Les Chouettes Crucifiées
Mon ami Lucien l'âne, tu sais que le lendemain de leur assassinat par des déments – vrais cons cagoulés en vengeurs d'un quelconque prophète – les dessinateurs de Charlie avaient déjà empli le Paradis de dessins de bites… Il y en avait partout et selon la rumeur, le propriétaire des lieux aimait ça. Cette petite introduction pour te dire que si certains aiment dessiner des bites partout, il y en a d'autres qui veulent mettre des crucifix partout.
D'accord, j'en ai entendu parlé et puis, des bites, j'en ai déjà vues des tonnes. Note que des crucifix, depuis le temps que je me balade, j'en ai vu jusqu'à plus soif, jusqu'à l’écœurement. Alors, comme ton introduction est finie, accouche… N'y va pas par quatre chemins, dis ce que tu as à dire et fais-moi voir ta chanson, car je pense bien que celle-ci, tu l'as écrite…
Oui, je l'ai écrite aujourd'hui-même, après avoir mis en français un communiqué de nos amis de l'Uaar (L’UAAR, Unione degli Atei e degli Agnostici Razionalisti – Union des Athées et Agnostiques rationalistes), dont j'ai intitulé la version française : « L'affaire Coppoli ou la disparition des crucifix ». Et je pense bien que ce petit texte – version française t'amuserait beaucoup...
D'autant plus que c'est moi-même qui l'ai commenté. D'ailleurs, le voici :
L'affaire Coppoli
Ou la disparition des crucifix.
Ah, dit Lucien l'âne, vues d'Europe, ces nouvelles venant de l'Italie sont des plus surprenantes et ont tout l'air de venir d'un Catholand, où l'intégrisme semble la mesure de toutes choses. Pour un peu, on y retrouverait des bûchers et une sainte inquisition. On dirait un pays resté à la traîne de l'Histoire et nageant dans des relents moyenâgeux.
Voici encore l'exemple d'un laïque poursuivi en tant que tel ; poursuivi pour neutralité scolaire, pour défense de la laïcité de l'école, prévue par la Constitution...
Italiens, encore un effort pour devenir laïques !
Note générale : L'asino Lucciano a l'habitude de commenter les traductions – en les interrompant par des réflexions exogènes. Ces escapades sont encadrées de parenthèses et ne reflètent que les émanations de cet esprit curieux.
Le Bureau scolaire régional pour l'Ombrie a convoqué, le 5 février prochain, en vue du débat contradictoire dans sa défense, le professeur Franco Coppoli, coupable d'avoir décroché les crucifix du mur de la classe où il enseigne à l'Istituto Tecnico Industriale et Geometri « Allievi-Da Sangallo » de Terni.
Le Bureau des procédures disciplinaires reproche au professeur Coppoli, auquel l'Uaar prête une assistance légale, « le fait qui d'avoir décroché des murs de quatre classes dans lesquelles il donne cours les crucifix fixés par des vis et de la colle en provoquant des dommages aux murs pendant les heures de cours et que successivement toujours pendant les cours, il ait personnellement rebouché les trous ». [ Si je comprends bien, dit Lucien l'âne, on lui reproche d'avoir réparé les murs de l'école…] Le Bureau « met en évidence que les faits reprochés, les enlèvements des crucifix des salles, ont fait l'objet d'une précédente procédure disciplinaire à son encontre et que par conséquent ils constituent une récidive ».
Une nouvelle, communiquée le 9 janvier, à la quelle ressemble la sentence de la Cour d'Appel de Perugia qui, le 15 octobre passé, a repoussé le recours présenté par le professeur contre la sentence du Tribunal de Terni, de mars 2013, qui retenait inexistante la discrimination dénoncée par Coppoli et légitime la suspension de trente jours infligée pour avoir ôté des crucifix des salles de l'Institut professionnel « Alessandro Casagrande de Terni », où à l'époque il enseignait.
