, Lucien l’âne mon ami, que tu n’auras aucune difficulté à te souvenir de ce que, dans la dernière chanson (Dent de Vipère), Lamme venait d’arrêter un moine et qu’il le menait prisonnier au navire en vue d’en tirer une rançon qu’il estimait à cent florins.

 

 

 

Oui, oui, dit Lucien l’âne, je m’en souviens très bien et même, particulièrement, de la manière dont Lamme l’invectivait : « Sac à lard, ventre à soupe, boudine à boudin ! », qui m’a fait beaucoup rire. À part moi, je me suis dit : Lamme a trouvé à qui parler, il doit avoir découvert plus gros et plus gras que lui. Et puis, j’aime beaucoup ce titre qui me rappelle le titre d’une chanson de Tonton Georges : « La Cane de Jeanne », qui avait déjà été évoquée à propos d’une autre chanson de Lamme : La Femme de Lamme.

 

 

 

Comme tu as parfaitement saisi la situation, dit Marco Valdo M.I., tu auras toute facilité pour suivre cette nouvelle séquence de la confrontation de Lamme et du religieux. Arrivé à bord, ce gras tonsuré suscite quolibets et moqueries de l’équipage. Puis, au fur et à mesure qu’il prend conscience du fait qu’il n’est pas question de le tuer, mais d’en tirer bonne rançon, il va retrouver toute sa hargne et répliquer très vertement. Il va outrepasser ce qui était tolérable pour l’équipage et – c’est la goutte qui fait déborder le vase – jeter des malédictions divines à la tête de ses interlocuteurs. C’est évidemment la chose à ne pas faire, car même chez les Gueux, on n’aime pas se faire maudire.

 

 

 

Oh, dit Lucien l’âne, c’est en effet une très mauvaise idée, car cette peur des malédictions est vraiment très répandue et aussi, très puissante. Je l’ai rencontrée partout où je suis allé. Cependant, rassure-toi, à titre personnel, je m’en fous complètement malgré le fait, et peut-être même à cause du fait, que j’ai été ensorcelé.

 

 

 

Effectivement, reprend Marco Valdo M.I., cette peur est une manifestation de la superstition qui, au-delà des croyances officielles, au-delà des enseignements des religions, et bien plus qu’eux, imprègne les gens aussi bien des villes que ceux des campagnes et cette superstition touche encore à présent nombre de personnes, quelle que soit leur religion ou même, ce qui est plus étrange, leur absence de sujétion à une église ou religion quelconque. Par exemple, je connais certains incroyants, anticléricaux convaincus qui, au passage d’un cortège funèbre ou à la simple évocation de la mort, se touchent les roubignoles pour conjurer le sort. Et nous sommes près d’un demi-millénaire plus tard et dans une société fortement sécularisée. Et donc, cet habile et madré capucin, colérique et arrogant, formé aux techniques d’intimidation ecclésiastiques lance – tel un sorcier des plus primitifs – ses imprécations terrifiantes. Et tu verras que la réaction des Gueux n’est pas celle qu’il pouvait espérer. Mais laissons dire la chanson.

 

 

 

Voyons vite la suite qui, je te l’avoue, Marco Valdo M.I. mon ami, m’intrigue assez et tissons le linceul de ce vieux monde croyant, crédulité, superstitieux, évangélisé et cacochyme.

 

 

 

Heureusement !

 

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 

 

 

 

L’apôtre obèse dit : « Je marche,

 

Monsieur le Gueux, je marche,

 

Mais sauf le respect dû à votre braquemart,

 

Vous êtes pareil à moi ventru, pansu, pansard. »

 

 

 

Et Lamme répond : « Marchez,

 

Monsieur le Moine, marchez,

 

Mais n’allez pas comparer

 

Votre graisse claustrale à ma rotondité.

 

 

 

Courez, courez ou je vous ferai

 

Courir comme un chien ;

 

Je vous activerai de mon pied

 

Pour votre plus grand bien. »

 

 

 

Et l’évangélisateur, bousculé, essoufflé

 

Ne peut trotter et Lamme ahane épuisé.

 

Ainsi, d’une marche de funérailles,

 

Ils atteignent le bercail.

 

 

 

Et le gros père monte sur le pont

 

Panse en avant, les mains liées derrière le dos.

 

« Qui est-ce ?, dit Nelle. Je connais ce gros. »

 

Lamme répond :« Il vaut cent florins de rançon. »

 

 

 

Me voilà, pense le prédicateur, bien en peine,

 

Mais rançon n’est pas mort certaine.

 

Il reprend du poil de la bête,

 

Il redonne de la voix, il redresse la tête.

 

 

 

« Gueux, par le Saint Dieu, votre gueuserie est vilaine ! »

 

Et les soudards et les matelots rient,

 

Déparlent de la Vierge, décrient

 

Les saints, les sacrements et l’Église romaine.

 

 

 

Tous jusqu’au mousse se gaussent

 

Et disent des moqueries d’une voix fausse.

 

Le prêcheur réplique en haussant le ton

 

À coups d’injures et de malédictions.

 

 

 

Piqués au vif, les hommes d’équipage

 

À leur tour se prennent de rage

 

Et veulent pendre le frère effronté.

 

Lamme dit : « Laissez-moi ce porc, je vais l’engraisser ! »

 

 

 

Et Lamme fait mettre en cage

 

Le cénobite énorme et le nourrit

 

Et de ce prêtre furibond, de potages

 

Et de sauces, il fait une grasse houri.

 

 

 

Le Moine de Lamme
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20 décembre 2018 4 20 /12 /décembre /2018 10:58

 

 

LA BALANÇOIRE

 

– nouvelle version de décembre 2018

 

 

 

Version française – LA BALANÇOIRE – Marco Valdo M.I. – 2018

Chanson italienne – L’altalena – Radici nel cemento – 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette chanson ne nécessite pas vraiment de commentaire, tant elle est intemporelle. Ou presque, puisqu’il a quand même fallu qu’existe quelque part une balançoire.

La première version française, datée de 2008, tout comme celle de 2018, qui était commentée, n’ont pas été fondamentalement changées, même si elles ont été améliorées.

 

 

 

Rien ne dure dans l’éternité :

Ni la joie, ni l’amour,

Ni une vie d’enfer,

Ni la rage, ni la douleur.

Souviens-t’-en quand tu montes, la vie est une balançoire ;
Souviens-t’-en quand tu descends, la vie est une balançoire ;
Quand tu gagnes, quand tu perds, la vie est une balançoire

Et le jeu dure tant que tient la chaîne.

Chaque jour, la roue tourne ;

Chaque jour peut changer ta vie.

À l’improviste, à tout moment,

Le vent peut changer de direction, à chaque instant.

La vie est une balançoire,

Il n’y a pas d’échappatoire,

Pas d’issue de secours.

Il faut prendre la vie comme elle vient

Vivre, jour après jour,

À tout instant, la prendre comme elle vient.

