BYZANCE
Version française – BYZANCE – Marco Valdo M.I. – 2009
Chanson italienne – Bisanzio – Francesco Guccini – 1981
Et
Parodique chanson italienne – Bisenzio - Riccardo Venturi - 2001
Byzance, ce soir.
Par Riccardo Venturi.
Nous descendions presque machinalement vers le port Bosforeion, quand une ombre furtive s'approcha. Nous ne savions pas exactement
quelle forme elle avait, même si on voyait un affleurement se projeter à la lumière de la lune, στο φως του
φεγγαριού, parallèle au mouvement de la mer, tranquille et inquiétant.
Elle nous dit, à voix basse, être l'écho d'un idéal et la vision de choses futures. Nous étions déjà prêts à remonter dans la R4
immatriculée à Smyrne et à passer la frontière turque proche tout en sachant les événements incertains qui nous y attendraient, nous fumes retenus pas une grosse main puissante de montagnard.
« Peut-être n'avez-vous pas bu assez », nous dit-elle. Marcos Oualdos M.Y. secoua la tête avec un sourire malicieux, ouvrit le coffre de l'auto et montra à l'inconnu les douze bouteille
de raki qui y étaient couchées, vides comme l'espace intersidéral. « Peut-être que je me trompais », dit d'une voix caverneuse l'inconnu. « Venez avec
moi. »
Et nous rentrâmes, légers, nous éloignant du port, vers la ville. Il énonçait, dans un dialecte, que nous comprenions
partiellement seulement, des choses sur Procope de Césarée. Il s'arrêta à une fontaine qui répandait une eau très fraîche. « Vous connaissez... »
Une des jeunes femmes, comme ahurie, s'enhardit à demander : « Nous connaissons... ? »; il s'ensuivit un bref silence
absolu, qui parut à tous durer des siècles.
« Connaissez-vous... l'Anarchein ? ». Il utilisait l'ancien infinitif du verbe « anarchô ». Né avant le
substantif. D'abord l'action; vivre sans gouvernement et sans règlements, sûrement, mais aussi étymologiquement : non-début, sans commencement. An-archô. Vivre sans règle est n'avoir aucun début.
Quelqu'un, timidement, pensa au roman que Pasolini écrivait quand il fut tué, « Petrolio », qui ne commence pas. « Ce roman ne commence pas », est-il écrit exactement sur la
première page du manuscrit. Et la règle, le régiment, la parade, la file doivent par la force des choses avoir un début et une fin. Anarchein signifie au contraire faire abstraction des
extrémités bourgeoises. Il signifie n'avoir ni début ni fin; et, par conséquent, anarchein est l'unique système valide et vrai pour défaire la mort.
Sans dieux, sans paradis, sans transcendance. Avec cette simple question, le gigantesque inconnu à la voix blèse et rocailleuse
avait déjà donné la réponse. Connaissons-nous ? La connaissance, par les ruelles de Byzance aux mille noms, paraissait claire dans les regard et les visages de millions de vies qui possédaient
seulement elles-mêmes, et qui dans leurs regards et dans leurs visages trouvaient leur unique raison d'exister. L'inconnu, dans ses poches, avait trois bombes allumées.
Trois balles obscures, trois mèches qui brûlaient, lentement, inexorablement. « Nous sauterons tous, autant que nous sommes,
en l'air », dit doucement l'autre des femmes. « Jamais », répond-t-il. « Nous, nous ne mourrons jamais. Nous sommes mille fois morts et nous sommes renés autant de fois.
Buvez, buvez encore », et il tira d'une autre poche une petite bouteille d'un liquide sombre et très fort, distillé de sang de roi.
À ce moment précis, le mage tirait des horoscopes de santé et de prospérité pour le puissant. Justinien et Théodora, avec leurs
lois, avec leur Autocrate pour user et abuser de l'oppression des peuples. Aleksandr Nevackij, Varègue du royaume de Kiev, ne faisait pas la fête. Lui avait compris: et le Mage Masethatios,
manipulateur d'atomes, continuait, continuait. La R4 arrivait, parcourant les ruelles obscures, au palais de l'empereur.
L'explosion fut entendue de tous les continents. Une guitare de lumière décrivit une virevolte indicible au-dessus du détroit du
Bosphore. Markos Oualdos M.Y., qui était au volant, enclencha la seconde pour partir comme on fait sur la glace; la voiture s'éleva doucement, au-dessus de Byzance qui peut-être n'a jamais
existé, alimentée par deux rations d'alcool au moment même noble et prolétaire. « Vous avez vu ». Nous avons vu et fait. Accouraient les peuples innombrables, les Alamans et les Goths,
accouraient les impies. Le palais n'existait plus.