Les faits remontent à 2008 lorsque Coppoli refusa de rétablir les crucifix dans la salle de la classe III a — comme l'avait par contre décidé d'une assemblée de classe et ordonné le dirigeant de l'Institut — et fut pour cela suspendu pendant un mois de l'enseignement.
Pour la Cour d'Appel de Perugia, contre la sentence de laquelle Coppoli a annoncé qu'il présentera un recours en Cassation, « il ne semble pas qu'on puisse trouver de discrimination » car la « décision du dirigeant scolaire, concernant l'exposition de crucifix, étaient adressée pas seulement au professeur Coppoli, mais plutôt à tous les professeurs qui enseignaient dans la classe III a » [ quelle bande de faux culs, dit Lucien l'âne] et donc « ne comportaient pas de différence de traitement vis-à-vis de Coppoli par rapport à celui réservé aux autres enseignants ». La Cour d'Appel retient aussi que Coppoli n'avait pas de titre pour être victime de « supposée violation » des principes de bonne conduite et d'impartialité par l'administration publique et vis-à-vis de la laïcité de l'État puisque ceux-ci (les principes) « se réfèrent non pas à des droits subjectifs des individus, mais plutôt à des intérêts diffus, c'est-à-dire de la collectivité dans son ensemble » [ Évidemment, dit Lucien l'âne, c'est bien là le nœud du problème : soit on considère les gens comme des êtres doués de raison et d'une personnalité propre ; soit on les envisage comme les brebis d'un troupeau et on les traite en masse ou en collectivité… Ah, comme on peut le constater : ce bon vieux fascisme n'est pas mort… Bah, dit l'âne qui en a vu d'autres, ils avaient raison en 68 : Ce n'est qu'un début, continuons le combat !, qu'ils disaient.]. En se référant donc à la maintenant tristement célèbre sentence de 2011 de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme, la Cour soutient que l'exposition du crucifix dans les lieux de travail « ne peut pas constituer un facteur tel à conditionner et comprimer la liberté de sujets adultes, doués, comme c'est le cas de l'appelant, d'un niveau d'instruction élevé et donc, supposé, doué d'un esprit critique plus détaché que celui de l'homme moyen, intellectuellement et culturellement moins équipé ». [ Mais en fait, la question n'est pas là, dit Lucien l'âne. Pour une personne moyennement douée de sensibilité, ce semi-nudiste, flottant dans l'air tenu par les bras à une croix, donne la nausée… Il est carrément morbide et ne devrait en aucun cas être mis sous les yeux des personnes sensibles, des femmes enceintes et des enfants. La crucifixion à l'instar du pal, n'était pas, me semble-t-il, une partie de plaisir [ sauf peut-être, pour certains adeptes de séances spéciales] et véritablement, si je me souviens bien de la chose, la crucifixion était quand même censée être une séance de tortures… Comme disent les jeunes, c'est un spectacle assez « gore ». Par exemple, juste pour comprendre : Essayez de crucifier, ne fût-ce qu'un lapin dans une classe, évidemment dans la bonne intention de faire comprendre comment fonctionne une crucifixion et les souffrances que l'on inflige à tout crucifié généralement quelconque, fût-il lapin, chien, chat, chauve-souris (ça se fait dans le campagnes…), ou fils de n'importe qui … On criera à l'horreur, au sadisme, à la violence intolérable, on l'interdira dans l'intérêt des enfants, pour les protéger de cette ignominie ; on vous poursuivra en justice ; alors, pensez, tout un homme, même barbu, même en slip. Eh bien, non ! En Catholand, on fait l'inverse. On prône la crucifixion publique comme moyen d'instruction ! Mais bien entendu, pas d'expérimentation sur ces pauvres lapins, chiens, chats, chauves souris… Même pas sur l'homme en slip… Juste une figuration… Un totem.]