C’est justement quand tu es certain

Que tout est en ordre,

Qu’il n’y a pas de problème,

À ce moment, garde-toi bien

tout peut changer autour de toi.

Rien ne dure dans l’éternité

Ni l’argent, ni la carrière,

Ni l’hiver le plus rude

Ni l’infortune, ni la misère.

Souviens-t’-en quand tu montes, la vie est une balançoire ;
Souviens-t’-en quand tu descends, la vie est une balançoire ;
Quand tu gagnes, quand tu perds, la vie est une balançoire

Et le jeu dure tant que tient la chaîne.

C’est justement quand tu es proprement convaincu

Que tout est à jamais perdu

Et qu’il n’y a pas d’espoir.

À ce moment-là, lève-toi, car

C’est l’instant d’un nouveau départ.

La vie est une balançoire,
La vie est une balançoire,
La vie est une balançoire

 

 

 LA BALANÇOIRE – nouvelle version de décembre 2018
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18 décembre 2018 2 18 /12 /décembre /2018 18:42

Dent de Vipère

 

 

Chanson française – Dent de Vipère – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
118
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
IV, XX)

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

À vrai dire, Marco Valdo M.I. mon ami, je ne sais pas trop si la dent de vipère est si dure qu’il faille la limer pour la mettre hors d’état de nuire ; le vrai danger avec la vipère, ce n’est pas la dent elle-même, mais le venin qu’elle permet d’instiller dans le corps qu’elle mord ; c’est par l’entremise de ce venin qu’elle mord à mort.

 

Je pense comme toi, Lucien l’âne mon ami, cependant, ce n’est pas vraiment là le sujet de la chanson. Enfin, pas directement. Même si, en finale, ce serait le cœur-même de toute la saga de liberté : limer la dent du vieux monde.

 

Oh, dit Lucien l’âne, ça m’évoque irrésistiblement notre devise que nous avons reprise des Canuts : tisser le linceul du vieux monde. En somme, Till, Nelle, Lamme et nous poursuivons le même objectif, nous avons – peut-être sous des vocables différents – le même but : un monde qui naîtrait toujours nouveau de ses propres créations, sans cesse naissantes, au hasard de la vie, dans un accomplissement de liberté.

 

J’aime moi aussi beaucoup cette idée, reprend Marco Valdo M.I. ; pour le reste, dans la chanson, c’est la guerre de liberté qui continue ; elle devient routinière. Pour certaines gens de l’époque, la guerre, c’est la vie. Pense donc, une guerre qui dure quatre-vingts ans. Je ne sais pas toi, mais moi, j’ai des difficultés à imaginer une guerre d’une telle durée. On a le temps d’y naître, d’y faire des enfants, d’avoir des petits-enfants et pourquoi pas, des arrières-petits-enfants ; sans même se presser. Mais trêve de divagation, une chose est certaine, c’est que la dent de vipère espagnole était fort difficile à réduire. L’envahisseur, le colonisateur s’entêtait à se croire chez lui et en droit de l’être et par son entêtement, il ne faisait qu’aggraver les choses et rendre la vie impossible à d’entières populations qui n’en demandaient pas tant et se seraient bien contentées de vivre, chose qu’elles jugeaient suffire à leur bonheur et à tous leurs emmerdements. Toutefois, au bout du compte, l’Empire espagnol et son bras spirituel, l’Inquisition, vont perdre plus que s’ils avaient dès le début cherché une solution pacifique dans une ambiance générale de liberté.

 

C’est pure raison, dit Lucien l’âne. D’autant plus que pour contraindre l’autre, il faut impérativement se contraindre soi-même. C’est le paradoxe du gardien, qui est plus prisonnier de la prison que le prisonnier. Un prisonnier peut s’évader de sa situation par l’esprit et par l’espoir d’en sortir ; le gardien ne peut oublier un instant la prison. Le prisonnier peut se voir pu s’imaginer exister sans la prison ; pas le gardien. Que devient le prisonnier sans la prison, sans le gardien ? Il est libéré d’un poids, il retrouve la vie ; pour le gardien, sans la prison, sans le prisonnier, il n’a plus de raison d’être. Bien entendu, il s’agit d’une métaphore du gardien, de sa quintessence. On le décrirait mieux en disant, en spécifiant le « service complexe de garde qu’est la prison ». Sans compter que si le prisonnier peut s’évader ou être libéré au bout d’un temps, le gardien est prisonnier de la prison, en quelque sorte, à vie.

 

C’est exactement ça, reprend Marco Valdo M.I., et il en va de même pour le colonisateur, l’occupant, le dominateur, etc., qui s’épuise sans repos à cette œuvre de domination. En fait, il s’intoxique de sa propre haine, de ce mépris qu’il porte à l’autre considéré comme inférieur. D’autre part, il me plaît d’attirer l’attention sur le fait que les Gueux ne font pas vraiment de prisonniers à long terme ; la plupart du temps, s’ils ne les rallient las à leur cause, ils les relâchent contre rançon. Et pour en finir à propos de la chanson, j’invite à considérer la relation assez étrange et farce entre Lamme et son prisonnier.

 

Je conclurai, dit Lucien l’âne. Tissons le linceul de ce vieux monde emprisonneur, intoxiqué, autodestructeur, dominateur et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Les poules repues de graines

Restent sourdes aux appels de Chantecler,

Le vent de la mer a oublié l’hiver,

Lors, Till harangue soudards et marins.

 

« Par un placard singulier,

Le duc de sang a imposé encore

Ruine, faim et mort.

Aux gens par lui déjà rançonnés,

 

Tous ceux qui, à sa royale volonté,

Ne se soumettront de bon gré,

Par sa Royale Majesté seront éliminés

Et leurs logis iront aux soudards étrangers.

 

La lime arase la dent de la vipère ;

Nous limerons la dent du vieux Monde

Et nous sauverons de la haine immonde

Des furieux, la terre des pères.

 

Albe, le sang te soûle !

Nous ne croyons pas à ta clémence,

Nous ne craignons pas plus tes menaces

Que les soubresauts de la houle.

 

Jusqu’Anvers, descendons l’Escaut !

Nous irons accoster au Pier

Pour prendre hommes, vaisseaux,

Bateaux et navires.

 

En ville, en plein jour, compagnons,

Tous les prisonniers, nous délivrerons,

Certains bourgeois nous emmènerons

Afin d’en tirer juste rançon.

 

Le fils de l’amiral est ici en otage

Dans une de ces maisons à étages,

Cherchons-le pour le libérer

Et le ramener à bord sans tarder.

 

Lamme avise un moine capon,

Pansu, pansard, très gras, très gros,

Le happe soudain par le capuchon

Et devant lui, le pousse au trot.

 

« Cent florins de rançon, au moins !

Trousse ton bagage et marche devant,

Sac à lard, ventre à soupe, boudine à boudin ! »

Pataud, pitaud, le moine court lentement.

