NOS CHANSONS
Version française – NOS CHANSONS – Marco Valdo M.I. – 2012
D'après la version italienne de Gian-Piero Testa
de chansons grecqsues – Τα
τραγούδια μας – Manos Loïzos / Μάνος Λοΐζος – 1976
Texte de Fondas Ladis
Musique de Manos Loizos
Première interprétation : Yorgos Dalaras
Deux ans après la chute de la dictature (des Colonels), les travailleurs grecs avaient beaucoup à rattraper. Ils devaient en premier lieu se réapproprier, pour la énième fois dans son histoire, leur principal syndicat, la Confédération Générale des Travailleurs Grecs, ΓΣΕΕ, qui, fondé en 1918, avait été trop de fois colonisé et institutionnalisé tant par les libéraux de Venizelos, que par le dictateur fasciste Metaxas, les occupants allemands, les agents « syndicalistes » britanniques, ceux des Zétazuniens, et enfin des Juntistes , qui restèrent longtemps dans les postes clés même après la chute de leurs bien-aimés colonels.
Les travailleurs grecs n'avaient tenu en mains que de rares fois, leur syndicat principal, comme moyen capable de promouvoir leurs droits. Il y eut la brève parenthèse entre la fin de l'occupation et le début de la guerre civile, lorsqu'en fut secrétaire général le communiste Dimitrios (Mitsos) Paparrigas, qui fut rapidement emprisonné et quelques années plus tard, en 1949, on le retrouva « pendu » dans sa cellule. De ce fait, le travail syndical a en Grèce une longue tradition de multiples organisations séparées, de tendances diverses et souvent semiclandestines, qui n'abandonnent pas l'objectif d'unité, mais doivent toujours attendre les conditions pour le réaliser sans les lourds conditionnements politiques et institutionnels.
Dès lors, les droits des travailleurs en Grèce connaissent des accélérations et ralentissements ou même de véritables effacements, en fonction des événements politiques souvent tumultueux. On pense souvent que la Grèce n'a pas de classe ouvrière. Cependant, le travail dans les ports, sur les bateaux, dans les arsenaux, dans les tissages, dans les cimenteries, dans les constructions, dans les mines, dans les transports, dans la transformation des produits agricoles, dans la paysannerie des plaines continentales réussit à former une couche prolétarienne pas si insignifiante qu'on le croit souvent. Une couche combative mais trop souvent malmenée par l'aveugle arrogance du pouvoir politique et du patronat, sans compter les pressions de l'étranger.
Quand en 1974 se leva le couvercle posé par les dictateurs sur la société grecque, tous les problèmes resurgirent : les salaires misérables, les accidents du travail, les maladies
professionnelles, les droits syndicaux insuffisants, l'arriération des contrats industriels et agricoles, les problèmes de la vieillesse, de l'habitation, des transports, de la santé et de
l'école : le tout sur le fond d'un dépeuplement de la campagne et d'une urbanisation tumultueuse (la moitié des Grecs est concentrée dans quelques villes), la principale soupape était
l'émigration. Tel était, sommairement, le cadre social dans lequel circula, en 1976, le disque de Manos Loizos et de Fondas Ladis, dans l'interprétation du déjà confirmé à cette époque et encore
très aimé à présent Yorgos Dalaras. Fondas Ladis avait déjà écrit les textes pour les Lettres de l'Allemagne [30683] de Theodorakis, et a poursuivi dans son explicite engagement politique et
civil en collaborant aux chansons de la Liberté [40091] de Thanos Mikroutsikos.
Dans les CCG, on retrouve aussi, de sa main, la chanson enfantine «I soldatini »[[39572]] écrite par Marios Tokas. (gpt)
« REGARDEZ CE QU'ILS FONT AUX GRECS... »
Ah, dit Lucien l'âne en fronçant ses naseaux légèrement rosés, te voilà encore à traduire une chanson grecque...
