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12 août 2020 3 12 /08 /août /2020 21:34

 

ERIKA

 

Version française – ERIKA – Marco Valdo M.I. – 2020

d’après la version italienne (lazial romanesque) de Riccardo Venturi

d’une chanson polonaise – ErikaAleksander Kulisiewicz – Sachsenhausen – 1941

Paroles : Aleksander Kulisiewicz

Musique : Karel Vacek (“U našich kasáren”, 1937)

 

 

 

Plage de Noordwijk - 1908

Max Liebermann

 

 

 

« Erika a vraiment existé », écrit Kulisiewicz. C’était la fille adolescente d’un officier SS de haut rang ; « Elle se tenait au milieu du camp, son uniforme du Bund Deutscher Mädel repassé à la perfection, et regardait, inexpressive, nous autres, les prisonniers, qui revenions du travail en portant les cadavres de nos camarades morts. » Kulisiewicz a tiré la mélodie de cette chanson d’une marche populaire tchèque, U našich kasáren (« A notre caserne »), écrite par Karel Vacek en 1938 à l’occasion de la mobilisation générale avant l’annexion de la Tchécoslovaquie par Hitler :

Le vers final d’“Erika” (répété), quant à lui, est une parodie sarcastique d’une chanson nazie homonyme, écrite par le « roi des marches » allemand, Herms Niel. [trad./ad. RV]

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

« Erika ? », dit Lucien l’âne, on dirait un prénom de femme ou de fille d’un pays du Nord.

 

Oui, dit Marco Valdo M.I., c’en est un. Ce fut, je te le rappelle, aussi celui d’un pétrolier (pourri) qui, en 1999, lâcha sur les côtes de Bretagne sa cargaison et en deux morceaux, sa carcasse brisée. Cela dit, ici, la chanson est intitulée du prénom d’une jeune allemande, fille d’un haut gradé de la SS, affecté au camp de Sachsenhausen ; celui où mourut en 1934 sous la torture Erich Mühsam, dont j’avais remémoré la personne dans ma chanson : Erich Mühsam, poète, anarchiste et assassiné. Erika était-elle sa vraie identité, on ne le sait, car la chanson reprenait volontairement ce titre pour parodier un chant de la Wehrmacht dans lequel une jeune fille prénommée Erika est comparée par un soldat nostalgique, loin de chez lui, à la fleur de bruyère – Erica – de la lande voisine ? Un chant de marche que les soldats de la SS entonnaient avec une enthousiaste mélancolie ; un chant que les prisonniers reconnaissaient très bien.

 

Voilà pour la base, dit Lucien l’âne. Je vois de quoi il s’agit : un chant de soldat sur le schéma typique de la séparation, dont Lili Marleen [Lied eines jungen Wachtpostens] est certainement la plus célèbre figure. Sans doute, est aussi une sorte d’Adèle sirupeuse.

 

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, comme tu connais Kulisiewicz dont on a déjà parlé plusieurs fois à propos de différentes chansons de sa composition, dont on a fait déjà quelques versions françaises : Bergen-Belsen moje (Bergen-Belsen), Czardasz Birkenau (La Czardas de Birkenau), Chorał z piekła dna (Chœur du fond de l’enfer), Das Todestango (Le Tango de la mort), Dziesięć milionów (Dix Millions), Hekatomba 1941 (Hécatombe 1941), Hymne, Im Walde von Sachsenhausen (Dans la forêt de Sachsenhausen), Kartoszki (Patates), Konzentrak (Le Camp), Maminsynek w koncentraku (Le fils à maman au camp), Mister C, Szymon Ohm (Simon Ohm), Tango truponoszów (Le tango des Croque-morts), je ne dirai pas grand-chose de lui, sauf – et tu en seras d’accord – que c’est véritablement un « trouvère des camps », un aède moderne qui a su donner un éclat particulier à cet univers sombre perdu dans l’ombre de l’histoire. Ainsi, pour en revenir à Erika, il s’agit d’une chanson à l’acide parodique de la plus haute concentration. Elle fait le récit de l’histoire d’un groupe de prisonniers (symbolisant tous les groupes de prisonniers de ces camps) qui sortent du camp pour aller au travail forcé et à cette occasion passent devant Erika (autrement dit la jeunesse allemande qui du coup, ne pouvait prétendre ignorer le destin de ces gens réduits en esclaves) et au retour, présentent à la jeune fille les cadavres de leurs compagnons battus à mort ; cadavres que les gardes les obligent à ramener au camp.

 

« Et un cadavre,

Et dix cadavres !

On les ramène tous et bien rangés

Pour les montrer à la charmante enfant ! »

 

Pauvre destin que celui d’Erika ; alors qu’elle aurait pu connaître une vie paisible et de longues vacances au bord de mer.

 

Oh, dit Lucien l’âne, je me souviens fort bien de Kulisiewicz. Même si je ne me souvenais pas d’avoir déjà connu tant de ses chansons, j’avais en tête l’humour amer avec lequel il narrait l’épouvantable. À présent, tissons le linceul de ce vieux monde brutal, odieux, amer, acide et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I.

 

 

 

 

 

 

Et boum badaboum, et boum badaboum

Et boum, boumboum et boum badaboum

Ils nous font la peau et badaboum.

 

Les SS nous cassent nos gueules,

Dès la sortie de notre camp merveilleux.

Il leur faut le faire, ils le doivent !

Frère, n’est-ce pas prodigieux ?

 

Et boum badaboum, et badaboum boum !

Alors n’hésite pas, mets-toi à l’abri, planque-toi !

Après une marche de plusieurs kilomètres,

Là-bas, il y a – Erika ! Erika !

Et tout ça va, tout ça va disparaître.

 

Venez, fraulein, venez avec nous,

Il faut vous distraire !

Les prisonniers tels des mouches, pour vous,

S’agitent en un spectacle et s’affairent !

Par-devant, un petit coup,

Un petit coup, par-derrière.

Vous en aurez des choses à raconter,

Pour un jour, un mois, la vie, toute l’éternité.

 

Et un cadavre,

Et dix cadavres !

On les ramène tous et bien rangés

Pour les montrer à la charmante enfant !

On les ramène tous et bien rangés

Pour les montrer à la charmante enfant !

Qui s’appelle Erika,

Qui s’appelait Erika.

 

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Published by Marco Valdo M.I.
6 août 2020 4 06 /08 /août /2020 19:58

 

 

LE TANGO DES CROQUE-MORTS

 

Version française – LE TANGO DES CROQUE-MORTS – Marco Valdo M.I. – 2020

D’après la version italienne de Riccardo VenturiTANGO DEL BECCAMORTI

d’une chanson polonaiseTango truponoszówAleksander KulisiewiczSachsenhausen, 1943

Paroles : Aleksander Kulisiewicz

Musique : Wiktor Krupiński (“Po kieliszku”, Tadeusz Faliszewski, 1932)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dessin d’Auguste Favier.


« La « ramasse » des morts dans le petit camp (Buchenwald) : 

une corvée de tous les jours »

 

« Ce disque compact se centre exclusivement sur le répertoire de « chansons de Sachsenhausen » de Kulisiewicz . Ces enregistrements, conservés sur des bandes magnétiques par Kulisiewicz après la guerre, sont de qualité variable, reflétant les conditions dans lesquelles ils ont été produits, des enregistrements à domicile aux productions en studio ou en salle de concert. Les sélections sont classées par ordre chronologique et visent à fournir à la fois un échantillon représentatif de la production artistique de Kulisiewicz et un aperçu de ses réactions personnelles aux réalités de la vie dans un camp de concentration nazi ».


1. Muzulman-Kippensammler
2. Mister C
3. Krakowiaczek 1940
4. Repeta !
5. Piosenka niezapomniana
6. Erika
7. Germania !
8. Olza
9. Czarny Böhm
10. Maminsynek w koncentraku
11. Heil, Sachsenhausen !
12. Pożegnanie Adolfa ze światem
13. Tango truponoszów
14. Sen o pokoju
15. Dicke Luft !
16. Zimno, panie !
17. Moja brama
18. Pieśń o Wandzie z Ravensbrücku
19. Czteroziestu czterech
20. Wielka wygrana !