« Encore aujourd'hui — commente l'Uaar — chercher à enseigner ou à exercer son activité ouvrable en des lieux publics connotés de l'un ou l'autre symbole religieux est difficile et lourd. Il suffit de penser à l'affaire du juge Luigi Tosti, à celle du prof. Davide Zotti et à celle où est impliqué le prof. Franco Coppoli, le chemin des droits civils et de la laïcité de l'État, dans notre Pays [ l'Italie], est encore en montée, mais l'Uaar est et sera un instrument de tutelle [ comprendre : aide et protection] et de solidarité concrète dans ces importantes batailles civiles ». – Fin de « l'Affaire Coppoli. »
Donc, Lucien l'âne mon ami au regard si noir, voilà, mon point de départ : cette affaire Coppoli, dont tu as dit tout le bien qu'on peut en penser. Mais moi, comme tu le sais, j'ai la foutue manie de faire des chansons – tout ça à cause des Chansons contre la Guerre, comme je l'ai déjà raconté. Alors, forcément, j'ai fait une chanson. En fait,dans cette chanson, deux parties s'expriment : Ceux qui croyaient au crucifix ; ceux qui n'y croient pas et le trouvent vraiment dérangeant. Elles s'expriment alternativement. Les premiers concluent chaque quatrain par un refrain disons « évangélique » :
« Petits enfants, si vous croyez,
Bientôt, avec lui, vous serez. »
Les seconds, mal-pensants, mécréants, assez proches finalement du Christ de la Cathédrale d'Amiens de Clovis Trouille, lequel Christ était descendu de sa croix et se marrait de voir l'église… s'expriment après chacun de leur quatrain par un refrain qui refuse le crucifix :
« Pas de crucifix, mes amis,
Mais, contrairement à toutes les attentes, comme dans les meilleurs films, il y a un « happy end » :
Qui crie « Marre du crucifix »... »
On le comprend, ce Jésus, dit Lucien l'âne. Moi aussi, j'en aurais marre de rester sur ce machin et en plus à des milliers d'exemplaires… Je n'aimerais pas qu'on me fasse ce coup-là et qu'on se paie ainsi ma fiole. Mais je te signale qu'il l'avait déjà fait savoir par Léo Ferré :
« Mais peut-être qu'un jour le crucifié
Lâchera ses clous et ses épines
Sa rédemption et tout le paquet
Et viendra gueuler dans nos ruines
Y en a marre... Y en a marre...
Y en a marre ... »
Cette fois-ci, dit Marco Valdo M.I. en souriant, il faut le constater, ce n'est plus hypothétique, il le dit nettement : « Marre du crucifix ».
Et bien, si tu me disais ta chanson maintenant, ça me plairait bien de la découvrir et ensuite, on recommencera à tisser le linceul de ce vieux monde plein de totems, de prophètes et de crucifix, arrosé d'eaux bénites, théophagique et cacochyme.
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Regardez comme il est beau,
On dirait un grand oiseau.
Son père est un grand créateur.
Petits enfants, si vous croyez,
Bientôt, avec lui, vous serez.
Quel est donc cet oiseau de malheur ?
Il a l'air en mauvais état.
Rien qu'à le voir, on a mal au cœur.
Pas de crucifix, mes amis,
C'est un supplicié ; on aurait pu l'écarteler
On aurait pu l'empaler, le mettre sur un bûcher
Ou tout simplement, comme tant d'autres, le gazer
Mais voilà, on l'a crucifié.
Petits enfants, si vous croyez,
Bientôt, avec lui, vous serez.
Encore aujourd'hui dans nos hameaux,
On trouve les chouettes crucifiées
Sur la porte des granges martyrisées.
Pas de crucifix, mes amis,
Disent les gens des processions
Qui portent à bout de bras,
En cortège, des christs en croix.
Petits enfants, si vous croyez,
Bientôt, avec lui, vous serez.
Les grands esprits civilisés
Ils les brûlent, ils les détruisent même.
Pas de crucifix, mes amis,
Il multiplie les pains, un vrai boulanger.
Il marche sur l'eau, il aime les enfants.
Petits enfants, si vous croyez,
Bientôt, avec lui, vous serez.
Qui est ce type en slip au-dessus du tableau ?
On dirait qu'il va s'envoler là-haut.