Bien sûr, Lucien l'âne mon ami. Et ça te chiffonne à ce point les naseaux que je fasse connaître une nouvelle chanson grecque...
Mais bien au contraire, Marco Valdo M.I. mon ami, j'en suis tout à fait ravi. Je suis très curieux, comme bien tu le penses, de tout ce qui me rappelle la Grèce et le temps où je n'étais pas encore devenu un âne. Dès lors, ma question n'est pas celle-là. Ce que j'aimerais savoir, c'est pourquoi tu en traduis tant ces derniers temps.
Oh, Lucien l'âne mon ami, la chose est simple et en quelque sorte, à multiple détente. Considère que Riccardo Venturi et Gian Piero Testa font depuis un certain temps un grand effort pour faire connaître les chansons grecques et ils ne le font pas par hasard... D'abord, évidemment, car ce sont des chansons de haute tenue poétique, culturelle et j'oserais le mot : morale. Ensuite, ces chansons font terriblement penser à ce qui se passe aujourd'hui en Grèce et au sort terrible qu'on impose au peuple grec. Comme tu le sais, on oblige actuellement le peuple grec à payer les dettes des riches Grecs. Du coup, on accuse la Grèce – en général, d'avoir créer ces dettes, on laisse sous-entendre que les Grecs (ces « Méditerranéens ») sont des gens qui ne font rien, qui ne produisent rien, qui n'ont pas d'industrie, qu'il n'y a donc pas d'industrieuse population et que dès lors, ils vivent sur le dos de l'Europe... Il faut comprendre très exactement sur le dos de la belle d'Otto, sur le dos de la plantureuse et si industrieuse Germanie, laquelle a sans doute oublié que sa richesse s'est précisément fondée sur l'écrasement des autres. Bref, que si elle a de si généreuses formes, c'est parce qu'elle a brouté l'herbe des plaines et des montagnes de Thessalie et d'ailleurs. De toute façon, la richesse des uns ne peut se bâtir que sur la pauvreté des autres. Rappelle-toi la question : combien faut-il de pauvres pour faire un riche. Aux dernières nouvelles, il en faut de plus en plus...
J'ai, en effet, entendu les discours accusateurs qui s'abattent sur le peuple grec depuis quelques années. J'ai vu aussi qu'on fait payer chèrement aux Grecs les dettes de leur État, lequel est depuis toujours aux mains d'une minorité très liée à certains intérêts et bien évidemment, ces gens-là ne sont nullement concernés par les « mesures de rigueur »... Pour la plupart, ils vivent ailleurs – eux et leurs richesses. Il suffit de voir les dépenses militaires de la Grèce pour comprendre certaines choses... Il suffit aussi de lire le commentaire introductif de Gian Piero Testa pour comprendre à qui on a toujours fait payer les additions...
Mais regarde bien, mon ami Lucien l'âne, ce qui se passe depuis des années en Europe... Il y a là un double mouvement : d'un côté, il s'agit de concentrer le pouvoir dans les mains les plus fortes (c'est la réalisation du rêve d'Otto – la grande Allemagne) et d'autre part, d'écraser les pauvres de tous les pays (à commencer par les pauvres d'Allemagne, d'ailleurs... Si, si, la grande Allemagne se fait au détriment des Allemands eux-mêmes, comme d'ailleurs on avait déjà pu le voir dans le passé) et de renforcer les riches et bien évidemment, de les enrichir encore et toujours.
Bref, dit Lucien l'âne en redressant ses oreilles basaltiques, un beau scénario de la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre que les riches font depuis si longtemps aux pauvres partout sur la planète afin d'accroître leur domination, de développer leur emprise, d'étendre leurs privilèges, d'écraser toute velléité de résistance, de multiplier leurs profits, d'assurer une plus grande exploitation encore...