Dent de Vipère
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Published by Marco Valdo M.I.
17 décembre 2018 1 17 /12 /décembre /2018 17:22

 

PAUVRES TOUJOURS

 

 

 

Version française – PAUVRES TOUJOURS – Marco Valdo M.I. – 2018

 

Chanson italienne (Pugliese Foggiano)Sempre poveriMatteo Salvatore1970 (?)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

 

Comme à l’ordinaire, commence Marco Valdo M.I., je te convie à un dialogue à propos de cette chanson et ce dialogue, cette conversation a comme objet la « maïeutique », c’est-à-dire l’aide à la mise au jour du sens, de la signification ; une mise au jour particulièrement utile quand il s’agit de saisir le flux de pensées, d’idées, etc. que véhicule la chanson. Cette clarification, cette élucidation est nécessitée par le fait que la chanson est porteuse de poésie.

 

 

 

De fait, dit Lucien l’âne, les mots de la chanson ne s’entendent pas comme ceux d’un manuel scolaire, d’une notice d’utilisation, d’un traité scientifique, d’un énoncé mathématique, et ainsi de suite. La chanson parle autrement, elle use d’une autre langue, radicalement.

 

 

 

Tu ne penses pas si bien dire, Lucien l’âne mon ami. Même quand elle chante une explication technique comme Le Moteur à Explosion (Chanson plus bifluorée)  :

 

 

 

« Voyons le principe du moteur à explosion :
La soupape d’admission
s’ouvre,
Le piston aspirant ainsi le carburant ;
Le piston comprime
En remontant le carburant,
Ensuite, a lieu le troisième temps :
Les soupapes étant fermées,
Le piston redescend 
»

 

 

 

sur l’air de Le Loup, la Biche et le Chevalier (Une Chanson douce) d’Henri Salvador ou La Pince à Linge (Pierre Dac et Francis Blanche), sur une musique de Ludwig van Beethoven :

 

 

 

« La pince à linge !

 

La pince à linge !
La pince à linge fut inventée en 1887
Par un nommé, par un nommé Jérémie-Victor Hopdebecq,

 

Prenez deux petits morceaux de bois

 

Que vous assemblez en croix
Avec un petit bout de fil de fer
Et un ressort en travers.
Vous saisissez cet instrument
Entre votre pouce et votre index,
Vous le serrez en appuyant
Afin qu’il soit bien circonflexe ;
Alors vous l’approchez
Du linge, du linge à faire sécher
Et vous lâchez… »

 

 

Marco Valdo M.I. mon ami, tu digresses exagérément ; viens-en au fait. Même si le charme de ces petits dialogues est précisément de digresser, il n’en faut pas moins, à un certain moment, dire quelques mots de la chanson.

 

 

 

J’y pensais justement, dit Marco Valdo M.I., à aborder le sujet. Un sujet qui me tient à cœur, comme à toi certainement. D’autant plus que cette chanson a explicitement des résonances lévianes, quand elle évoque cet État qui s’échoue dans les vallées désertes d’au-delà d’Eboli, ce lieu où Carlo Levi vécut et a voulu être mis en terre :

 

 

 

« Mi è grato riandare con la memoria a quell’altro mondo, serrato nel dolore e negli usi, negato alla Storia e allo Stato, eternamente paziente ; a quella terra senza conforto e dolcezza, dove il contadino vive, nella miseria et nella lontananza, la sua immobile civiltà, su un suolo arido, nella presenza della morte. »

 

 

 

« Il me plaît de retourner par la mémoire à cet autre monde, enfermé dans la douleur et les us, renié par l’Histoire et l’État, éternellement patient ; à cette terre sans confort et dans douceur, où le paysan vit, dans la misère et l’éloignement, sa civilisation immobile, sur un sol aride, en présence de la mort. »

 

 

 

Oh, dit Lucien l’âne, je reconnais ce passage et citation pour citation, j’enchaîne :

 

 

 

« – Noi non siamo cristiani,essi dicono,Cristo si è fermato a Eboli – … Noi non siamo cristiani, non siamo uomini, non siamo considerati come uomini, ma bestie, bestie da soma, e ancora meno che le bestie… perché noi dobbiamo subire il mondo dei cristiani, che sono di là dell’orrizonte »

 

« – Nous, nous ne sommes pas des chrétiens, – disent-ils, – le Christ s’est arrêté à Eboli – Nous, nous ne sommes pas des hommes, nous ne sommes pas considérés comme des hommes, mais des bêtes, des bêtes de somme, et encore moins que les bêtes… car nous, nous devons subir le monde des chrétiens, qui sont (venus) d’au-delà de l’horizon »

 

 

 

À propos de l’État, reprend Marco Valdo M.I., regarde ce qu’en dit le même Carlo Levi :

 

 

« Fra lo statalismo fascista, lo statalismo liberale, lo statalismo socialistico, e tutte quelle altre future forme di statalismo… e l’antistatalismo dei contadini, c’è, e ci sarà sempre, un abisso… »

 

« Entre l’étatisme fasciste, l’étatisme libéral, l’étatisme socialiste, et toutes les futures formes d’étatisme… et l’antiétatisme des paysans, il y a, et il y aura toujours, un abîme… »

 

 

 

C’est précisément de cet abîme que parle la chanson. Quant à moi, je reviens un instant sur la nécessaire dichotomie qu’il faut opérer entre pauvreté et misère. Il ne s’agit absolument pas de la même chose ; en gros, la pauvreté, on peut en vivre et même, bien et même, mieux ; c’était le choix de Pierre Valdo, ex-riche devenu volontairement pauvre ; la misère, on ne la choisit pas, elle s’impose et elle tue. Quand je dis qu’elle s’impose, il faut évidemment comprendre qu’elle est imposée non pas par d’anonymes et mystérieuses circonstances, mais par des gens qui accaparent et accumulent à leur profit les biens du monde. En fait, je distinguerais la pauvreté constituée par l’absence de richesses, par la vie débarrassée du superflu et de l’ostentatoire, débarrassée de l’envie et de l’apparence et d’autre part, une autre pauvreté constituée par l’absence du nécessaire à la vie, là commence la misère et elle se prolonge infiniment jusqu’à la mort par manque. Encore une fois, c’est d’elle que parle la chanson.

 

 

 

Je vois bien à présent de quoi il retourne, dit Lucien l’âne. Raison de plus pour tisser le linceul de ce vieux monde inique, injuste, impitoyable, insensé et cacochyme.

 

 

 

Heureusement !

 

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 


« Stato status dominus subissus ammenus », disaient nos pères.
L’État s’est toujours échoué dans les
vals arides d’Eboli.
L’État est un loup de pierre,
Il ne mord pas, car il n’a pas de dents,
Mais il reste un loup
Et les pauvres brebis méridionales sans nourriture et sans bergères en ont peur.
Les étoiles de la Loi ne peuvent pas protéger les étables. »

 


Nous avons toujours été pauvres,
Nous avons toujours habité dans cette fange.
Cette boue est un
e ignominie :
Pour nous pauvres, la vie est finie

Le valide

 

Ne croit pas le malade ;
Le rassasié

 

Ne croit pas l’affamé.