Sur une plage. Au soleil. Nous nous aimions tous désespérément. Nous nous cherchions. Peut-être nous trouverions nous. Peut-être
ne nous trouverions nous jamais. Peut-être sommes-nous tout. Peut-être sommes nous rien. L'inconnu, malgré le soleil terrifiant, n'enlevait pas son pardessus ni son chapeau. On se trouvera
sûrement. Nous avons vaincu la mort, nous avons ridiculisé Dieu.
Car nous sommes nés pour marcher sur la tête des rois; et parfois éclate la tête des rois.
Comme disait le très regretté Robert, Jean-François, Joseph, Pascal Lapointe, dit Boby, né le 16 avril 1922 à Pézenas
(Hérault), et y décédé d'un cancer le 29 juin 1972, chanteur français, connu pour ses textes parsemés de calembours, de contrepèteries et d'à-peu-près. Ainsi que le décrit Wiki. Que
dit-il au fait , notre ami Boby?
« Je dis que l'amour,
Même sans amour,
C'est quand même l'amour
Comprend qui peut
ou comprend qui veut ! ».
Ainsi donc, l'introduction de Riccardo Venturi est un roman à clés – multiples, c'est un récit des plus passionnants et
certainement explosif, si l'on veut bien le lire attentivement. Riccardo devait avoir un oncle du genre de celui de Boris Vian, tel qu'en lui-même il apparaît dans La Java des Bombes Atomiques,
ce génial et fameux bricoleur qui fit sauter à lui seul tout un G.8. Bien fait....En plus, on ne put même pas le condamner... Il avait raison.
On en redemande, dit Lucien l'âne, des tontons flingueurs comme celui-là. Ce serait un juste retour des choses... Où il y a de la
Gênes, il y avait de l'espoir... et ils l'ont tué.
En attendant, faisons comme les Canuts : « Tissons le linceul du vieux monde... »
Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.
Ce soir aussi, la lune est sortie
Enveloppée d'une couleur trop rouge et vague,
On ne voit pas ce soir, elle s'est offusquée,
La pointe du stylo s'est brisée.
Quel horoscope, Mage, peux-tu tirer cette soirée ?
Moi, Filemazio, médecin, mathématicien, astronome, peut-être sage,
Réduit comme un aveugle à tâtonner partout,
Je n'ai pas la connaissance ou le courage
Pour faire cet horoscope, pour deviner de réponse,
Je reste ici à attendre que revienne le jour.
Et je dois dire, je dois dire, que je suis trop vieux pour comprendre,
Que j'ai perdu mon esprit dans qui sait quel abus, ou quelle oisiveté,
Et les astres changent dans les nuits d'équinoxe.
Ou alors moi, alors moi, j'ai mésestimé ce nouveau dieu.
Je lis en moi et dans les signes que quelque chose change
Mais c'est un faible présage qui ne dit ni comment, ni quand...
Je m'en allais l'autre soir, presque machinalement,
Descendant vers le port de Bosphoreion là où se perd
La terre dans la mer presque jusqu'au néant
Et puis redevient et ce n'est plus l'occident :
Qu'importe à cette mer d'être bleue ou verte ?
J'entendais les chants obscènes des ivrognes,
De gens au regard vide et peint...
Hippodrome, bordel et soldats nordiques,
Romains et Grecs hurlez où vous êtes partis...
J'entendais jurer en allemand et en goth...
Ville absurde, cité étrange de cet empereur marié à une putain,
De foules innombrables, de labyrinthes et de cruautés,
De barbares qui peut-être savent déjà la vérité,
De philosophes et d'hétaïres, suspendue entre deux mondes, entre deux ères...
Chance et âge ont décidé pour un jour pas trop lointain,
Où le destin voudrait qu'elle choisisse ma main, mais...
Byzance est peut-être seulement un symbole insondable,
Secret et ambigu, comme cette vie,
Byzance est un mythe qui ne m'est pas familier,
Byzance est un songe incomplet,
Byzance peut-être n'a jamais existé
Et j'ignore encore et une autre nuit s'en est allée.
Lucifer est déjà sorti, et s'est levé un peu de vent,
Il fait froid sur la tour ou c'est mon âge malade,
Je confonds vie et mort, je ne sais laquelle est passée...
Je me couvre la tête de mon manteau et je n'entends plus,
Et je m'endors, je m'endors, je m'endors...
Bisenzio
Réécriture assez parodique et démythifiante de Riccardo Venturi faite en 2001 ou depuis. Quartier populaire de la plaine entre
Peretola et Campi.
Ha, dit Marco Valdo M.I, j'étais un peu perdu dans cette chevauchée fantastique, où manquait dès l'abord l'ingrédient principal :
le cheval ou sa version moderne et populaire : le bus. Ici, le 30.