 

Aleksander Kulisiewicz (1918-1982) était étudiant en droit en Pologne sous l’occupation allemande quand, en octobre 1939, la Gestapo l’a arrêté pour ses écrits antifascistes et l’a envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen près de Berlin. Kulisiewicz était un auteur-compositeur-interprète de talent : pendant ses cinq années de prison, il a composé 54 chansons. Après sa libération, il s’est souvenu non seulement de ses chansons, mais aussi de celles qu’il avait apprises de ses codétenus, et a dicté des centaines de pages à son infirmière dans un hôpital polonais. En tant que « trouvère du camp », Kulisiewicz préférait les ballades descriptives, utilisant un langage agressif et brutal pour reproduire les circonstances grotesques dans lesquelles il se trouvait avec les autres ; mais son répertoire comprenait aussi des ballades qui évoquaient souvent sa Pologne natale avec nostalgie et patriotisme. Ses chansons, interprétées lors de réunions secrètes, ont aidé les prisonniers à faire face à la faim et au désespoir, soutenant leur moral et leurs espoirs de survie. En plus de leur importance spirituelle et psychologique, Kulisiewicz pensait que les chants du camp étaient aussi une forme de documentation. « Dans le camp », écrit-il, « j’ai toujours essayé de créer des vers qui servaient de reportage poétique direct. J’ai utilisé ma mémoire comme une archive vivante. Des amis venaient me voir et me récitaient leurs chansons ». Presque obsédé par les sons et les images de Sachsenhausen, Kulisiewicz a commencé à rassembler une collection privée de musique, de poésie et d’œuvres d’art créées par des prisonniers. Dans les années 1960, il a rejoint les ethnographes polonais Józef Ligęza et Jan Tacina dans un projet visant à recueillir des entretiens écrits et enregistrés avec d’anciens prisonniers sur la musique dans les camps de concentration. Il a également commencé à organiser une série de spectacles, d’émissions de radio et d’enregistrements de son répertoire de chansons de prison, qui s’est élargi pour inclure du matériel provenant d’au moins une douzaine de camps. L’énorme étude de Kulisiewicz sur la vie culturelle dans les camps et le rôle décisif que la musique y jouait comme outil de survie pour de nombreux prisonniers sont restés inédits jusqu’à sa mort. Les archives qu’il a créées, la plus grande collection existante de musique composée dans les camps de concentration, font maintenant partie des archives du Musée mémorial de l’Holocauste des États-Unis à Washington.

 

Mis en quarantaine dans son baraquement pendant une épidémie de typhus, Kulisiewicz conçoit le « tango des croque-morts », une réplique macabre à ceux qui, dans son public, réclament une « musique joyeuse ». Le décor de la chanson est la morgue de Sachsenhausen, royaume des Sonderkommandos, des prisonniers dont le « détail spécial » était de ramasser et de disposer des corps des nombreux morts du camp. Pour bien comprendre la nature tragiquement parodique de cette chanson », a noté Kulisiewicz, « il faut se rappeler l’atmosphère du détail « cellule à cadavres », où le porteur de cadavres, lui-même souvent proche de la mort, faisait une sieste de 10 à 15 minutes à côté des tas de corps nus et malodorants ». Kulisiewicz a emprunté la mélodie de sa chanson à « Po kieliszku » (Après le premier verre), un succès d’avant-guerre popularisé par le « Polonais Al Jolson », Tadeusz Faliszewski (1898-1961). En 1940, Faliszewski était lui-même prisonnier au camp de Mauthausen-Gusen, dans le centre-nord de l’Autriche, où il était souvent appelé à divertir les détenus avec ses chansons les plus populaires, dont « Po kieliszku ».

 

 

 

 

Maudite chienne des enfers, Germania

Nous torture depuis quatre ans déjà.

Dans le crématorium, fait rôtir nos cadavres.

Pour eux, il y fait chaud et tendre.

Il y a un humain ni boulanger, ni boucher

Mais il en fait rôtir tant d’autres.

Alors, mon gars, hop là, au four sans broncher !

Toujours tranquille, toujours calme, toujours allègre !

 

On se sent mieux après les premiers coups.

On reçoit un gnon au visage, et on rit beaucoup.

Le troisième coup de pied fait vraiment mal,

Au quatrième, on se chie dessus, c’est normal.

Cinq salauds frappent alors dans les reins,

Frère, on crache six dents quand même ;

La botte s’enfonce dans le ventre, au septième

Et c’est alors qu’on se sent vraiment bien !

 

Tout va très bien, Madame la Mort !

Elle est toute seule, la vieille nounou !

Depuis qu’elle a jeté son regard sur vous,

De ses yeux avides, elle vous dévore !

À la morgue vous lui offrez votre corps,

Et en un rien de temps, vous êtes mort.

Bientôt, cher ami, vous puerez la chair cuite,

Dans un tendre et cadavérique tête-à-tête !

Une minute et vous voilà en l’air, frère,

Avec deux beignets chauds sur la figure

Et caressé par trois petits anges tout nus,

Qui crient en allemand : « Quel adorable cul ! »

Le quatrième ange, ma chère petite Annie,

S’envoie cinq verres dans sa stupide gorge.

Berceuse, berceuse, avec dix doux anges,

Dors, dors mon petit. C’est la vie !

 

LE TANGO DES CROQUE-MORTS
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Published by Marco Valdo M.I.
5 août 2020 3 05 /08 /août /2020 10:50

 

Les Trente Copains

 

Chanson française – Les Trente Copains – Marco Valdo M.I. – 2020

 

Scènes de la vie quotidienne au temps de la Guerre de Cent Mille Ans.

Histoire tirée du roman « Johnny et les Morts » – du moins de la traduction française de Patrick Couton de « Johnny and the Dead » de Terry Pratchett. (1995)

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Comme tu le sais sans doute, Lucien l’âne mon ami, tout comme l’appellation « camarade » signifie – du moins, c’est son sens originel – « quelqu’un avec qui on partage la chambre ou la chambrée, l’appellation « copain », comme celle toute proche de « compagnon », indique « quelqu’un avec qui on partage le pain ». Ce sont des expressions qui proviennent du langage militaire.

 

Oui, mais encore, demande Lucien l’âne. Pourquoi me parles-tu de toute cette étymologie ?

 

Précisément, répond Marco Valdo M.I., parce que la chanson raconte l’histoire de copains, d’une bande de trente copains qui partent ensemble à la guerre. Ils y vont comme un groupe de supporteurs, heureux et triomphants s’en vont un dimanche loin de chez eux pour encourager leur équipe favorite. Ils partent joyeux et pleins d’entrain, sûrs de la victoire. C’était en 1916 quelque part en Angleterre : en l’occurrence à Blackbury, mais ce pouvait être ailleurs ; c’était un mouvement euphorique qui emportait les jeunes gens. Ce Blackbury dont nous hantons le cimetière et racontons les morts «  presque célèbres » depuis quelques chansons : Le Cimetière, Le Taxidermiste, Le Syndicaliste, L’Illusionniste, La Suffragette, Le Footballiste et L’Inventeur.

 

Trop d’enthousiasme, un grégarisme aigu, mais bien sûr, je sais que c’est le cas de nombreux hommes, dit Lucien l’âne. Moi, on ne m’aurait pas dans une aventure aussi stupide ; c’est bon pour les moutons. Moi, j’aime la mauvaise herbe, celle que raconte Tonton Georges :

 

« Les hommes sont faits, nous dit-on,
Pour vivre en bande, comm
e les moutons.
Moi, j
e vis seul, et c’est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin. »

 

Donc, continue Marco Valdo M.I., ils s’en vont à la guerre et après quatre semaines et c’est court quatre semaines, à la première offensive, la grande offensive de la Somme, supportée par les troupes britanniques (les troupes françaises étaient occupées à Verdun, à l’autre bout du front), qui fit des dizaines de milliers de morts, vingt-neuf sur trente des copains étaient tués. Un seul a survécu à cette bataille et à la guerre.

 

En somme, dit Lucien l’âne, ces jeunes gars sont célèbres (presque) de n’être plus ; célèbres par leur mort anonyme, mais ensemble, tous ensemble et dès lors, surtout par la cohésion de leur groupe jusque dans l’anéantissement. Pourtant, si j’ai bien suivi, il n’y en a que vingt-neuf qui sont morts et la question se pose de savoir ce qu’est devenu le trentième.

 

Oui, répond Marco Valdo M.I., telle est la question. Être mort ou ne pas être mort, le survivant se la posera jusqu’à la fin. Je vais te répondre et ainsi conclure cette histoire, cette parodie, calquée sur l’Anthologie de Spoon River (1915) du poète étazunien Edgar Lee Master.

 

Oh, interrompt Lucien l’âne, soit dit en passant, ça me rappelle Victor Hugo :

 

 Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même 

Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ;

S’il en demeure dix, je serai le dixième ; 

Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

 

Il n’en reste qu’un, en effet, dit Marco Valdo M.I., et c’est Thomas Atkins – ancêtre putatif de tous les Tommies – qui tentera d’atteindre le siècle suivant et dans le même temps, manquera de peu, d’à peine quelques années, d’être centenaire avec pour toute compagnie, le personnel de la Résidence du Soleil, un de ces ordinaires mouroirs où sont remisés les vieux en attendant l’heure conclusive, leur complétude.