On nous efface de la société.
Pour les pauvres, il n’y a pas de pitié.

 

Un dicton très ancien dit :
« Mang
e l’écorce, épargne la mie »

La mie,
tu la mangeras au soir
À lumière de la chandelle
Et ensuite au dodo.

 

 PAUVRES TOUJOURS
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15 décembre 2018 6 15 /12 /décembre /2018 13:15

 

JANAVEL

 

Version française – JANAVEL – Marco Valdo M.I. – 2018

Chanson italienne Janavel Cantambanchi1982

Texte extrait de La Beidana, revue de culture et d’histoire des Vallées Vaudoises.
Texte
réarrangé à l’écoute par B.B.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Giosuè Janavel, italianisé en Gianavello (Rorà, 1617 – Genève, 5 Mars 1690), était un condottiere italien, appartenant à la communauté vaudoise. Il fut un des protagonistes des Pâques piémontaises de 1655, et écrivit les instructions pour le Glorieux Retour au pays des Vaudois de 1689.

 

La beidana – que mon très cher ami de Luserna forge encore aujourd’hui, avec la même technique qu’alors – est le symbole de la résistance vaudoise contre les persécutions, un instrument agricole (assez proche de la machette) transformé en arme de défense et enrichi pour cela de symboles et de valeurs. Mais Giosuè Janavel savait bien que le fer de l’épée et le courage n’étaient pas suffisants, il fallait aussi l’astuce, la stratégie et les armes à feu.

Et ce fut justement lui, Janavel, qui pendant les « Pâques piémontaises » du 1655, tint tête avec une poignée de compagnons à 600 soldats du régiment du comte Cristoforo de Lucerna. Des rochers au-dessus de Rorà – où il avait sa maison-refuge – Janavel et les siens tinrent en échec leurs agresseurs avec leurs très longues couleuvrines. Janavel était un irréductible et continua la guérilla contre la Savoies durant des années, tant que sa tête fut mise en jeu en échange de la paix ; en 1663, Janavel et ses partisans acceptèrent volontairement l’exil en Suisse pourvu que le duc Carlo Emanuele II mette fin aux incursions contre la population civile…

Mais les Savoies ne tinrent pas leur parole et Janavel fut bien vite rejoint en Suisse par les réfugiés vaudois chassés des vallées par Vittorio Amedeo II. En 1689, tout en étant trop vieux et en trop mauvais état pour combattre, Janavel écrivit les instructions militaires qui permirent aux Vaudois la « Glorieuse Rentrée », le retour dans les terres qu’ils avaient été forcés d’abandonner peu avant.

 

Le « Lion de Rorà », le « Capitaine des Vallées » s’éteignit à Genève, en exil, le 5 Mars 1690. Pour qui serait intéressé, je renvoie à la biographie de Janavel écrite par Ferruccio Jalla. (B.B. - traduit de l’italien)

 

 

 

Janavel chevauche
Un aigle, un ours,
Une licorne (1)
Combattant tout seul
Bartolomeo Malingre,

Comte de Bagnolo.

 

Vers les Vallées,
Montent les soldats,
Les bataillons en armes
Occupent Rorà,
La Tour (2),
Luserna San Giovanni.
Ils
baignent de sang
Le granit, le quartz,
Le foin, les gentianes
Et le sang des Vaudois
Colore la neige
Aux Pâques piémontaises

 

Ces Cavaliers irlandais (3)
Écorchent les femmes,
Écartèlent les enfants,

Les brûlent sur l’aire
Au nom de Dieu et du duc de Savoie.

Janavel traqué
Comme un loup
sur ses montagnes
vieilli et fatigu
é
Dort sur la paille
Sa couleuvrine à son côté.
Les armées savoyardes

Tuent trois mille Vaudois
Et par milliers comme des animaux
Les tiennent à pourrir des années
Dans les forteresses ducales.


Janavel déchaussé
Traverse les Alpes
vers l’exil.

Lion de guerre,
Il ne voit pas la paix
Sur sa terre,
Il ne voit pas la paix
Sur sa terre.

Janavel chevauche
Un aigle, un ours,
Une licorne (1)
Combattant tout seul
Bartolomeo Malingre,

Comte de Bagnolo.

 

 

 

(1) Symboles héraldiques de la Savoie et des seigneurs qui combattaient contre les Vaudois.
(2) Tour est le nom en
piémontais de Torre Pellice.
(3) Durant les persécutions contre les Vaudois, furent employées des troupes mercenaires composées de catholiques irlandais, chassés
de leur pays par le puritain Cromwell et engagés par le marquis de Pianezza avec la promesse qu’ils auraient les terres prises aux Vaudois dans la vallée Pellice.

 

 

 

 

 

JANAVEL
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Published by Marco Valdo M.I.
11 décembre 2018 2 11 /12 /décembre /2018 21:25

 

 

Levée du piège

 

 

Chanson française – Levée du piège – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
117
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
IV, XVIII)

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Depuis des jours, la flotte des Gueux de mer est bloquée par la glace à quelques encâblures devant Amsterdam. C’est là, Lucien l’âne mon ami, une situation périlleuse, car la glace est suffisante pour porter une armée et toute une artillerie. Et la crainte de l’amiral Worst va se révéler exacte. Une nuit, tout une armée passe l’attaque. C’est cette bataille que relate la chanson.

 

Et moi qui pensais, dit Lucien l’âne, que les Gueux étaient sauvés depuis qu’ils avaient pu ramener du ravitaillement lors de l’expédition à la ferme et qu’il leur suffisait d’attendre le dégel tranquillement sur leurs bateaux. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, ils faisaient la fête :

 

« Chez Lamme, c’est musique de cuisine ;

 

Tous ensemble, chez Lamme, on dîne. 

 

Vive le Maître Queux ! Vive les Gueux ! »

 

En effet, reprend Marco Valdo M.I., les Gueux se réjouissaient et meublaient l’attente du dégel en faisant de somptueux repas, mais tout en gardant – et heureusement – un œil vigilant sur le rivage. Pour eux, l’attaque qui viendra n’aura rien d’une surprise. Souviens-toi qu’ils avaient déjà fait l’objet d’une pareille tentative à Emden (Le Navire dans la Glace ; Les Boeufs qu’on abat) et qu’ils n’avaient dû leur salut qu’à la fonte soudaine de la glace qui couvrait le Dollard. Juste une parenthèse à propos de ces épisodes récurrents pour indiquer que les Gueux – hommes du Nord – sont habitués à de telles conditions hivernales, d’autant que ce phénomène est récurrent en ces années à cheval sur le 16ᵉ et le 17ᵉ siècles, où la petite glaciation atteint son minimum ; alors qu’aujourd’hui, le réchauffement climatique fera bientôt pousser des palmiers dans les oasis du Zuiderzee.