Dès lors, si on y ajoute la drache, tout s'obscurcit et l'aventure démarre.
« Le 30 est en fait l'autobus qui va de la gare de Florence à Campi Bisenzio » ( et retour, quand il y en a) : telle est
la note explicative que l'on trouve au bas du texte italien. Et dès lors, bien des choses s'éclairent dans cette sombre histoire florentine.
Surtout si l'on prend la peine de consulter une carte.
Le parcours du personnage n'est pas si erratique que cela et dans tous les cas, il y a moyen de le reconstituer, même s'il ne va
pas vers son but affirmé : Prato.
Les tenants de l'affaire restent cependant plongés dans un joyeux mystère que seul un soleil franchement estival pourra sans doute
éclaircir.
Reconstituons les faits :
Un personnage : Io, Ballerini... épicier...
Un bus : le 30.
Une série de lieux :
Capalle
je dois aller à Prato;
Quaracchi, San Piero a Ponti, Via San Martino, San Donnino...
Et Campi Bisenzio.
Tous lieux situés le long du Bisenzio et dans les lieux des Campi Bisenzio, qui entourent le lit de la rivière qui descend vers
l'Arno, à proximité de Florence.
Et une fameuse dérive du personnage, semble-t-il, perdu sous une pluie diluvienne, une vraie « drache », sans compter ce
qu'il avait éclusé lui-même dans le Bar Deanna...
Piera l'attend de pied ferme, demain matin.
Nougaro, quant à lui, était sous, sous , sous le balcon...
Mais aussi, on ne peut s'empêcher de penser au brave Léopold Bloom et à l'éveil de Dublin...
Dès lors, Bisenzio, qui rappelle Byzance et renvoie à ainsi à Ulysse et son Odyssée, à moins qu'il n'y ait là quelque chose des
aventures de Sally Mara et des équipées de son père et de son frère ou encore, l'équipée parisienne de Zazie et de son tonton, qui comme chacun sait (après les révélations de Zazie) est une
tata.
Grand moment d'errance dans les quartiers populaires proches de Florence.
Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.
Ce soir aussi, le 30* est arrivé.
Parti comme toujours du Bar Deanna
On ne voit pas Capalle, il commence à faire sombre,
Dire que ce soir je devrai aller à Prato,
Et il pleut tant qu'à Quaracchi, c'était presque un lac...
Moi, Ballerini, épicier, communiste, gastronome, peut-être sage,
Réduit comme un aveugle à tâtonner partout,
Je ne trouve plus ma route, sous cette drache,
Piera m'attend déjà avec le plat et les légumes,
Il me faut rester dans la rue jusqu'au jour...
Et je dois dire, je dois dire,
Qu'il me l'avait bien dit Spartaco de partir,
Que j'ai perdu mon esprit dans on ne sait quel abus ou quelle oisiveté
Mais la maline, m'a tenu dans son commerce,
Moi peut-être, peut-être moi,
Avais-je sousestimé le grondement,
Mais ensuite s'est déchaîné un ouragan du tonnerre,
Et maintenant, qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire à Piera ?
Je m'en irai à cette soirée, presque machinalement
Vers San Piero a Ponti, là où se perd
La terre sous le ciel jusqu'au néant.
Si tu ne fais pas attention à trébucher, tu y laisses une dent,
Les champs ressemblent à la mer, on n'y voit rien...
J'entendais les chants obscènes des ivrognes
Qui sortaient du petit bar de Via San Martino,
Café, liqueurs, lotto et vin,
Mais celui-là là, c'est Cioni qui est à San Donnino,
J'entendais jurer en campi-byzantin.
Ville absurde, cité étrange
Mais où donc je vais, putain la cochonne,
Entre des flaques démesurées qu'on se la fait en passant,
Et il ne manque même pas le parapluie, c'est la vérité,
Entre les trans et les doses d'héro.
Il me faudra dormir dans un chantier.
Et puis, demain, je me serai pris de ces coups
Car à la gare, j'ai raté le dernier autobus, mais...
Le Bisenzio répand une puanteur insondable
D'oeufs pourris et de viande putréfiée.
Le Bisenzio est une infection dont je n'ai pas l'habitude.
Le Bisenzio pue et bien autre chose qu'un pet.
Le Bisenzio n'a peut-être même jamais existé
Et il pleut encore, putain de pluie, quelle drache.
Piera a dû rester levée, elle a fermé le loquet
Demain quand je rentrerai, elle prendra le rouleau à tarte,
La chose, vraiment, m'épouvante quelque peu,
Elle m'endort,
Elle m'endort,
Elle m'endort.