 

« Un mort, c’est bien. C’est complet. Ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas complet quand on n’est pas mort. »

 

disait Boris Vian, qui était un spécialiste de la norme. La chanson finalement dit qu’une fois réduit en cendres, à sa demande, Thomas Atkins – le dernier mort de la bande, à sa demande, fut semé à l’endroit où étaient les restes des copains.

 

Eh bien, conclut Lucien l’âne, « Poussière dans la poussière des copains », voilà une fin finale qui finit bien. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde poussiéreux, longuet, tristounet, un brin macabre et cacochyme.

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M. I. et Lucien Lane

 

 

Mil neuf cent seize. Première guerre.

Première ? On attendait la suivante ?

Ce devait être la der des ders ;

La plaisanterie n’est pas marrante.

 

Sur l’écran morne de la visionneuse,

Le cliché fané d’une jeunesse heureuse.

Alignés, souriants comme au cinéma,

Ils étaient là, trente soldats,

 

Les trente, le bataillon, le bataillon

Des Vieux Copains de Blackbury,

Tous ensemble, tous ensemble pour la nation,

Dans la Somme, ils sont partis.

 

Heureux visages pleins de sourire,

Hilares comme à la foire aux fous rires,

Les oreilles en chou-fleur, les yeux de travers

Et tous les pouces pointés en l’air.

 

La Somme ? Un fleuve, des marais, une plaine,

Une vallée, une jolie campagne de France,

Des tranchées, des monuments en pierre,

Un gigantesque jardin de souffrances.

 

Et les copains, bille en tête, s’en allèrent au front ;

À la fête, même uniforme, chantant à l’unisson.

En clan, ils s’étaient engagés pour le pays,

Tous ensemble, ils partirent là entre amis.

 

À peine quatre semaines plus tard,

Quatre semaines, sans retard, sans rencart

Sauf Thomas Atkins, tous les gars,

Tous ensemble sont restés là-bas.

 

Atkins, Thomas Atkins, quasi-centenaire,

Le seul survivant du bataillon éphémère

À la fin du siècle, finissait lentement sa guerre

À la Résidence du Soleil, antichambre du cimetière.

 

Des bricoles, des médailles dans une boîte en fer,

La photo des Copains pouce en l’air,

C’étaient toutes ses affaires.

Il est mort hier, dit l’infirmière.

 

Jamais, personne ne venait le voir.

Demain, le crématoire et le départ :

Retour dans la Somme, semé sur le terrain,

Poussière dans la poussière des copains.

 

 

 Les Trente Copains
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Published by Marco Valdo M.I.
2 août 2020 7 02 /08 /août /2020 11:48

 

 

Noir et Blanc (version noire)

 

Version française – Noir et Blanc (version noire)Marco Valdo M.I. – 2020

 

 

 

 

 

K.K.K.

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Je t’avais annoncé, Lucien l’âne mon ami, qu’il y aurait une version noire – seulement en langue française, et c’est donc une chanson nouvelle, quels que soient ses airs de parodie – de cette ancienne chanson italienne intitulée Bianco e nero, qu’interprétait il y a plus d’un demi-siècle le Quartetto Cetra et comme bien des parodies, elle revêt la vêture de sa partition originale. Elle lui ressemble et cependant, elle s’en distingue. Ici, par une noirceur accentuée des faits, par un parfum musqué de réalité ; c’est une chanson réaliste. Elle s’inscrit dans un autre courant du Mississippi, elle nage dans un bras sans berges. C’est une fille de la House of Rising Sun, sans le fard, sans le vernis, sans les fanfreluches et sans le parfum qui cachent ses vraies senteurs et son intangible destin.

 

Holà, Marco Valdo M.I., arrête-toi, arrête-toi là, arrête ta logorrhée et dis-moi ce qu’elle raconte et qui justifie cette appellation de « version noire », car c’est ce qui m’intéresse pour le moment. Mais avant, puisque tu évoques la Rising Sun, ce bordel du bayou, laisse-moi te dire un mot de la parodie : il y avait donc à l’origine (?) une chanson de la Nouvelle-Orléans – lamentation d’une fille perdue, qui passée par tes mains en langue française a donné « La Maison du Soleil levant », par celles d’Hugues Aufray « L’HÔTEL DU SOLEIL LEVANT », par celles de Johnny Halliday, plus pudiquement devenue « Le Pénitencier » – entretemps, la fille avait changé de genre et à nouveau par les tiennes, avec cette chanson hyperréaliste – parodie de la parodie, qui raconte l’aventure de tant de nos contemporains et qui à juste titre, clôturait le cycle : « La Fermeture ».

En fait, répond Marco Valdo M.I., elle reprend l’histoire de ces deux garçons Noir et Blanc – Blanc étant le noir et Noir étant le blanc, qui jouaient du jazz de leur facture et qu’un archange (était-il blanc ou noir ?) est venu couvrir d’un voile protecteur pour leur permettre de jouer encore leur musique à la Nouvelle-Orléans. C’est là que les choses bifurquent et prennent une autre tournure, la version noire introduit dans le spectacle la dimension dramatique, carrément tragique, celle que l’on trouvait déjà dans « I shall spit on your graves », petit roman noir interdit de Vernon Sullivan – dont comme on le sait, il n’y a jamais eu de version originale, vu que Boris Vian en avait directement écrit la « traduction » en français sous le titre mieux connu de « J’irai cracher sur vos tombes » (1946)titre qui, soit dit en passant, valut à Vian les pires ennuis avec les associations d’anciens combattants. La dimension tragique à laquelle je fais allusion est celle de personnages issus du réel des États du Sud, à savoir selon la chanson, les « cagoulards de la Nouvelle-Orléans », autrement dit les gens du KKK (Ku Klux Klan), qui viennent chercher les enfants et les pendent du fait précisément qu’ils forment un duo noir et blanc, un appariement diabolique. C’est ici qu’il faut avancer la dimension sexuelle de la chanson, une situation hypothétique où ce duo (n-b ; h-f ; h-h, et toute autre combinaison que l’on voudra mettre dans l’équation) musical prend un sens autrement scandaleux. Certes, lui joue de la clarinette et elle (il ?) de ses caisses, mais passons, on risquerait d’être graveleux. Cependant, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a derrière ça autre chose de plus tourmenté, mariné à la sauce raciale, à une histoire criminelle du genre de celle qui tua les métis Emmet Till et Lee Anderson. Comme disait Vian, toujours lui :

 

« S’il n’y avait pas de rapports sexuels entre les Blancs et les Noirs, il n’y aurait pas de métis. »

 

Stop, dit Lucien l’âne, sinon on n’en finira jamais. Juste deux remarques ; la première à propos de l’acronyme KKK, qui certes aux Zétazunis indique le Ku Klux Klan, mais qui aussi, est-ce un véritable hasard ?, existe en Allemagne où c'est un précepte nazi, venu de la très chrétienne Bavière : Kinder, Küche, Kirche - Enfant, Cuisine - Église ; la seconde remarque, c’est que s’il n’y avait pas de rapports sexuels, il n’y aurait pas de cocus et accessoirement, il n’y aurait pas de vie, du moins celle qu’on vit à présent et pas d’espèce humaine non plus ; même pas d’âne. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde sexué, sexuel, scandaleux, correct, racial, raciste, racialisé et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 

Dans les rues de la Nouvelle-Orléans,

Il y avait deux enfants

De bons amis. Ils s’appelaient Noir et Blanc.

Noir jouait de la clarinette, de la batterie jouait Blanc

Quel succès, quelle joie avec leur jazz !

On aurait dit les enfants du jazz.

 

Noir est blanc, Blanc est noir,

Vous ne devez jamais l’oublier !

Noir est blanc, Blanc est noir,

C’étaient de très bons amis, malgré

Que l’un fut blanc et l’autre noir :

Comme le lait et le café !

Comme le lait et le café !

 

Deux impresarios de la Nouvelle-Orléans avaient appris

Que ces amis étaient noir et blanc. Quand ils les ont pris,

Ils ont dit : « Jamais ! Ça ne va pas les enfants,

Nous ne voulons pas du noir en duo avec le blanc,

Nous ne sommes pas intéressés les amis

Par votre propre jazz métis. »

 

Noir est blanc, Blanc est noir,

Vous ne devez jamais l’oublier !