 

Oui, oui, répond Lucien l’âne. De ce fait, ils ont de l’expérience et savent à quoi s’attendre.

 

Et c’est ce qui va les sauver, Lucien l’âne mon ami, car l’attaque est d’envergure : plus de mille hommes avec de l’artillerie et tout le matériel d’abordage. En plus, ce qui importe énormément à ces troupes mercenaires cupides des Espagnols, il y a tout le butin de la flotte venue de Lisbonne qui se trouve encore nécessairement sur les bateaux des Gueux. Pour les détails, laissons raconter la chanson.

 

Tu as raison, Marco Valdo M.I. mon ami, laissons dire les détails à la chanson, mais j’aimerais quand même que tu me dises quelques mots de ce titre étrange : « Levée de Piège », car je ne pense pas qu’il s’agit d’une histoire de braconnage en forêt.

 

Non, certainement pas, mon ami Lucien l’âne. « Levée de Piège » part de l’expression « Levée de Siège » qui est usitée pour désigner la fin de l’encerclement d’une ville, d’un camp, d’un château. On parle alors de la « levée du siège » lorsque l’armée des attaquants s’en va et libère la ville, le camp, le château de sa menace. Mais voilà, ici, c’est une flotte qui est encerclée par les glaces, elle prise au « piège » par le gel. Elle se trouve dans la situation similaire à celle d’un siège « terrestre » et elle ne peut en être libérée que le relâchement de la prise qui l’enserre. C’est ce qu’elle attend et c’est ce qui se produit.

 

Voyons donc ce qu’il en est, dit Lucien l’âne. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde sournois, cupide, stupide et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Il gèle encore, la flotte inerte

Voit sur le rivage un noir troupeau

Où luisent torches et fanaux.

Les vigies sonnent l’alerte.

 

Sur les bateaux des Gueux,

C’est le couvre-feu,

Sur le pont, soudards et matelots,

À plat ventre, attendent l’assaut.

 

Les artilleurs chargent les canons

De sacs à balles ou de boulets

Et attendent l’instruction

« Cent pas ! » pour tirer sans arrêt.

 

Des patins rayent la glace qui crie,

Les voix ennemies trouent la nuit,

Elles disent : « Les Gueux fainéants dorment.

À nous, les trésors de Lisbonne ! »

 

Elles avancent à plus de mille ;

Avec des torches et des échelles.

La longue ligne marche tout droit.

L’amiral Worst hurle : « Cent pas ! »

 

Quatre-vingts canons en chœur ont tonné

Dans le noir, tonnerre, terreur, tintamarre,

Les torches repartent en ordre dispersé.

« Poursuivez ! Poursuivez les fuyards ! »

 

Sur les blessés et les morts couchés sur place,

On trouve des cordes pour pendre les Gueux.

Victoire !, mais la flotte reste dans la glace ;

Victoire !, mais danger pour les Gueux !

 

Worst attend une nouvelle attaque.

Lamme voit dans le beurre un signal

Et demande à parler à l’amiral

Pour des considérations météorologiques.

 

Il dit : « Les volailles sont molles, le sel pleure

L’huile est liquide, le beurre onctueux,

Le givre du saucisson est aqueux,

Il pleuvra bientôt, Monseigneur. »

 

Justesse de ses présages :

Pluie chaude et orage,

Flux de marée sur le rivage,

Le piège fond, la flotte se dégage.

 

 

Levée du piège
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Published by Marco Valdo M.I.
9 décembre 2018 7 09 /12 /décembre /2018 18:31

 

 

Les Prisonniers des Gueux

 

 

Chanson française – Les Prisonniers des Gueux – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
116
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
IV, XVII)

 

HUGO DE GROOT à 16 ans

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Après l’expédition nocturne, Dirk Slosse, les gens de la ferme et tout le butin sont ramenés à bord de la Brielle. On en était là, rappelle Marco Valdo M.I., quand commence la chanson.

 

Je ne souviens fort bien de toute cette cavalcade, dit Lucien l’âne. Et je suis très curieux de connaître la suite.

 

Et tu as bien raison, Lucien l’âne mon ami, car elle est peu ordinaire. Ayant appris la chose, le nouvel amiral Worst, que le Taiseux avait désigné à la place de Guillaume de la Marck, dit Lumay, considéré comme trop autoritaire et trop sanguinaire et dont le navire est lui aussi bloqué sur les glaces de l’IJ, arrive dès le matin à bord de la Brielle. Il s’agit de remettre les pendules à l’heure : de condamner dans le principe cette insubordination notoire qu’est le raid à la ferme et dans le même temps, passer l’éponge sur sa propre condamnation de cet événement. En un seul mouvement, il couvre ainsi les décisions de Till et de Lamme et en plus, il récompense les Gueux de la Brielle pour leur acte de guérilla en leur annonçant qu’ils bénéficieront du tiers du butin – le reste étant réparti entre la flotte et les dépenses générales des Gueux.

 

Évidemment, Marco Valdo M.I. mon ami, il aurait été de mauvaise grâce à les condamner, car leur action nocturne assurait le ravitaillement de toute la flotte pour un bout de temps.

 

Par ailleurs, continue Marco Valdo M.I., il préside aux débuts des réjouissances qui durent plusieurs jours ; la flotte attendant que la glace fonde pour retrouver sa capacité de mouvement. Pour une fête, c’est une fête e toute à la gloire du maître-queux.

 

Elles me plaisent bien, moi, les chansons de fête, dit Lucien l’âne. J’ai un peu l’impression d’y participer.

 

Avant de te laisser conclure, Lucien l’âne mon ami, il me faut attirer ton attention sur une manière de faire inhabituelle dans les guerres où on a plutôt l’usage d’éliminer l’adversaire ou de le réduire à l’état de prisonnier. J’insiste sur ce fait, car pour les Gueux, c’est l’application de leur devise de liberté qu’ils considèrent, bien avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, comme un droit humain. Au passage, je rappelle que Hugo de Groot de Delft, alias Grotius, qui écrit « Au nombre de ces faits particuliers à l’homme, se trouve le besoin de se réunir, c’est-à-dire de vivre avec les êtres de son espèce, non pas dans une communauté banale, mais dans un état de société paisible, organisée suivant les données de son intelligence », est un descendant direct de ces Gueux et par ailleurs, va théoriser leurs principes et de ce fait, devenir un des fondateurs du « droit de la guerre et la paix ». Dès lors, ils proposent à leurs prisonniers – aux femmes comme aux hommes – un choix de libre décision : rester avec les Gueux et s’engager dans le combat pour la liberté ou choisir de s’en aller, mais sous double condition d’une rançon et de ne plus servir l’occupant espagnol. En outre, spécifiquement pour les femmes, il est offert de se choisir librement un avenir.

