LETTRE À MA FIANCÉE
Version française – LETTRE À MA FIANCÉE – Marco Valdo M.I. –
2009
Chanson italienne – Lettera alla Fidanzata – Riccardo Venturi – 1990
(25 giugno)
Lucien mon ami, regarde ce beau chardon... C'est Riccardo qui te
l'offre, à toi expressément... À toi : « Ma un asin bigio, rosicchiando un cardo... ». Bon d'accord, pas plus que moi, tu sembles connaître l'auteur de ce petit bout de
phrase...
Mais si, mais si, dit Lucien l'âne en secouant sa jolie queue
en signe de confirmation. Je sais bien qu'il s'agit d'un texte de Carducci. Que penses-tu ? Que j'ai traîné pendant des siècles tout autour de la Méditerranée sans savoir les textes qui parlent
de l'âne... Je comprends que toi, mon ami Marco Valdo M.I., qui selon tes propres dires ne connaît que fort peu l'italien et l'Italie, tu ne saches que peu de choses de Carducci. Je le comprends
bien, mais moi, Lucien, enfant de Lucien, depuis le temps que je me promène en âne littéraire et cultivé... Et puis, laisse-moi te résumer ce passage – dont je remercie notre ami de me l'avoir un
peu dédié... C'est l'histoire du chameau... De ce chameau mêlé à mille aventures et qui invariablement, quels que soient les événements « s'en fout ». le refrain de la chansonnette est
: « Le chameau s'en fout ». Et bien, ici l'âne qui mange le carde de Riccardo, pour tout sauf manger son carde, fait exactement comme le chameau.
Mais, mais, Lucien mon ami, ne t'emballe pas comme çà... Je la
connais la chanson du chameau et d'ailleurs, tu aurais pu préciser que ce fameux refrain est dit ou chanté sur un ton absolument et rigoureusement sinistre, si possible d'une voix caverneuse...
Mais l'essentiel, c'est quand même que Riccardo Venturi, alias, alias... Ici Ahmed il Lavavetri ove il Lavacardi... nous ait invités à un jeu de traduction. Et en voici le résultat... qui n'est
d'ailleurs pas une traduction facile, mais des plus fidèles quand même. Quoique, elle ne soit pas plus fidèle qu'à l'habitude; disons qu'elle ressemble au texte d'origine; elle peut en donner une
idée. Comme dit Riccardo de son propre texte – qui est vraiment un Extra des plus extras, on ne sait si elle est bonne ou mauvaise, si elle est belle ou laide... Et j'ajouterais si elle est
compréhensible ou non. D'ailleurs, j'ai dû créer quelques néologismes … Pour son texte et pour ma traduction, je fais appel aux lumières de Boby Lapointe qui disait
:
« Je dis que l'amour,
Même sans amour,
C'est quand même l'amour
Comprend qui peut ou comprend qui veut! »
Remarque, remarque, dit Lucien, qu'on a accepté son jeu, il
giuoco... Où cela va-t-il nous emmener ?
Je n'en sais trop rien, mais une chose sûre (chaussure ?) est que
j'ai eu bien du plaisir à retrouver le mot « eteronimo », qui est notre nature profonde. Quant à la musicalité de notre composition, ce n'est pas moi qui pourrai en juger, n'ayant pas
l'oreille musicale.
Ni moi non plus, dit Lucien l'âne, qui ait les oreilles trop
musicales... À moins que tu ne te décides à me lire le texte en le psalmodiant comme tu sais si bien le faire , parfois.
Allons, je vais te le lire comme le
psalmiste...
Ainsi parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien
Lane.
Je t'écris, ma chère, pendu à un roc métastatique
Qui surplombe cette corniche granitique
De Casalverminoso, bourg, un jour fourmillant,
Disparu dans les neiges, vêtu en émigrant.
Perdu désormais depuis longtemps, depuis huit mille
heures
Dans la mer des Astrophynges, Christ Pantocrator
Comme un bouchon tiré d'une bouteille grise
Faisant la navette entre l'éternité et la laisse.
Je me charge de vin, un galicien à la saveur
soyeuse
Loin du souvenir, avec une pipe en main
Remplie de Latakia sur le précipice humain
Sacerdotal romarin de couleur tubéreuse.
Les faux éclatent des pierres molybdènes,
Je m'interroge sur le plan des soutiens-ricochets;
L'épée des crépuscules se mélange aux violettes
D'un Sole Ventiquattr’Ore mis en page
rose.
Voici l'ancien paysage; carte sans destination
pratique.
Je m'imagine écrire des lettres asphodéliques :
À larges dents nagent les verbes et les adjectifs
Jetant bas le masque des rythmes positifs.
Et le fou encore vient avec ses poings serrés,
lents
À te courir sur le nez, à recompter tes dents...
« Je t'aime, oui je t'éééémeuh, tant que j'ai une grande peine au
coooeur »
(Liqueur multicolore, grande pâleur d'amour).
Cerveau épouvanté par un syndrome formel
Et la monnaie de prix offerte à une averse;
Quel chat noir et lucide, je suis ce soir !