Noir est blanc, Blanc est noir,

C’étaient de très bons amis, malgré

Que l’un fut blanc et l’autre noir :

Comme le lait et le café !

Comme le lait et le café !

 

Au lever du soleil de la Nouvelle-Orléans,

Des anges cagoulés en robe blanche

Ont pendu haut et court les enfants.

À la plus haute branche

Et les enfants maudissaient les anges blancs,

Les cagoulards de la Nouvelle-Orléans.

 

Noir est blanc, Blanc est noir,

Vous ne devez jamais l’oublier !

Noir est blanc, Blanc est noir,

C’étaient de très bons amis, malgré

Que l’un fut blanc et l’autre noir :

Comme le lait et le café !

Comme le lait et le café !

 

Et en noir et blanc,

Leur duo jazzifiant

Joue sa musique encore

Et toujours, haut et fort,

À la Nouvelle-Orléans !

 

 

Noir et Blanc (version noire)
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Published by Marco Valdo M.I.
31 juillet 2020 5 31 /07 /juillet /2020 20:39

 

 BLANC ET NOIR (version blanche)

Version française – BLANC ET NOIR (version blanche)Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Bianco e nero Quartetto Cetra1961

 

 

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Comment ça, Marco Valdo M.I. mon ami, une version blanche ? Qu’est-ce que ça signifie ? Il y aurait une version noire ? Et puis, que raconte cette chanson Blanc et Noir ?

 

Ah, mon ami Lucien l’âne, je m’en vais te dépêtrer ça tout de suite. D’abord, pour répondre à ta question, c’est une chanson qui raconte l’histoire de deux enfants – un blanc et un noir – qui jouent ensemble du jazz à la Nouvelle-Orléans – censément la capitale originelle du jazz. Au départ, c’est une chanson italienne du Quartetto Cetra, un ensemble vocal que nous avons déjà rencontré dans le passé, dont nous avons mis en français notamment Le Testament du Taureau, Le Chameau et le Dromadaire et L’Homme, la Femme et la Fleur.

 

Oui, dit Lucien l’âne, et même aussi mis en français des chansons d’Anton Virgilio Savona, pivot du groupe, dont particulièrement, Le Testament du Curé Meslier, cet homme qui était curé le jour et athée la nuit, c’est-à-dire un de ces athées cachés que créent par leur intolérance les religions et les religieux, car, vois-tu, moi qui ai traversé le monde et les siècles de mes petits pas d’âne, j’ai vu tant de fois tant de gens contraints et forcés de se dire, de se montrer croyants afin de pouvoir vivre leur vie en paix. Tous n’y arrivaient d’ailleurs pas, car comme toujours sous le régime de la peur et de la domination – in nomine domini, on voit fleurir la dénonciation, le cafardage et la délation. Mais revenons à cette chanson Bianco e nero.

 

Donc, je te disais, Lucien l’âne mon ami, que j’ai fait une version française de Bianco e nero que j’ai tout naturellement intitulée Blanc et Noir, mais chemin faisant, il m’est venu l’impression que cette version du Quartetto Cetra de 1961 était un peu trop douce, trop édulcorée, qu’elle était – comment dire – un peu trop angélique et trop magique ou trop merveilleuse, qu’elle occultait le réel. C’est ainsi que je l’ai qualifiée de « version blanche », une version qui tendait à camoufler, à dissimuler, à chloroformer la virulence raciste, celle qui sévit encore aujourd’hui dans le Sud des Zétazunis, la guerre raciale que mènent encore à présent les « suprémacistes blancs » dans les États du Sud.

 

Ah, dit Lucien l’âne, pourtant, il ne sert pas à grand-chose de vouloir éloigner le réel, enterrer sous le mensonge la réalité, car comme le naturel, le réel revient à la surface, comme les cadavres ressortent toujours des glaciers.

 

En effet, répond Marco Valdo M.I., c’est bien pourquoi j’en ai fait une version plus réaliste, moins idéaliste, moins angélique ; en somme, plus vraie, une version nettement plus revendicative, plus réelle. Je n’en dirai pas plus, on la verra en son temps.

 

Certes, dit Lucien l’âne, et je suis très intéressé à la découvrir le plus prochainement. En attendant, tissons le linceul de ce vieux monde raciste (encore et toujours), angélique, aveugle (volontairement) et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 

Nouvelle-Orléans

Nouvelle-Orléans

Nouvelle-Orléans

Nouvelle-Orléans

 

Dans les rues de la Nouvelle-Orléans,

Il y avait deux enfants,

De bons amis. Ils s’appelaient Noir et Blanc.

Noir jouait de la clarinette, de la batterie jouait Blanc

Quel succès, quelle joie avec leur jazz !

On aurait dit les enfants du jazz.

 

Noir est blanc, Blanc est noir,

Vous ne devez jamais l’oublier !

Noir est blanc, Blanc est noir,

Ce sont de très bons amis, malgré

Que l’un soit blanc et l’autre noir :

Comme le lait et le café !

Comme le lait et le café !

 

Deux impresarios de la Nouvelle-Orléans ont voulu

Connaître Noir et Blanc. Quand ils les ont vus,

Ils ont dit : « Jamais ! Ça ne va pas les enfants,

Nous ne voulons pas d’un noir en duo avec un blanc,

Nous ne sommes pas intéressés par votre jazz !

Par votre propre jazz. »

 

Noir est blanc, Blanc est noir,

Vous ne devez jamais l’oublier !

Noir est blanc, Blanc est noir,

Ce sont de très bons amis, malgré

Que l’un soit blanc et l’autre noir :

Comme le lait et le café !

Comme le lait et le café !

 

Au lever du soleil de la Nouvelle-Orléans,

Un archange est apparu dans le ciel rutilant,

Il a tendu sur le monde un grand voile de lune

Il n’y avait plus de couleurs, plus de rancunes.

Et les deux enfants ont remercié l’ange du jazz,

L’archange du jazz.

 

Noir est blanc, Blanc est noir,

Vous ne devez jamais l’oublier !

Noir est blanc, Blanc est noir,

Ce sont de très bons amis, malgré

Que l’un soit blanc et l’autre noir :

Comme le lait et le café !

Comme le lait et le café !

 

Et en noir et blanc, leur duo jazzifiant

Vole haut, dans le ciel de la Nouvelle-Orléans !

 

 

  BLANC ET NOIR (version blanche)
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Published by Marco Valdo M.I.
29 juillet 2020 3 29 /07 /juillet /2020 16:25

 

LES SORCIÈRES DE BARGACE

 

 

Version française – LES SORCIÈRES DE BARGACE – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Le streghe di BargazzaCaterina Bueno – 1997

Chanson populaire des Apennins toscans-émiliens interprétée par Caterina Bueno dans son disque intitulé « Canti di maremma e d’anarchia », en supplément de l’hebdomadaire Avvenimenti, 1997.

 

 

 

 

 

 

 

Baragazza – Bargace est un hameau de la commune de Castiglione dei Pepoli, province de Bologne, dans les Apennins toscano-émiliens. Dans les temps anciens, il y avait une forteresse à Baragazza, contestée entre les Bolognais et les Florentins, qui fut ensuite abandonnée et détruite en 1400 – qui sait si ce n’est pas le palais qui apparaît et disparaît dans cette chanson. Elle est curieuse cette chanson, qui raconte avec une légèreté et une joie inhabituelles un sabbat satanique, quand juste à Baragazza, à Boccadirio, à la fin de 1400 est apparue la Madone. Aujourd’hui, il existe un important sanctuaire pour les pèlerinages. Ces culs-bénits, cependant, s’y rendent à pied, ou tout au plus en voiture ou en bus, et ne savent certainement pas « comme c’est beau d’y aller par l’air ! » Le texte raconte une histoire qui témoigne de la vision paysanne du sabbat et est emprunté à une ancienne feuille, diffusée sous le titre « Les sorcières de Bargazza ». (notes du disque)

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

Oh !, dit Lucien l’âne, encore une chanson de sorcière ? Ou je me trompe ? Je dis encore, car on vient pourtant de présenter la version française de La Strega – LA SORCIÈRE.

 

De fait, dit Marco Valdo M.I., il s’agit de ma version d’une chanson de sorcière et d’une chanson de sorcière d’origines populaires – toscane, pour tout dire ou peut-être même, qui sait, étrusque.