On dirait qu'il est tout nu,
On voit presque le trou de son cul.
Qui est ce type en slip au-dessus du tableau ?
Il est triste et pas rigolo...
Ce mec-là, c'est Jésus-Christ
Qui crie « Marre du crucifix »...
Pas de crucifix, mes amis,
Pas de crucifix, mes amis,
Pas de crucifix, mes amis,
Pas de crucifix, mes amis,
Pas de crucifix, ici. …..
LAMENTATION POUR LA MORT
DE TURIDDU CARNEVALI
Version française – LAMENTATION POUR LA MORT DE TURIDDU CARNEVALI – Marco Valdo M.I. – 2015
d'après la version italienne d'une
Chanson sicilienne – Lamentu pi la morti di Turiddu Carnevali – Ciccio Busacca
Poème d'Ignazio Buttitta
Musique de Nonò Salamone
Interprétation de Ciccio Busacca
En guise d'introduction, voici l'introduction d'une autre chanson en langues française et italienne - intitulée Salvamort - qui raconte, elle aussi, cet assassinat :
Salvatore Carnevale [1923-1955].
Cette chanson relate la mort – l’assassinat d’un militant syndicaliste paysan de Sicile par la mafia, le 16 mai 1955 à Sciara.
La mère de Salvatore, Francesca Serio, a été la première femme dans l’histoire de l'Italie à porter la dénonciation d’un crime mafieux devant un tribunal public.
Le procès,qui en découla est lui aussi emblématique.
D'abord, les hommes de main, puis les carabiniers vinrent tenter de contraindre Francesca, cette femme seule à qui on venait de tuer son fils, à se taire, à passer sous silence ce meurtre.
Elle refusa, elle réclama justice pour Salvatore assassiné.
Prévu à Palerme, le procès fut renvoyé sur le continent. Depuis, c'est devenu une habitude.
Elle persista dans son obstinée revendication de justice.
Le procès eut lieu. Les avocats des parties ne sont pas des inconnus.
Pour porter la voix de la justice, la voix de Salvatore assassiné, il y avait Sandro Pertini.
Pour défendre les assassins, il y avait Giovanni Leone.
Tous deux furent des emblèmes des deux Italies, tous deux furent par la suite et successivement Présidents de la République.
Leone, issu de la Démocratie Chrétienne, dut démissionner de son mandat de Président pour corruption.
Son successeur, Sandro Pertini fut un Président respectable, respecté et d'une haute tenue morale.
Les deux Italies qui s'affrontent encore toujours.
Encore aujourd'hui, les femmes de Sicile qui – comme Laetizia Battaglia – affrontent la mafia, se regroupent pour combattre « cosa loro », pour crever les yeux de la pieuvre, se réclament de cette mère courage.
Carlo Levi l’a soutenue et a raconté cette histoire dans son livre « Le parole sono pietre » - « Les paroles sont des pierres ».
C’est un texte central dans l’œuvre de Carlo Levi.
Francesca Serio avec Carlo Levi
C'est encore une de ces canzones en deux langues et dont l'auteur espère qu'elles pourront être chantées dans les deux langues le plus souvent possible. Rien n'empêche évidemment de ne chanter qu'en français ou qu'en italien.
Pour rappel, l’ensemble des chansons lévianes veulent montrer le caractère poétique de l’écriture et de la pensée de Carlo Levi et ont vocation à être mises en musique et en scène et chantées.
Pour les amis de langue française, voici une brève biographie de Salvatore Carnevale :
Salvatore "Turi" Carnevale (Galatti Mamertino 23 septembre 1923 – Sciara, 16 mai 1955) - syndicaliste italien.
Ouvrier agricole et syndicaliste socialiste de Sciara (PA) de 32 ans, il fut assassiné le 16 mai 1955 à l'aube tandis qu'il se rendait à son travail dans une carrière de pierres appartenant à l'entreprise Lambertini.
Les tueurs l'assassinèrent sur le chemin muletier des « Cozze secche ».