 

Ce sont en effet, dit Lucien l’âne, choses peu ordinaires. Je n’ai jamais rencontré dans mes expéditions, bien entendu avant les Gueux, pareille proposition. Je pense même que dans certains pays contemporains, ce serait encore une nouveauté révolutionnaire. Cependant, pourquoi exiger une rançon de la part de ces gens qui n’étaient que des servants ?

 

D’abord, Lucien l’âne mon ami, il faut supposer qu’une telle rançon serait dans leur cas assez symbolique, à la mesure de leurs moyens, mais c’est un principe : c’est leur façon de contribuer à l’effort commun de libération, à la lutte d’émancipation. Ensuite, il faut se replacer dans le contexte pour comprendre cette nécessité des Gueux de se procurer, au besoin par la force, les moyens de mener à bon terme cette guerre de liberté. Cette guerre, il faut le rappeler, est l’œuvre de gens qui au départ, étaient pacifiques, loyalistes et même, bienveillants à l’égard des structures en place. Sans l’avidité, l’arrogance, la rapacité, la brutalité des Espagnols, sans l’intransigeance et le fanatisme catholique, impulsé et dirigé par l’Inquisition, jamais, ces gens des Pays n’auraient pensé à se rebeller ; jamais, ils ne se seraient jetés à corps perdu dans la quotidienneté de cette guerre. De plus, il faut comprendre à quelle désespérance, ils avaient été poussés pour oser faire la guerre contre le plus riche et le plus puissant empire du monde. Il faut se souvenir que les Gueux des bois étaient des miséreux réfugiés dans les lieux les moins hospitaliers – comme le feront toujours partout les résistants du monde entier ; il faut se rappeler que les Gueux des mers étaient au début quelques dizaines de pêcheurs et de paysans sur de minuscules bateaux face aux « invincibles » armadas espagnoles et de plus, ils ne disposaient en propre d’aucun port où se réfugier. Ainsi, les pillages des biens ennemis étaient la reprise de ce qui avait été extorqué aux Pays.

 

Après ça, dit Lucien l’âne, tissons, nous aussi, le linceul de ce vieux monde rétrograde, disciplinaire, nationaliste, borné et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

Sur la Brielle, arrive au matin.

Solennel, l’amiral. Il dit :

« Pour vous, il y a un tiers du butin.

Je vais régler le destin des prisonniers.

 

Qu’on pende Dirk Slosse par le cou au grand mât

Et haut pour qu’au loin, on le voie.

Et dans la glace, faites un trou et aussitôt

Jetez son corps sous l’eau. »

 

Puis, l’amiral demande faussement étonné :

« J’entends des poules glousser,

Des brebis bêler, des truies grogner,

Des veaux mugir, des vaches meugler. »

 

Lamme répond : « Ces moutons, ces porcs, ces bœufs,

Sont prisonniers de gueule des Gueux.

Les canes, les oies, les poules seront épargnées

Contre les œufs, rançon de fricassées. »

 

Till complète : « Hommes et garçons de ferme,

Vous ne pouvez rester prisonniers.

Il faut choisir : ou vous engager

Dans l’équipage pour un terme ;

 

Contre une rançon et votre parole

De ne jamais plus servir l’Espagnol,

Vous pouvez choisir de payer

Et bientôt, libres, vous en aller

 

 

Et vous, mignonnes commères,

Vous aussi avez choix de liberté :

Garder, ici ou là, votre homme à vos côtés

Ou parmi nous, choisir un compère. »

 

Ce jour-là et les suivants,

Il y a grande fête sous les haubans,

Sur le pont, dans la cuisine :

Sans souci, chez Lamme, on dîne.

 

Assise sur une vergue, au froid de la bise,

Nelle boit en un grand hanap d’or,

Nelle essoufflée de souffler, souffle encore

Et contre le vent, fait glapir le fifre.

 

Avec le vin, l’équipage tangue un peu :

« Chez Lamme, c’est musique de cuisine ;

Tous ensemble, chez Lamme, on dîne. 

Vive le Maître Queux ! Vive les Gueux ! »

 

Les Prisonniers des Gueux
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Published by Marco Valdo M.I.
7 décembre 2018 5 07 /12 /décembre /2018 11:28

 

 Noël est à nous – 2018

 

(Cantate de Noël – Chant du solstice d’hiver)


 

Chanson de langue française – Noël est à nous (Cantate de Noël – Chant du solstice d’hiver) – Marco Valdo M.I. – 2012

 

 


 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

 

 

 

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, voilà-t-il pas que tu chantes Noël à présent, tu te mets à composer des cantates. J’en suis fort surpris.

 

 

 

Allons, Lucien l’âne mon ami, toi qui circules partout depuis si longtemps, que peux-tu bien trouver de si surprenant à ce que je fasse une cantate sur le thème de Noël. Nous sommes à la fin décembre, que je sache. C’est le début de l’hiver, c’est le moment où les jours sont les plus courts, la nuit la plus longue et où tout va basculer insensiblement. On fête ça depuis toujours ici, aussi loin que tu remontes dans le temps et dans des temps prébibliques, du temps de ces préadamites dont parlait le Duc d’Auge à son chapelain.

 

 

 

Ah, dit l’âne Lucien un peu interloqué. Je n’en suis pas trop surpris, car je sais que tu es un admirateur de Sally Mara et de Zazie que connaisses aussi le Duc d’Auge et son chapelain. Je les avais accompagnés dans le temps entre Lascaux et Altamira où le Duc faisait découvrir à son chapelain les peintures rupestres datant d’avant la création de l’homme selon la Bible. Le chapelain ne savait plus où il en était avec son Paradis et son Enfer, avec son Adam et sa côtelette. Et en effet, le Duc aimait beaucoup évoquer les Préadamites et cela faisait enrager le chapelain. Mais au fait, peut-être, connais-tu Cidrolin ?

 

 

 

Évidemment, mon ami Lucien l’âne. Je connais bien le dénommé Cidrolin et son goût prononcé pour l’essence de fenouil à l’eau plate. Mais, excuse-moi, ce n’est pas le sujet de la chanson. J’y viens donc. Ce n’est pas que j’aie l’instinct propriétaire, ni le goût de l’accaparement, mais j’aime la vérité et je n’aime pas que l’on trompe sciemment les gens. La chose me fâche et d’autant plus, si elle dure longtemps. Et la vérité ici, c’est qu’il y a eu une manipulation du calendrier pour déplacer la grande fête hivernale qui en bonne logique coïncide avec le solstice afin d’en faire une fête de propagande religieuse.