 

Quoi, s’étonne Lucien l’âne, les Étrusques, ça fait bien longtemps que j’en ai entendu parler. Mais de mes souvenirs, du temps où je me promenais en Étrurie, menant par les collines, tel un Dante prématuré, un lucumon distingué qui s’en allait ainsi sur les sommets à la rencontre de sorcières antiques. Car c’est par elles qu’il se faisait soigner de certaine maladie dont les hommes attribuent volontiers la source à Vénus, comme ce méchant coup de pied dont parle Georges Brassens dans le Bulletin de Santé :

« Vénus parfois vous donne
De méchants coups de pied qu’un bon chrétien pardonne,
Car, s’ils causent du tort aux attributs virils,
Ils mettent rarement l’existence en péril. »

 

Il buvait pour ce faire des eaux vénérables, salées, pierreuses et s’oignait, ou plutôt par la main de la sorcière se faisait oindre, de certaine huile essentielle qui le raidissait d’abord, puis le détendait subitement et ensuite, généralement, il s’endormait pour un moment. Il en ressentait un très grand bien, me disait-il.

 

Voilà qui est intéressant, dit Marco Valdo M.I. ; d’ailleurs, on trouve la trace de cette pratique dans la chanson. Il suffit de regarder son antienne pour comprendre :

 

« Que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

Elle est intéressante à plus d’un titre cette canzone populaire, car elle permet de faire surgir une fois de plus les fondements du mythe de la Vierge ou de la Madone, c’est tout comme. Comme on le sait, dans l’histoire des deux derniers millénaires, il a bien fallu faire apparaître la Vierge Marie pour tenter d’effacer jusqu’au souvenir des sorcières et ainsi pouvoir s’approprier leur action bénéfique auprès des paysans. Mais ceux-ci n’ont rien oublié ou à tout le moins, ont gardé la trace du temps où les sorcières de tout le pays se réunissaient – souvent par trois (au minimum), pour faire la fête. C’était le sabbat des sorcières ; en somme, le samedi soir de l’ouvrier. Les fêtes, dites de sabbat, ne sont rien d’autre que des réunions de joyeuses commères.

 

Tout cela est bien vrai, dit Lucien l’âne. J’ajouterais cependant cette occurrence que à la mi-août, la grande fête des moissons, était en fait la fête des sorcières, moment où elles se retrouvaient pour plusieurs jours en une grande foire annuelle et elles faisaient des concours et des spectacles qui faisaient la joie des gens et des pays. Elles échangeaient là aussi tous leurs mystères et s’en retournaient ensuite dans leurs campagnes et leurs montagnes reprendre leurs activités quotidiennes, qui consistaient en gros à soigner les gens et les animaux, aider les femmes à avorter et à accoucher – selon les cas, les vaches à vêler, les chèvres à mettre bas ; ou encore, à aider les vieux à vieillir – elles visitaient les grabataires, elles secouraient le nécessiteux – et quand venait le temps, elles aidaient ces vieux miséreux à finir leur vie, au besoin aussi, à l’abréger ; elles prenaient sue elles le temps qu’il fallait à conseiller les jeunes filles et les jeunes garçons, les enfants et leurs parents, les maris et les amants ; elles savaient tout des maladies, elles savaient tout de la vie des gens et du pays.

 

Avec elles, dit Lucien l’âne, il n’y avait pas besoin de prêtres, de religions et pire que tout, elles chassaient les nuages de la peur et de la superstition. Bien sûr, si elles savaient beaucoup des choses de la nature et de l’humaine personne, elles ne savaient pas tout, mais c’était chez elles qu’on allait chercher de l’aide et du réconfort. De plus, elles avaient ce qu’on appelle de la morale, elles avaient une sorte d’éthique qui les empêchait de se laisser aller et de profiter leurs pouvoirs et de leur influence sur les gens. Ainsi, elles dérangeaient, elles faisaient barrage à la religion, marchandise d’importation venue du Moyen-Orient.

 

C’est d’ailleurs, rappelle Marco Valdo M.I., en cela qu’elles étaient dangereuses : elles empêchaient par leurs actions les prometteurs de beaux jours éternels et les charlatans séculiers d’opérer leurs manœuvres circonvenantes auprès des populations et c’est ainsi et pour ces raisons que l’on substitua à la sorcière, en vue de l’éradiquer, le culte de la Vierge, en ce compris la grande fête de la mi-août. La Vierge (et c’est là le sommet de l’indécence) serait – selon ses bénisseurs et ses adorateurs – la Personnification de l’Amour : marial, lustral, immaculé, invraisemblablement détaché des choses du corps et du réel. Et comme le relevait déjà Cavanna dans sa Lettre ouverte aux culs-bénits (1994) :

 

« Qu’ont en commun les inquisiteurs, les brûleurs de sorcières, les massacreurs de populations au nom de la foi (soixante mille égorgés lors de la prise de Jérusalem pendant la première croisade), les bénisseurs d’armées, les pendeurs d’hérétiques, les incitateurs à l’assassinat pieux, les lapideurs de femmes adultères, les qui vont-à-la-messe, bouffent du foie gras et laissent un abbé Pierre leur astiquer la bonne conscience en se faisant le bouc émissaire de la charité ? Ils ont en commun le mot clé de tous les culs-bénits : AMOUR. »

 

Et que dit de ça, cette chanson ?, demande Lucien l’âne.

 

Elle répond, Lucien l’âne mon ami, « Que c’est bon d’aller en l’air ! ». En français, on dit la chose un peu différemment, on dit : « Qu’il est bon de s’envoyer en l’air ! », mais en disant ça dans leur chanson – car c’est une chanson d’origine paysanne, les paysans savaient très bien de quoi il s’agissait et ils aimaient leur nocturne liberté.

 

Certes, dit Lucien l’âne, je le sais aussi. Mais n’épiloguons pas plus et tissons le linceul de ce vieux monde cagot, hypocrite, menteur, suborneur et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Plus de trains, ni de postillons,

Plus de voitures et de wagons.

Or, certains boucs là-bas

Font mille milles par la pensée.

Je peux vous dire que j’y suis allé.

Et ce n’est pas une fable, croyez-moi.

Qui n’y est pas allé, désespère.

Que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

L’autre jour, je fus à Bargace,

J’y fus à une fête,

« Deux filles de conte de fées ».

M’ont tenu la jambe toute la soirée

Puis quand vint l’heure de partir

Chez elles, elles m’invitèrent.

Je les suivis et du coup, je peux dire :

« Que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

Discourant sur le chemin, tout du long,

Nous sommes arrivés à leur maison.

Je ne vous dis pas quel bazar,

J’en tremblais comme à la foire.

Bientôt arrivé, sitôt d’un pot,

Tous s’oignirent, et je m’oins moi aussi aussitôt

Disant : « S’oindre, quel bien, ça peut faire !

Et que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

Dans cette circonstance,

Un bouc grand, gros et noir s’avance.

Je lui demandai la vérité

Et comment on allait y aller.

Une répondit, celle du milieu :

« Au plus vite et au mieux !

Il est déjà tard, il faut prendre l’air. »

Que c’est bon d’aller en l’air !

 

On monta tous en croupe,

Il emmena si loin toute la troupe

Qu’on touchait les étoiles du matin

Rien qu’en tendant la main.

L’éclair entre les comètes et la Terre,

C’était ce bouc et nous autres trois.

Chose impossible, si « on ne croit pas

Que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

Je n’ai vu ni campagnes

Ni villes, ni plaines, ni montagnes.

Le diable nous a emmenés

Dans un palais illuminé

À l’intérieur et devant, une place ornée

De tentes et de pendules toute décorée.

Ce n’est pas là paroles en l’air

Et que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

J’ai vu certaines matrones, là,

Demoiselles fabuleuses

À l’exception de certains visages

Différents de ceux qu’ici, on a.

Moi, toujours muet, je m’assis,

Sans bouger et sans bruit,

En un silence qui sut me plaire.

Que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

Vint l’heure des douceurs et des liqueurs.

Comme dans les fêtes,

Aux dames, aux danseurs,

Deux serviteurs présentent

Crèmes, biscuits et confitures

Pâtisseries, tartes, bouteilles et verres.

Et sans misère, je le déclare, sincère,

Que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

Elles ont de particuliers usages

Pour nous, différents et étranges,

Comme d’user et abuser

Du dialecte ou du patois,

De toute une mimique sans voix,

Sans se mouvoir et sans parler.

Qui n’y a pas été, s’y perd :

Que c’est bon d’aller en l’air ! »

 

Tout disparut en un moment,

Il ne resta que les murs

Et la coutumière monture

Prête à partir à l’instant

— C’était un bouc de belle race,

Je ne sais où il est né –

De la maison du diable jusqu’à Bargace,

En un instant, nous a ramenés.