Carnevale avait donné beaucoup de fil à retordre aux propriétaires terriens pour défendre les droits des travailleurs agricoles.
En 1951, il avait fondé la section socialiste de Sciara et il avait organisé la Camera del Lavoro.
En 1952, il avait revendiqué le partage des produits de la terre pour les paysans et il avait organisé avec les paysans l'occupation symbolique des terres de Giardinaccio, appartenant à la princesse Notarbartolo. Il fut arrêté et sorti de prison, il se réfugia en Toscane pour deux ans, où il découvrit une culture des droits des travailleurs plus forte et plus radicale.
En août 1954, il rentre en Sicile, où il transpose dans les luttes paysannes son expérience acquise dans le Nord.
Trois jours avant d'être assassiné, il avait obtenu pour ses camarades le paiement des salaires en retard et le respect de la journée de 8 heures.
Ont été accusés de son assassinat : Giorgio Panzeca, Antonio Mangiafredda et Luigi Tardibuono, l'intendant de la princesse Notarbartolo.
En première instance, les accusés furent condamnés à la prison à vie. En appel et en Cassation, défendus par Giovanni Leone, les trois accusés furent acquittés.
Voici venir Cicciu Busacca
Pour vous faire entendre l'histoire
De Turiddu Carnivali
Le socialiste mort à Sciara
Assassiné par la mafia.
Pour Turiddu Carnivali
Pleure sa mère
Et pleurent tous les pauvres de la Sicile
Car Turiddu Carnivali
Mourut assassiné
En défendant le pain des pauvres
Et maintenant
Écoutez
Car il y a à apprendre
Dans l'histoire
De Turiddu Carnivali,
Son histoire vous dit :
C'était un ange et il n'avait pas d'ailes
Ce n'était pas un saint et il fit des miracles
Il monta au ciel sans cordes et escalier
Et sans parachute, il en descendit ;
Son capital était l'amour,
Et il partageait cette richesse avec tous :
Turiddu Carnevale, il était né
Comme le Christ, il est mort assassiné.
Petit, il ne connut pas son père
Il grandit près de sa malheureuse mère
Compagne de douleur et de peines,
De pain noir et de dure sueur ;
Le Christ du ciel le bénit, il lui dit :
« Toi, mon fils, tu mourras assassiné ;
Les maîtres de Sciara, ces damnés,
Tuent tout qui veut la liberté ».
Sciara
Pour qui ne le sait pas
C'est un petit pays
De la province de Palerme
Où
Aujourd'hui encore
Règne et commande la mafia
Donc
Turiddu
Turiddu avait ses jours comptés,
Mais rencontrant la mort, il en rit,
Car il voyait les frères condamnés
Sous les pieds de la tyrannie,
Les chairs par le travail broyées
Sur le billot torturées,
Et il ne pouvait supporter l'abus
Ni du baron, ni du mafieux.
Turiddu
Il rassembla les pauvres avec tant d'amour,
Les couche-à-terre, les faces à trident,
Les mange-peu au souffle court :
Le tribunal des pénitents ;
Et il fit loi de cette chair et ce cœur
Et arme pour combattre les puissants
De ce pays désolé et sombre
Où l'histoire avait trouvé un mur.
Il dit au journalier : « Tu es nu
Et la terre est vêtue en grande pompe.
Tu la pioches et tu sues comme un mulet
Et tu es plat comme une lasagne ;
Vienne la récolte et à coup sûr,
Le patron accapare le produit
Et toi qui chaque jour travaille la terre,
Tu tends les mains et ramasses les pleurs.
Aies courage, tu ne dois pas trembler,
Viendra le jour où descend le Messie,
Le socialisme avec son manteau ailé
Qui porte paix, pain et poésie ;
Viens si tu le veux, si tu es décidé,
Si tu es ennemi de la tyrannie,
Si tu embrasses cette foi et cette école
Qui donne l'amour et console les hommes.