 

 

 

Ah, dit l’âne Lucien un peu interloqué. Tu serais donc fâché…

 

 

 

Et comment donc, répond Marco valdo M.I., ça fait près de deux mille ans que ça dure et je dis assez, basta ! Je dis assez de clowneries, assez de menteries, assez de mensonges, halte à l’escroquerie. Halte au vol de Noël par certaine confrérie ecclésiastique. Ces gens se sont emparé de Noël pour en faire leurs choux gras, ils l’ont détourné de son sens originel pour remplir leurs chapelles et meubler leurs discours de réclame religieuse. Mais, Lucien mon ami l’âne, toi qui viens des temps anciens, tu le sais bien que Noël est une fête populaire, une fête pour tout dire, laïque – de laios qui en grec doit bien vouloir dire le peuple, les gens. Noël n’a que faire de l’Orient, Noël n’est pas né en Palestine, c’est évident. Il fallait être assez au Nord pour imaginer le sapin, la neige et vénérer le solstice pareillement. Avant même l’arrivée des Romains (disons même clairement l’invasion romaine), les druides – saints hommes de ce moment – coupaient le gui, coupaient le houx et bien entendu, fêtaient Noël en Finlande comme dans le Morbihan. Telle était l’Europe, à ce moment ; telles sont ses racines. Il est temps de remettre les pendules à l’heure, crois-moi. J’en ai marre de ces discours de la propagande religieuse de ceux-là qui veulent nous arracher nos racines pour nous en fourguer des ersatz de leur confection. Tous ces imposteurs sont purement et simplement des escrocs.

 

 

 

Certes, enchaîne Lucien l’âne, et je me souviens qu’en Gaule et bien avant qu’elle ne s’appelle ainsi, du temps de Cro-Magnon, à Lascaux, à Altamira, on fêtait Noël, on se rassemblait, on faisait un grand festin autour d’un feu de bois et chacun apportait un cadeau, généralement de la nourriture, car c’était ce qu’il y avait de plus précieux au milieu de l’hiver. Pour la viande et le poisson, c’était assez facile de s’en procurer, mais les légumes et les fruits, enfin tout ce qui pouvait accompagner ce morceau de renne, de caribou, d’auroch, de volatile ou de poisson, tout cela était chose rare, précieuse, car on était au moment de plus grande pénurie. On chantait, on se regroupait, on se rassurait. Plus tard, quand il y eut des maisons, des cabanes, des habitations, les animaux domestiques furent les bienvenus ; d’ailleurs, ils vivaient dans le même habitat et souvent, comme des radiateurs, tenaient les gens au chaud ; d’accord, la pièce était partagée d’un côté les gens, de l’autre, les bêtes ; n’empêche, c’était la même pièce. C’est ainsi que j’ai souvent passé des nuits avec la vache auprès de la litière où la famille mettait à dormir le petit enfant. C’était la coutume chez les paysans. Quant au Père Noël et aux rennes tractant son traîneau dans le ciel, c’est pure allégorie ; c’est du même tonneau que le prophète volant sur une mule. Cependant, une chose est sûre, il n’y eut jamais de rennes au Moyen-Orient. Dès lors, tu as raison, Noël est bien une invention d’ici, une réjouissance, une coutume de nos pays où l’hiver est rude, les jours très courts et les nuits très longues. Mais quand même, pour ne pas le laisser filer, pour le reprendre à ces imposteurs, pour nous le réapproprier, chantons Noël et son beau sapin, son Père Noël, son traîneau et ses rennes ; si on peut, faisons un festin et offrons des cadeaux (oh, modestes, sûrement modestes) et tissons le linceul de ce vieux monde croyant, crédule, dupé et cacochyme.

 

 

 

Heureusement !

 

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

À propos de cette Cantate de Noël, j’en ai fait une version en italien ; je la mets à la suite.

 

 

 

 

 

 

 

C’est la Noël, c’est la Noël !
Chantons Noël à pleine voix !
C’est la Noël, c’est la Noël !
Chantons Noël et reprenons nos droits !
Noël est à nous, Noël est à nous !
Noël, c’est le nouvel an de chez nous.

 

 

 

Noël, c’est ici qu’on l’a inventé,
Noël n’est pas ce spectacle importé
De je ne sais quel Orient,
Il y a à peine deux mille ans
Par je ne sais quels propagandistes
D’un consortium monothéiste.
Ils ont occulté le solstice, ils ont déplacé le nouvel an,
Ils ont tout pris : l’âne, le bœuf, la mère et l’enfant,
On ne peut laisser notre Noël à ces gens.
Ils nous racontent des fables, un vrai roman :
Des récits de déserts, des légendes de pêcheurs,
Des histoires de foi, des contes d’aviateur.
Avec leurs évangiles et leurs croix,
Ils ont massacré le monde à tour de bras

 

 

 

C’est la Noël, c’est la Noël !
Chantons Noël à pleine voix !
C’est la Noël, c’est la Noël !
Chantons Noël et reprenons nos droits !
Noël est à nous, Noël est à nous !
Noël, c’est le nouvel an de chez nous.

 

 

 

C’est l’an qui finit, c’est l’an qui commence,
Le bébé dans la litière animale
Au milieu de la pièce familiale ;
C’est l’an qui finit, c’est l’an qui commence.
En dépit des homélies de leurs prêtres,
Noël est à Cro-Magnon et à nos autres ancêtres ,
À ces gens qui dans des grottes affrontaient le froid
Il y a dix mille ans et plus et qui fêtaient Noël dans nos bois
Et la verdeur du sapin dans les frimas.
Noël est à nous autres, ça ne se discute pas !
Noël, c’est le tournant des jours :
Ici, depuis toujours,
À Noël, la nuit rebrousse chemin ;
À Noël, avance le matin.

 

 

 

C’est la Noël, c’est la Noël !
Chantons Noël à pleine voix !
C’est la Noël, c’est la Noël !
Chantons Noël et reprenons nos droits !
Noël est à nous, Noël est à nous !
Noël, c’est le nouvel an de chez nous.
Au solstice, la nuit rebrousse chemin,
Au solstice, avance le matin.

 

 

 

 

 

NATALE È NOSTRO (CANTICO DI NATALE - CANTO DEL SOLSTIZIO D’INVERNO)
Versione italiana di Marco Valdo M.I.

 

 

 

Natale, Natale !
Cantiamo Natale a piena voce :
Natale, Natale !
Cantiamo Natale e riprendiamo il nostro bene !
Natale è nostro, Natale è nostro !
Natale, è il nostro capodanno.

 

 

 

Natale, è qui che fu inventato,
Natale non è questo spettacolo importato
Da non so quale Levante
Appena duemila anni fa
Da non so quale propagandista
Di un consorzio monoteista.
Hanno occultato il solstizio,

 

Hanno spostato l’anno nuovo,
Si son presi tutto
 :

 

L’asino, il bue, la madre ed il bambino.

 

 

 

Non si può lasciare il nostro Natale a questa gente.
Ci raccontano delle favole, un vero romanzo,
Racconti di deserti, leggende di pescatori,
Storie di fede, racconti d’aviatori.
Con i loro vangeli e le loro croci,
Hanno massacrato il mondo senza pietà.

 

 

 

Natale, Natale !
Cantiamo Natale a piena voce :
Natale, Natale !
Cantiamo Natale e riprendiamo il nostro bene !
Natale è nostro, Natale è nostro !
Natale, è il nostro capodanno.