 

LES SORCIÈRES DE BARGACE
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Published by Marco Valdo M.I.
24 juillet 2020 5 24 /07 /juillet /2020 21:21

 

LES HÉROS

 

Version française – LES HÉROS – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Gli eroiCollettivo Víctor Jara – 1979 (?)


 


 

 

Le Héros 

Cohen le Barbare


 


 


 

 

Dialogue Maïeutique 

 

 

 

 

 

« Les Héros », dit Lucien l’âne, je les connais depuis longtemps ; d’ailleurs, j’en suis un moi-même, mais sans doute pas du genre de héros dont parle la chanson.

 

 

 

Certes, Lucien l’âne mon ami, tu fais bien de le remarquer, car, en effet, il y a héros et héros, des héros de toutes conditions et de tous âges.

 

 

 

C’est bien là, la question, dit Lucien l’âne. Qu’est-ce qu’un héros ? Ou de quel héros parle-ton ? De façon générale, on considère comme un héros quelqu’un qui d’une manière ou d’une autre est auréolé d’une gloire, même minime, même quasi-imperceptible. A fortiori, si cette gloire est grande ou immense. Quand on pense aux héros, on voit tout de suite surgir Ulysse, Hector ou Agamemnon, Don Quichotte, Hamlet, Roland ou Cohen le Barbare. Il y a tant de héros qu’une telle énumération serait fastidieuse, sinon carrément impossible.

 

 

 

Oui, ajoute Marco Valdo M.I., d’autant plus qu’on n’a même pas pensé à ces dames. Alors, en effet, de quels héros parle-t-on dans la chanson ? Donc, il s’agit du héros au sens le plus commun, du héros guerrier, du héros massacreur, celui pour qui « la raison du plus fort est toujours la meilleure », celui qui entend sortir vainqueur de la confrontation, celui assomme la concurrence, le paranoïaque par excellence.

 

 

 

À moins que ce soit l’excellence paranoïaque, dit Lucien l’âne. Bref, le héros unidimensionnel est une réplique exacte de l’homme unidimensionnel  dont Herbert Marcuse fit le portrait, il y a déjà 50 ans, est ce héros sans cervelle et dont même l’histoire et la préhistoire sont parsemées des cadavres.

 

 

 

Exactement, dit Marco Valdo M.I., c’est précisément le thème de la chanson que de faire l’histoire de ce géant de l’imbécillité au travers des temps, des plus immémoriaux au temps présent. C’est une chanson parfumée aux senteurs de l’ironie, trempée dans la soude comique, baignée d’acide folklorique et de lucidité sarcastique. On peut aisément s’en rendre compte à la fin de la chanson quand elle dit :

 

 

 

« À présent il est paré, il veut dominer le monde

 

Avec son armée la plus puissante, la plus grande. »

 

 

 

et sa conclusion est sans fard :

 

 

 

« Les héros sont les pires criminels. »

 

 

 

Oui, dit Lucien l’âne, l’inconvénient avec le héros, je parle du héros de son plein gré, du héros né de l’ambition de l’être, celui qui se veut tel, celui qui est atteint de cette étrange folie, de cette impotente idiotie, c’est qu’il est tellement dopé de soi qu’il est un danger de première grandeur pour son entourage, pour tout ce qu’il contrôle et quand il arrive accéder au pouvoir, il a fortement tendance à en abuser. Et plus il monte haut à l’arbre de la célébrité, plus on voit ses failles, mais aussi, plus il devient mégalomane, plus sa démence se révèle et plus grandit le danger pour ceux qu’il entend dominer.

 

 

 

Je te comprends très bien, Lucien l’âne mon ami, je comprends très bien ce que tu essaies de dire sans trop dévoiler la couronne du Roi des Cons, celui dont Brassens chantait les mérites perpétuels dans « Le Roi ». C’est utile, car actuellement, le jeu de cons n’est pas terminé et les concurrents sont nombreux à vouloir atteindre la première place du classement – à tous les niveaux. En somme, il faut bien s’en pénétrer, on n’est pas sorti de cet asile d’aliénés.

 

 

 

Je le pense aussi, répond Lucien l’âne, et je ne vois pas comment y arriver. Le héros est une hydre très résiliente. C’est une figure centrale de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres et aux plus faibles afin d’asseoir leur domination, de renforcer leur pouvoir, d’étendre leurs privilèges et de multiplier leurs richesses, si possible à l’infini. Enfin, c’est une raison de plus pour tisser – encore et toujours – le linceul de ce vieux monde paranoïaque, aveugle, respectueux, sourd, héroïque, imbécile et cacochyme.

 

 

 

Heureusement !

 

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 


 


 

Voici l’origine du combat historique :

Il y eut la question de la possession

Entre un homme à mains nues et un avec un bâton.

Ainsi naquit au nom du progrès l’homme héroïque.


 

Vive l’intelligence et son héros !


 

S’armant d’une massue, le vaincu se relève,

Se relance l’attaque à moitié nu ;

L’autre riposte et l’arrête,

Grâce à l’accessoire utile qu’est son écu.


 

Vive la technique et son héros !


 

Avec sa grande détermination, son écu et sa masse,

Il s’élance pour s’ouvrir un nouveau passage ;

L’autre sans rien dire sort du feuillage.

Et ricanant, de son arc, il le menace.


 

Vive la balistique et son héros !


 

Avec son arc, son écu et sa masse, l’imbécile

Attaque encore, il s’y casse la figure,

Brisant ses flèches contre le fer qui protège

Notre héros enferré dans sa bonne armure.


 

Vive le lansquenet et le héros !


 

Ce héros exceptionnel, armé de belle manière,

Conquit la France, l’Espagne et les pays avoisinants.

Armé jusqu’aux dents, il pesait lourdement

Sur la peau du paysan sans défense.


 

Il profite pendant 20 ans, sans soucis.

Cette fois-ci, il va le payer cher.

La poudre noire l’envoie en l’air :

En trois minutes, il est occis.


 

 

Vive la Renaissance et le héros !

 


 

Il court acheter une arquebuse

Et avec elle, menace d’exécutions sommaires.

Par malheur, il ignore les techniques récentes :

Le fusil à répétition et la carabine Winchester.


 

À bas les Peaux Rouges ! Vive le Colt et le héros !


 

Exaspéré et secoué, rouge de rage,

En un éclair, il fait un beau canon,

Mais l’autre, diabolique, tel un orage,

Le fulmine du haut de son avion.


 

Vive la Luftwaffe et son héros !


 

À présent il est paré, il veut dominer le monde

Avec son armée la plus puissante, la plus grande,

Paré pour la vengeance, mais du ciel tombe une bombe

Trois… deux… un… zéro ! Fiiiiiii… Pum ! Ah !

Un grand champignon, une forte chaleur, et puis, plus un chat.


 

Le héros ne s’y trompe pas, c’est la technique importe.

Il crée des armes mortelles

Pour semer la mort par la technique la plus forte.

Les héros sont les pires criminels.


 

Le héros ne s’y trompe pas, c’est la technique importe.

Il crée des armes mortelles

Pour semer la mort par la technique la plus forte.

Les héros sont les pires criminels.

 

 LES HÉROS
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Published by Marco Valdo M.I.
23 juillet 2020 4 23 /07 /juillet /2020 20:35

 

L’Inventeur

 

Chanson française – L’Inventeur – Marco Valdo M.I. – 2020

 

Scènes de la vie quotidienne au temps de la Guerre de Cent Mille Ans.

Histoire tirée du roman « Johnny et les Morts » – du moins de la traduction française de Patrick Couton de « Johnny and the Dead » de Terry Pratchett. (1995)

 

 

 

 

 

L’invention du téléphone

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

Par le grand Onos, dit Lucien l’âne, un inventeur.

 

Oui, dit Marco Valdo M.I., un inventeur. Ce n’est pas tous les jours qu’il y a une chanson pour vanter les mérites d’un inventeur.

 

Pourtant, dit Lucien l’âne, souvent, ils les méritent ces mérites.

 

Surtout, continue Marco Valdo M.I., quand ce sont des inventeurs émérites comme Addison Vincent Fletcher, un gars presque célèbre qu’on célèbre ici dans cette chanson. Fletcher était un fameux bricoleur, comme l’oncle de Vian, dans la Java des bombes atomiques.

 

Comme on pourra le mieux encore plus tard, dit Marco Valdo M.I., les personnages de cette galerie de portraits ont en commun, étant de la même époque, d’avoir connu la Guerre de 14-18.

 

Ah ! Si la Guerre de Quatorze n’avait pas eu lieu !, dit sentencieux Lucien l’âne, ils ne l’auraient pas connue et ils auraient quand même vécu leur vie.