Je me sens un peu Falloppe vêtu en Havanais.
En démontant et passant lentement, j'engloutis les mâtines;
Je t'écris ma chère, encore, couvrecouleuvrine,
Je revois peu à peu ces instants et les visées,
Canon un peu essoufflé de l'art sans monnaie.
Porteur d'espoirs d'ancien grand lignage
Je verse dans mon verre trois tonnes de courage
Je t'écris, ma chère, gonflé d'odorants liquides
Tirant de la terre la force des Atrides.
Et pourtant souffle, souffle le havane rouge
(le vent atteint, quelle chaleur, à l'intérieur, les lèvres
rouges).
Le lacet déjà enlace cette figure basanée,
Le chêne s'algorythme, lavandière effeuillée.
Éternel épamprage aux œillades fumantes
Et de larmes trop connues sur les pavés
évanescents;
Amoureux, Trésor, d'or, tu feras un effort d'or
Pour regarder les étoiles au-dessus d'un visage
incolore.
Mais déjà on pirouette
(cacahouète) sur une maladroite tempête
La civette du sens sidéral se
terre
J'ai la barbe courte et les
moustaches christo-marxistes de Groucho
Perdu dans l'hébraisme de ce
jour étrange
Je me vends ici à des brutes de
troisième main
Et toi où es-tu ? Je me demande mille fois
Suivant les aléas (et la poule chante)
Dans le jeu des tours cachés des sens obscurs
Ne rejette plus la source des futurs incertains
Où donc a fini la semence qui dégorge en lait
blanc
De cette canne rouge, avant qu'on s'en aperçoive
?
!Ay, qué eres hermosa!, femme au conditionnel
Du nombril mobile, puits de l'animal.
Et puis nous serons libres, en volant sur une ligne
intérieure
En mangeant givre et gel, en buvant les
glaçons...
Je t'écris, ma chère, légèrement, mais l'âme éperdue
souffre
Comme une vieille chaussure dont on a ôté la
semelle.
Et alors tu te diras : Est-ce le suc de la vie ?
C'est un suc de descente, un suc de remontée;
De tranches de Parnasse qui se consomment
cyniques
mes pieds remontent comme des cas cliniques.
L'image est espérance et l'espérance est neige,
Elle se dissout et déjà retombe et se reforme
légère.
Des cimetières à la mer, on recycle en songe
Avec cette feuille souple courbée par le besoin,
Comme le riz qu'on écrase, la pâte qu'on mêle
De lumière errant sur l'ombre grimpée.
Et sois sûre et lente, peut-être turlupinée
Durissime et terrible, douce et guindée.
Mais si on fait le compte, tu verras que le juge
sort
Avec sa toge propre et ses lèvres très
dégoutantes,
Je traverse la façade, je me cogne aux
échafaudages,
Suspendu entre les citrons, je refais les
échaudages.
Les consoles d'ordinateurs et
les murs en pierre abouliques
Auxquels une chenille asphyxique
a déjà montré les dents.
Ignorent les guipures, marasmes
étouffants
Et moi qui m'éloigne avec mille
lires et un tango
« Je te lance des regards
précis, tout le reste est faux
Et je creuserai les nuages
jusqu'au noir absolu. »
Si le secours arrive, tu verras quelle cohue
Se produit et toute la famille déjà se démène
Décrépie et muséale, cyanure de sulfure
Méthacrylate aldéhyde, elle s'infecte à coup sûr
!
Lucrèceborgia indomptée, je suis le héros de la
discorde
Sublime et un peu survolté, rempli de
miséricorde,
Les pierres redoutent des futurs de névroses
Un peu plus moelleux, juste sucrés.
Je t'écris d'une vie, pas encore finie
Je plie mes avantbras d'un siècle et une heure
Précis comme un fuseau, heureux de tes silences
Moi, je me réinventerai en tueur d'absinthes.
Toi, énorme arrachepétales, gardienne des bois
Ô Domina, je te confie cette ultime mission
Retourne-moi les ongles, harcèlesurrénales,
Reine de milliers de carnavals défleuris
Je suis ici sur ce rocher, je voulais te le dire
Avant que le temps ne s'enfuie et ne disparaisse.
Et je me remémore un jour, tu venais à perdre
haleine
À une rencontre daltonienne et un peu bousculée.
Avec un vert sale exsangue de pavillons immondes
Il est temps d'y repenser, il est temps d'y voir.
Mais le flux du passé a désormais tout envahi.
Le remède aux ennuis sera de passer par d'autres
ennuis.
Et perdu dans les vignes, hélas, un jour je
retournerai
Pour regarder sans voix chevaux, lemmes et commas
Avec entre les mains un carde et aussi un naturel
(Shiseido) à califourchon sur une aurore boréale.
De Casalverminoso, je t'écris ma chère et je
ferme
et je timbre le chant de et je ne m'illusionne
pas
J'ai un mal millimétrique au troisième ou quatrième
os
Et je ne peux te serrer, mais peut-être puis-je,
puis-je.