Oui,
Par sa parole le socialisme
Prend les hommes à terre et les élève
Et coule comme l'eau de la source
Et où elle passe, elle rafraîchit et assainit
Elle dit que la chair n'est pas de cuir
Ni même farine à pétrir :
Tous égaux, pour tous du travail
Mange le pain qui sue et travaille».
Il dit au journalier : « Vous dormez dans les grottes,
Dans les tanières et dans les étables,
Vous êtes comme les rats des égouts.
Vous vous rassasiez de haricots et de trognons ;
Octobre vous laisse des lèvres sèches
Juin avec les dettes et les cals
De l’olivier, vous avez les brindilles
Des épis, le chaume et la paille ».
Il dit : « La terre est à qui la travaille,
Prenez les drapeaux et les houes ! » :
Et avant que sorte l'aube
Ils firent des cuvettes et creusèrent des fossés :
La terre sembla une table dressée,
Vivante, de chair comme une personne ;
Et sous le rouge de ces drapeaux
Géant sembla chaque journalier.
Les carabiniers arrivèrent en courant
Avec les menottes et les fusils à la main
Turiddu cria: « Arrière maintenant!
Il n'y a ici ni voleurs ni assassins,
Ce sont les journaliers exploités, chiens,
Qui dans les veines n'ont plus de sang :
Si vous cherchez des voleurs et des brigands
Vous les trouverez dans les palais, avec les amants ».
Le maréchal fit un pas en avant,
Il dit : « La loi ne permet pas cela ».
Turiddu lui répondit fièrement :
« Celle-là est la loi des puissants,
Mais il est une loi qui ne se trompe pas et pense
Et dit : pain pour les ventres vides,
Habits pour ceux qui sont nus, eau aux assoiffés
Et à qui travaille honneur et liberté ».
Exact, disait Turiddu Carnivali
Même dans la Bible
Sont écrites ces paroles :
« Habits aux nus ! Eau aux assoiffés !
À qui travaille honneur et liberté ! »
Mais la mafia que pense-t-elle ?
La mafia pensait à coups de fusil ;
Cette loi ne plaisait pas aux patrons,
Ils étaient comme des chiens enragés
Les dents enfoncées dans les jarrets.
Pauvres journaliers malchanceux
Avec ceux-là sur le dos qui vous mordent!
Turiddu connaissait ces bêtes
Et il était vigilant quand il voyait des haies.
Il rentra un soir sans ailes
Le regard et la pensée dans le vague :
« Mange, mon fils, cœur loyal… » ;
Plus elle le regarde, plus elle le voit sombre :
« Fils, ce travail te fait mal »,
De la main, il s'appuyait au mur.
« Mère », dit Turiddu et il la regarda :
« Je me sens bien ». Et la tête se pencha.
Ce fut la dernière fois
Que Turiddu fut menacé par la mafia
Je dis la dernière fois
Parce que
Ils l'avaient menacé des centaines de fois
Tant de fois peut-être
Ils avaient essayé de le séduire
En lui offrant de l'argent
« Turiddu, fais attention
Tu fais fausse route
Tu es contre les patrons
Et tu sais
Qui se met contre les maîtres
Peut connaître une laide fin
D'un jour à l'autre
Il peut t'arriver
Un malheur »
Turi à ces menaces
Répondait toujours
De la même façon :
« Je suis prêt à mourir
Pour les paysans
Je suis aussi un paysan
J'ai eu la chance
De lire des livres
Et je sais ce que ce vous devez aux paysans :
Ce qui leur revient
Et vous patrons, vous devez leur donner ».
« Turiddu
Fais attention à ce que tu fais
On t'a averti tant de fois
Fais attention »
Turiddu, ce soir-là
Était rentré chez lui
Avec cette menace
Encore gravée dans son cerveau
Et dès qu'il entra
Sa mère lui servit la soupe prête
Comme tous les soirs
Dès qu'elle le voit arriver
Elle est contente
« Turiddu
Tu es rentré
Mon fils
La soupe est prête
Mange ».