 

Différemment, sans doute, reprend Marco Valdo M.I., mais on ne peut changer ce qui a été et le héros de cette chanson passa ses années de tranchées et de jeunesse à méditer et à ruminer des inventions, car de par son caractère, ses penchants, ses goûts, ses talents aussi, c’était un inventeur. Un inventeur-né, en quelque sorte.

 

Soit, dit Lucien l’âne, voici donc après le Cimetière où paraît l’alderman, l’Illusionniste, le Syndicaliste, la Suffragette, le Footballiste et le Taxidermiste – l’inventeur. Mais qu’a-t-il pu inventer qui le rende si célèbre ?

 

Presque, Lucien l’âne, presque célèbre. Nuance !, car il est presque célèbre et même localement. Cependant, pour répondre à ta question directement, il a inventé le téléphone, mais avec au moins 50 ans de retard. Le monde est déjà rempli de téléphones. Mais, selon lui, s’il n’avait pas déjà existé, il l’aurait à coup sûr inventé. Pour se justifier, il déclare qu’il l’a amélioré, mais il ne dit pas comment et sans doute, ne le saura-t-on jamais. Par contre, à l’inverse, il a inventé, mais trop tôt, le téléphone mobile qu’on nomme à présent « smartphone » – téléphone intelligent. Pareil pour la radio et pour l’ordinateur, il les aurait volontiers inventés ; Addison Vincent Fletcher aurait tout inventé si on l’avait laissé faire. C’était un enthousiaste. C’était une sorte de Leonardo da Vinci du XXe siècle. Avec son ami Einstein (Salomon), en tandem, il va animer la vie des morts et introduire la physique moderne dans leur univers, jusque-là ignorant de la chose. Pour les autres détails, voir la chanson.

 

C’est ce que je vais faire, dit Lucien l’âne, non sans relever tout de suite deux des clins d’œil dont tu entrelardes la chanson. Le premier est le « fameux bricoleur », un clin d’œil à Boris Vian, comme tu l’as signalé déjà ; et le second est un clin d’œil au jeune Stéphane Mallarmé, clin d’œil sur lequel s’achève la chanson. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde technique, pratique, véridique, technologique, technicolore et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M. I. et Lucien Lane

 

 

 

La nouvelle bibliothèque est pleine de couleurs

Et fourmille d’écrans d’ordinateurs.

Sur les écrans, tout le Guardian de Blackbury,

Avec Fletcher l’inventeur parmi les célébrités du pays.

 

Un fameux bricoleur, Addison Vincent Fletcher,

Il avait maturé durant toute la Grande Guerre,

En Artois, coincé au fond de sa tranchée,

Une sorte de téléphone, améliorée.

 

Et la télégraphie sans fil ? La T.S.F., la radio ?

Inventée avant le siècle par la comtesse Alicia Radioni,

Ou alors, par le physicien italien Italo Macaroni ?

Un savant italien ? Oui, il s’appelait Guglielmo Marconi.

 

Alors, qui a vraiment inventé le téléphone ?

N’est-ce pas Sir Humphrey Téléphone ?

Non, c’est un Étazunien : Graham Bell.

Fariboles, bêtises, conneries et des belles !

 

Le vrai inventeur, c’est Tony Meucci ;

Et c’est encore un Italien, Madame Liberty,

Et moi, j’aurais bien aimé inventer le premier,

Et dit Fletcher, je l’ai juste amélioré.

 

Addison dit : « Pour Salomon, l’espace est une illusion,

Et si l’espace est nul, il n’y a plus besoin de liaison.

Alors, plus de problème pour la transmission.

Le téléphone sans fil, voilà mon invention.

 

Les ondes, c’est le secret de tout ce bazar :

Les petites ondes font les grandes histoires.

Comme ça, dit Fletcher, j’ai bricolé sur ma table,

En vingt-deux, un téléphone transportable.

 

Au cimetière, il y avait un vieux téléviseur ;

L’écran était en miettes, un rebut, une horreur.

Addison Fletcher et Salomon Einstein le bricolaient avec amour :

Bientôt, l’image et le son étaient de retour.

 

Dans son cadre vide, l’écran luisait.

Miroir de moire rempli de ciel,

Sans électricité, il se striait

D’éclairs zébrés couleur de miel,

 

Et la Capri bleue dans le canal ?

Avec Salomon, on va la sortir,

On lui refera un moteur meilleur

Et comme les oiseaux, on pourra fuir, là-bas, fuir.

 

 

 L’Inventeur
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Published by Marco Valdo M.I.
21 juillet 2020 2 21 /07 /juillet /2020 21:03

 

LA SORCIÈRE

 

Version française – LA SORCIÈRE – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – La strega – Collettivo Víctor Jara – 1979

 

 

 

 

LA SORCIÈRE

 

Angelo Caroselli vers 1630

 

 

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

 

Une fois encore, Lucien l’âne mon ami, on revient à la question de la sorcière ; de la vraie sorcière, de ce personnage essentiel de la vie paysanne, de celle qui incarnait la fibre maternelle, qui était à elle seule le service de santé de la société – de santé physique, de la naissance (accoucheuse) à la mort (accompagnatrice du mourant), aidant l’humaine personne à entrer dans le monde et l’aidant à en sortir ; elle était aussi celle à qui on pouvait confesser ses malheurs, ses tristesses, ses faiblesses, celle qui savait vraiment ce qu’il en était de la vie réelle, la consolatrice et la salvatrice ; une femme savante qui savait les méandres des plantes et de l’humaine condition. Auprès de qui on allait chercher aussi des conseils de vie. On y revient cette fois-ci avec une chanson italienne intitulée : « La Strega » – « LA SORCIÈRE ».

 

Ce n’est, en effet, pas la première sorcière que l’on croise, dit Lucien l’âne. Je me souviens de « Katheline, la bonne sorcière », pour laquelle je demandaisdans le dialogue qui précédait la chanson dans l’édition papier de « La geste de Liberté » (La Légende libertaire) – pourquoi « la bonne sorcière », car généralement, les sorcières ont la mauvaise réputation et on entend plus souvent « la mauvaise sorcière ».

 

Oui, Lucien l’âne mon ami, j’ajouterais pour être complet à propos de Katheline, les deux autres chansons qui racontent son supplice et sa mort : « Katheline suppliciée » et « La douce Mort de Katheline ».

 

En somme, dit Lucien l’âne, il y a là comme une hagiographie et dans le fond, les sorcières le méritent bien. Et puis, toujours dans ce dialogue de la Légende, j’ajoutais parlant de Katheline :

 

« C’est donc une vraie sorcière, une de celles qui dans les villages et les campagnes soignent les gens et les animaux, une de celles ui connaissent les remèdes et les plantes, une de celles qui sont depuis toujours les conseillères intimes des femmes et exercent les talents si essentiels de sages-femmes – un nom très significatif. »

 

Cela étant, reprend Marco Valdo M.I., je n’ai pu résister au vrai désir et au vrai plaisir de (non pas faire une traduction) me confectionner en bon tailleur des mots une version sur mesure de cette « Strega » du Collettivo Víctor Jara. C’est franchement tout autre chose qu’une traduction et cette manière de procéder produit une chanson dans une autre langue, qui a le souci d’être elle-même, tout en gardant bien sûr – autant que faire se peut – la filiation avec le texte d’origine. À l’usage, j’ai pu constater que cette façon ouvre parfois de nouveaux horizons. Mais quoi qu’il en soit, libre à quiconque de composer une autre version ou même d’en proposer une véritable traduction. Et sans doute, tout le monde y gagnerait.

 

Oh oui !, dit Lucien l’âne, je le pense aussi. Maintenant, serait-il possible de dire quelques mots de cette version-ci et de son texte d’origine.

 

De fait, Lucien l’âne mon ami, tu fais bien de me rappeler à ma version et à son origine. C’est donc une sorte de prière-accusation qui met en cause une sorcière et la réponse de celle-ci ; une sorte d’étrange dialogue. Je n’en dirai pas plus : la vérité est poésie et je ne peux faire mieux que de m’en remettre à la chanson.

 

Fort bien, dit Lucien l’âne, c’est une sage précaution et l’expression d’une vérité ; car pas plus qu’on ne peut mettre en mots la musique ou la peinture ou mettre en musique ou en peinture, les mots, on ne peut mettre en prose la poésie, on ne peut la détailler, la décomposer sous peine de la perdre et d’en perdre le sens. On n’obtient pas de bons résultats par l’autopsie d’une chanson ; on se retrouve avec les morceaux de son cadavre. Pour le reste, tissons le linceul de ce vieux monde guindé, sourd, malentendant, malentendu, croyant, vulgaire, brutal et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,

Parle au vent, parle à la lune.

Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,

Parle au vent, parle à la lune.

Vous qui connaissez les ombres fugaces,

Vous qui même la mort, ne craignez pas,

Au travers des miroirs, vous tendez les bras

Quand nous avons peur de nos propres faces.

 

 

 

Marbre, mes mains et pierre, ma peau ;

Et un jour, j’ai entendu le fleuve m’appeler ;

Et mes cheveux ont fondu, j’étais l’eau du ruisseau ;

Et feuilles, mes mains dans la rivière qui a chanté ;

Et maintenant, je n’ai plus peur, je n’ai plus peur,

Maintenant, je n’ai plus peur.

 

 

 

Vous qui venez nue, sans éclat,

Baiser notre corps dans nos songes ;

Lèvres humides, peau de neige,

Vous faites désirer ce qu’il ne faut pas.

 

 

 

La règle et le silence, la loi, la peur, le noir,

Un Dieu dirige le monde, la mort est son paladin,

Mais le fou cornu m’a donné de son vin,

Il m’a en chantant menée sur le pont de moire,

Il chantait la forêt, un Dieu pour chaque fleur,

Il m’a appelée la « vierge des couleurs » ;

Et juste à ce moment, le vent m’a parlé,

La lune m’a étreinte et je me suis envolée.

 

 

 

Chevalier et roi sans épée à la main,

Vous qui croyez au destin,

Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,

Parle au vent, parle à la lune.

Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,

Parle au vent, parle à la lune.

 

 

 

Et maintenant je n’ai plus peur, je n’ai plus peur.

Je suis chaux dans le roc ; et cendres dans les airs ;

Et feuilles, mes cheveux ; et blé, mon sourire ;

Et vent, ma voix ; et nuit, ma chimère ;

Et je viendrai encore, dans la nuit dansant,

Siffler avec le corbeau, rire avec le vent ;

Et quand soufflera le feu et son grand air,

Vous me sourirez et je regarderai le firmament ;

Vous me tendrez les bras, en pleurant,

Vous baiserez mon visage d’eau claire.

 

 

 

Et je serai libre.

 

LA SORCIÈRE
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Published by Marco Valdo M.I.
16 juillet 2020 4 16 /07 /juillet /2020 21:26

 

Le Footballiste

 

Chanson française – Le Footballiste – Marco Valdo M.I. – 2020

 

Scènes de la vie quotidienne au temps de la Guerre de Cent Mille Ans.

Histoire tirée du roman « Johnny et les Morts » – du moins de la traduction française de Patrick Couton de « Johnny and the Dead » de Terry Pratchett. (1995)

 

 

 

Les Footballistes

 

par Nicolas de Stael – circa 1950

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

 

Par le grand Onos, dit Lucien l’âne, un footballiste.

 

Oui, dit Marco Valdo M.I., un footballiste. Ce n’est pas tous les jours qu’il y a une chanson pour vanter les mérites d’un footballiste.

 

Pourtant, dit Lucien l’âne, souvent, ils les méritent ces mérites. D’ailleurs,

 

Surtout, continue Marco Valdo M.I., quand ce sont des footballistes émérites comme Stanley Parisi, un gars carrément célèbre qu’on célèbre ici dans cette chanson-ci, comme est fêtédans cette chanson-làVictor le footballiste, une chanson du Grand Jojo (dont on connaît déjà les portraits de héros : Le Sergent Flagada et Jules César).

 

D’ailleurs, dit Lucien l’âne, à bien la réécouter, je me rends compte en effet qu’elle présente une véritable parenté avec Victor : si ce n’est pas là une chanson-sœur, c’est au moins une chanson cousine.

 

Chanson-sœur, chanson cousine, dit marco valdo M.I., il n’y a là rien d’étonnant, car tout en écrivant l’histoire de Stanley Parisi, je fredonnais la chanson de Victor et je dois avouer que ces deux-là ont des points communs. Par exemple, tous deux foncent sur le terrain à toute allure derrière le ballon et tous deux se considèrent comme des artistes ; mais il y a quand même quelque chose qui les distingue et qui justifie la présence de Stanley dans les Chansons contre la Guerre (C.C.G), c’est que ce dernier n’est pas seulement un (anti-) héros du stade, c’est aussi un héros des tranchées de la Somme en 1916, où se perpétra un gigantesque massacre – plus d’un million de victimes. Le premier jour de l’offensive anglaise, le 1er juillet, les seuls Britanniques ramassèrent 20 000 morts. Quant à Stanley, comme le dit la chanson, il s’en tira :

 

« Et Stanley « pas par là » dribbla la mort. »

 

En somme, dit Lucien l’âne, il s’en est tiré probablement par chance, comme tous ceux qui en sont revenus. Ce qui ne fut pas le cas pour l’artilleur de Mayence d’Aragon que chantait Léo Ferré dans « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ».

 

« Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu. »

 

Je vois, Lucien l’âne mon ami, que ta mémoire d’âne est parfaite et connaît bien la chanson ; c’est réjouissant. Maintenant, deux mots de ce héros de la Somme qui dribbla la mort. On sait que c’est un footballiste assez sportif et très enthousiaste et qui a acquis ainsi une certaine célébrité. Cependant, il s’agit de savoir le pourquoi du comment ? À moins que ce ne soit le comment du pourquoi ? Bref, pour élucider ce mystère, on dispose de son nom : Parisi – qui en français peut s’orthographier « par ici » et de son surnom – donné par ses partenaires et par les supporters« Pas par là ». Si on met les deux à la queue, on obtient évidemment : « Par ici, pas par là ! ».

 

Comment mérite-t-il une telle appellation ?, un tel traitement ironique, moqueur, dérisoire et pourquoi ?, demande Lucien l’âne.

 

Tout simplement, répond Marco Valdo M.I., car – et c’est dit dans la chanson, il est dans ses habitudes de partir dans le sens contraire et une fois lancé, il est inarrêtable et dribble tous ceux qu’il rencontre sur sa course vers le but et de marquer. C’est fort bien, à ceci près qu’il se trompe de côté et qu’il marque contre son propre camp. Il le fit tellement souvent qu’en plus sobriquet rigolard, il a, dans les mémoires, gagné le titre de « recordman du monde des buts contre son camp ». Cela étant, il me reste à préciser qu’il a comme amis : l’alderman (voir Le Cimetière), le syndicaliste, le taxidermiste, l’illusionniste et la suffragette qui sont ses voisins à perpétuité et que tout comme eux, il continue à agir post-mortem et donc, naturellement, à pratiquer son sport favori.

 

Comme on le sait, dit Lucien l’âne, un footballiste, comme tous les sportifs, garde longtemps le goût et en quelque sorte, le besoin de pratiquer. Nous, nous tissons le linceul de ce vieux monde sportif, compétitif, footballistique, fanatique et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M. I. et Lucien Lane

 

 

 

Stanley connut les tranchées de la Somme,

Où par milliers tombaient les hommes,

Les obus, les boues, les morts.

Et Stanley « pas par là » dribbla la mort.

 

En retard, Johnny traverse en trombe

Le désert glacé du cimetière

Et stoppe pile devant une tombe

Lovée dans les fougères.

 

Un marbre, gris, plat et banal,

Une paire de bottines de foot gravée

En grand domine le texte bancal :

Le nom et les mortelles coordonnées :

 

— Stanley Parisi, « Pas par là »

Son dernier coup de sifflet.

Un gars presque célèbre, là au-delà.

Et une vedette, une star, ce Stanley.

 

Chez les supporters des Vagabonds de Blackbury

Rouges et blancs, au stade tous les samedis

En rangs par dix, aller dix de front

Et soutenir les as du ballon rond.

 

Stanley « Pas par là » était un bon garçon.

Le Guardian annonce dans sa nécrologie

Toute une carrière chez les Vagabonds,

Et un record de buts d’anthologie.

 

Parisi, un champion historique,

Stan, un marqueur magnifique,

Un joueur absolument fantastique,

Et le plus grand, le plus épique.

 

Stanley Parisi, merveilleux footballiste,

Un géant, un sportif, un artiste.

« Pas par là » fonce tout droit

Et met des buts à chaque fois.

 

Parisi – pas par là à l’avant :

Enthousiaste, excité, enflammé

Est recordman des buts marqués

Et des buts contre son propre camp.

 

Stan en short jusqu’aux genoux, comme avant,

Toujours rapide, toujours fougueux, toujours vaillant,

Montre aux éternels non-vivants

Comment tuer le temps.

 

 Le Footballiste
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Published by Marco Valdo M.I.

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