 

 

 

È l’anno che finisce, è l’anno che comincia,
Il bambino nella lettiera animale,
In mezzo al quadretto familiare.
È l’anno che finisce, è l’anno che comincia.
Nonostante le omelie dei loro sacerdoti,
Natale è dei Cro-Magnon e dei nostri altri antenati,
Di questa gente che nelle grotte affrontava il freddo
Diecimilla anni fa e più e che celebravano Natale nei nostri boschi
Ed il verde dell’abete nel gelo.
Natale è nostro, non se ne discute !
Natale, è la svolta dei giorni.
Qui, da sempre
A Natale, la notte torna indietro,
A Natale, avanza il mattino.

 

 

 

Natale, Natale !
Cantiamo Natale a piena voce :
Natale, Natale !
Cantiamo Natale e riprendiamo il nostro bene !
Natale è nostro, Natale è nostro !
Natale, è il nostro capodanno.

 

A Natale, la notte torna indietro,
A Natale, avanza il mattino.

 

 Noël est à nous – 2018   (Cantate de Noël – Chant du solstice d’hiver)
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Published by Marco Valdo M.I.
6 décembre 2018 4 06 /12 /décembre /2018 20:45

 

 

L’Algérien

 

 

Chanson française – L’Algérien – Patrick Font – 1972

 

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

La guerre d’Algérie est déjà de l’Histoire ancienne, presqu’aussi ancienne dans la mémoire des gens d’aujourd’hui que les guerres mondiales, déclare Marco Valdo M.I.

 

Oui, dit Lucien l’âne, elle date de plus d’un demi-siècle. C’est déjà un bon bout de temps.

 

Imagine Lucien l’âne mon ami que sur les 42 000 000 d’Algériens actuellement en Algérie, seuls les gens de plus de 60 ans, soit environ 5 % auront vécu durant cette guerre et plus de la moitié de la population a moins de 30 ans. Cependant, sauf peut-être pour de vieux Pieds-Noirs ou de vieux harkis ou les vieux d’Algérie, elle ne fait plus l’actualité, même si le FLN (Front de Libération Nationale) est encore toujours au pouvoir ; mais, il a perdu l’aura qu’il avait vers 1960, au moment de l’indépendance.

 

En effet, dit Lucien l’âne, l’Algérie n’est plus ce qu’elle était ou ce qu’on a cru ou espéré qu’elle pourrait être. Elle n’est pas la seule dans ce cas, on dirait même que c’est une sorte d’évolution naturelle. Avec le temps, les États (et leurs dirigeants, leurs élites) se sclérosent et paralysent leur environnement, l’empoisonnent ou l’étouffent.

 

Il y a certainement de ça et nous ne pouvons que le constater, reprend Marco Valdo M.I. ; pourtant, la chanson même si elle s’intitule « L’Algérien » ne pare directement ni de l’Algérie, ni de la guerre d’Algérie, même si, à la réflexion, elle baigne dedans. Elle est une lettre adressée par un Français à un de ses amis Algériens, qui dix ans après l’indépendance, après des années de travail immigré en France, vraisemblablement à Paris, est retourné au pays. C’est une lettre d’adieu, car les deux amis savent ou sentent qu’ils ne se reverront jamais. Elle raconte avec nostalgie leur amitié et l’espoir d’une future « mythique » retrouvaille. Elle me fait penser à ce Flamenco de Paris de Léo Ferré, qui dit :

 

« Toi mon ami l’Espagnol de la rue de Madrid »

 

En fait, si je comprends bien, dit Lucien l’âne, si ce sont des amis depuis un certain temps, ils devaient être amis depuis un certain temps déjà et pour eux, la guerre était encore toute proche, toute chaude.

 

À mon sens, précise Marco Valdo M.I., ce sont d’incorrigibles pacifistes, pour, sur les cendres d’une guerre qui avait fait environ 350 000 morts algériens en moins d’une dizaine d’années, vouloir bâtir une amitié entre des gens des camps adverses. Un peu comme si, au cours de la guerre de 1914-18, un poilu avait fait ami-ami avec un fritz.

 

Certes, dit Lucien l’âne, il faut du courage, de la conscience, de la confiance et de la volonté pour affirmer son humanité au milieu du délire binaire et massacreur, face aux nationalismes des camps.

 

Ce que tu dis, Lucien l’âne mon ami, est vrai pour ces deux amis de la chanson, mais aussi et même surtout, pour celui qui l’a écrite et qui l’a chantée en public ces années de tout-après-guerre. On lui en a beaucoup voulu.

 

Je pense qu’on en a dit assez à propos de la chanson ; alors, tissons le linceul de ce vieux monde guerrier, nationaliste, binaire, vindicatif, absurde et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Depuis que tu es reparti

Retrouver dans ton Algérie

Tout ce qui te manquait chez nous,

Tu nous manques un peu

Et tu me croiras si tu veux,

Tu nous manques même beaucoup.

Tu nous disais qu’avec le temps,

On oublierait les bons moments.

Hélas, tu n’étais pas prophète,

Car le temps passe et tu verras,

Quand tu liras cette lettre,

Que les copains ne t’oublient pas.

 

Dans Paris que tu aimais bien,

Il y a de plus en plus d’Algériens,

Il en arrive tous les jours.

Comme disent les gens civilisés,

On sera bientôt colonisés;

Moi, je leur dis chacun son tour.

Ils ont des yeux de pauvre chien

Qui me rappellent un peu les tiens

Lorsque nous avons fait connaissance.

Je ne sais plus pourquoi on s’est parlé,

Mais je sais qu’on ne s’est plus quittés

Jusqu’à ce que tu quittes la France.

 

Aujourd’hui, c’est comme autrefois,

Tous les Arabes sont en proie

Aux quolibets des imbéciles.

Tous les Arabes ont des surnoms :

Bicots, bougnoules, ratons –

Tu parles d’un état-civil.

On a des fourmis dans les poings

Quand la vue d’un Nord-Aricain

Fait déblatérer les minables ;

Mais s’il fallait cogner les cons,

Il faudrait un marteau-pilon

D’une taille incommensurable.

 

Comment se portent tes enfants

Que tu nous montrais en ouvrant

Ton portefeuille en peau de chagrin ?

La photo était si râpée

Qu’il nous fallait deviner,

Mais tu nous en parlais si bien

Que malgré la distance qui

Nous séparait de ton pays,

On les voyait mieux qu’en image

Et le parasol du café

Se changeait alors en palmier,

Le court espace d’un mirage.

 

Et puis l’automne a rappliqué,

Les parasols ont replié

Les feuilles qui nous abritaient.

Alors, avec tous les oiseaux,

Tu as rejoint les pays chauds

En nous disant, je reviendrai.

On a dit oui en sachant bien

Que tu mentais comme un chrétien,

Sacré Bon Dieu de fils de ta race !

Le jour où on se reverra,

Je suis certain qu’il y aura

De vrais palmiers sur la terrasse.

 

L’Algérien
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Published by Marco Valdo M.I.

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