Mais Turi
Ce soir
N'avait pas faim
« Maman
Laisse…
Ce soir
J'ai tant de choses
À penser
Je n'ai pas faim »
La mère a compris
qu'ils
Avaient menacé Turiddu
Encore une fois.
« Fils, tu as été menacé ;
Je suis ta mère, ne pas avoir de secrets ! »
« Mère, mon jour est arrivé » ; et soupirant
« Christ fut tué et il était innocent ! »
« Fils, mon cœur s'est arrêté :
Tu y a mis trois épées affûtées ! »
Gens qui êtes ici, criez fort :
La mère voit en croix son fils mort.
Cette fois
Les mafieux
Ont tenu leur promesse
Le lendemain matin
Alors que Turiddu allait travailler
À la carrière
Sur le sentier
Ils lui ont tiré deux coups de lupara
En plein visage
Pour le défigurer
On n'oubliera jamais ce matin :
Du seize mai
Mil neuf cent cinquante cinq.
Seize mai. L'aube au ciel brille,
Et là-haut, le château domine Sciara
Face à la mer resplendissante
Comme un autel sur d'un cercueil ;
Entre mer et château ce matin
On voit une croix dans l'air clair
Sous la croix, un mort, et avec les oiseaux
Tel un déluge, le pleur des pauvres.
Et comment pourra-t-on jamais oublier
Ce seize mai à Sciara ?
Une heure après que Turi ait quitté la maison
Sa mère entend frapper à la porte
Furieusement
(Sa mère était encore au lit)
C'était l'aube
« Francesca !
Madame Francesca !
Madame Francesca, ouvrez !
Ouvrez, il y a eu un malheur !
Ils ont assassiné Turiddu
Ils ont assassiné votre fils Turiddu
Ils lui ont tiré deux coups de lupara dans la figure
Ils l'ont défiguré
Ils l'ont assassiné
Turiddu,
Ils l'ont assassiné ! »
Le dire ainsi
C'est facile
Mais vous pensez
Pour cette pauvre mère
Qui avait ce seul fils
Comme elle s'habille en vitesse et en fureur
Et commence à courir
Par toutes les rues du village
En criant
En appelant les pauvres à la suivre
Pour aller pleurer
Sur le cadavre de son fils.
Elle criait : « Fils ! » par les rues et des ruelles
La mère angoissée qui courait
Vers le mort en tourbillons tempétueux
Monceaux de sarments qui brûlait
Dans le four avec le vent aux trousses :
« Courez tous pleurer avec moi !
Pauvres, sortez de vos tanières,
Il est mort assassiné pour votre pain ! ».
Ils sont arrivés
Les pauvres
Où se trouvait le cadavre de Turiddu
Mais
Personne ne pouvait passer
Personne ne pouvait regarder Turiddu
pour la dernière fois
Turiddu
Il était entouré de carabiniers
La mère
S'agenouille face aux carabiniers
« Carabinier, si vous êtes un homme…
Ne me touchez pas, partez d'ici,
Ne voyez-vous pas que mes mains sont des torches
Et je m'enflamme comme poussière dans le feu ;
C'est mon fils, garez-vous,
Laissez mon pleur et ma douleur s'épandre,
Laisser la colombe blanche s'envoler
Qu'il tient dans sa poitrine du côté gauche.
Carabinier, si tu es un homme
Ne vois-tu pas qu'il perd son sang fin
Laisse-moi approcher que je soulève
Cette pierre qu'il tient comme coussin,
Que sous son visage, je lui mette les mains
Sur sa poitrine, je pose mon cœur
Qu'avec mon pleur, je soigne ses blessures
Avant qu'il fasse jour demain matin.
Qu'avant qu'il fasse jour je trouve l'assassin
Et que j'arrache son coeur avec mes mains
Je le porte au prêtre :
Et je dise : sonnez les cloches, sacristain !
Mon fils avait le sang d'or fin
Et celui-là, pour sang a la pisse de marécage
Appelez-le un tigre pour qu'on le piège.
Je creuse sa fosse avec mes mains !
Fils, que dis-je, je perds la tête ;