C'est bien cela, dit Marco Valdo M.I.. Maintenant, concernant la Grèce... Elle est le nouveau laboratoire, le lieu expérimentation d'une nouvelle phase de cette guerre... Il s'agit de mettre au pas des pays entiers, de domestiquer les peuples, d'écraser les États, de les contraindre à appliquer les ordres venus d'en haut ou du centre... On instaure, on exige la « discipline »... Discipline... Fût-elle budgétaire... Voilà bien un mot qui sonne le tocsin... On est en train de remettre au goût du jour certaine forme de main de fer dans une union de velours... Bref, on est en train d'assister au viol d'Europe. Et ceux-là même qui sont les exécuteurs de ce forfait prétendent qu'elle est consentante... Et les maquereaux obséquieux aux allures onctueuses prétendent tel Pangloss, zélé serviteur de la Baronne Thunder-ten-tronckh, très considérée pour ses « trois cent cinquante livres » que Mademoiselle Cunégonde non seulement est consentante, mais qu'en outre, elle est très contente du sort effroyable qu'on lui fait subir. Et qu'ainsi, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cependant, à tous les habitants de l'Europe, il convient de répéter encore une fois – autre motif de ces traductions du grec : REGARDEZ CE QU'ILS FONT AUX GRECS, ILS VOUS LE FERONT BIENTÔT.
Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, si on n'entend pas encore trop fort les bruits de bottes, on voit déjà passer les Mercedes noires. Et quand passent les Mercedes noires (et autres engins du genre), il faut s'attendre au pire. Du coup, je suis encore plus persuadé qu'il nous faut sans relâche tisser, tels les canuts [7841], le linceul de ce vieux monde libidineux, dominateur, compassé, triste et cacochyme.
Heureusement !
Tout le jour dans les ports et dans les arsenaux
Dans les chaudières de la mort, dans les ateliers de mécanique
Notre
jeunesse se consume dans la lutte pour la vie
Avec les pièces de nos corps, on soude l'acier
Sur notre peau les taches ne disparaissent pas
La souffrance est nôtre et notre joie est rare
Notre jeunesse se consume dans la lutte pour la vie
Avec les pièces de nos corps, on soude l'acier
À un prix écrasé, ils achètent notre corps
Ils tirent des profits exagérés de notre force
Notre jeunesse se consume dans la lutte pour la vie
Avec les pièces de nos corps, on soude l'acier
À CETTE HEURE, LA CHEMINÉE EST FROIDE
À cette heure, la cheminée est froide
Et hors des grilles
Rassemblés, les ouvriers discutent .
La journée est passée
Avec les lèvres serrées
Ils lèvent les banderoles et ils se mettent en marche.
Ils ont expédié cinq camions
Dans la nuit sans lune
Et ils sont revenus chargés de jaunes.
Et chargés, ils sont repartis
Personne ne passera
Plutôt émigrer.
Un mois est passé
les machines se rouillent
et les enfants ont froid et faim
dans les rues d'Athènes.
Les ouvriers distribuent des tracts
et demandent du soutien.
AU TRAVAIL ET À LA LUTTE
L'heure est arrivée de te lever
Classe ouvrière en avant, et nous sommes à tes côtés
Au travail et à la lutte
Affrontons l'hiver
Car la roue tourne
Et notre vie passe
Pour notre salaire pour notre famille
Dans le vent glacé et dans la fournaise
Au travail et à la lutte
Affrontons l'hiver
Car la roue tourne
Et notre vie passe
Celui-ci au port, celui-là sur le chantier
Que la journée rapporte et qu'elle donne le pain.
Au travail et à la lutte
Affrontons l'hiver
Car la roue tourne
Et notre vie passe
STRATOS
Un soir Stratos
Est abordé par deux amis
Ils lui disent d'aller
S'inscrire au syndicat
Décide-toi Stratos une bonne fois
De t'inscrire au syndicat
Mais il répond non
Je ne veux pas de pognon
Ce que j'ai me suffit
Chacun à sa place
Stratos, on ne peut jamais savoir
Du syndicat on a besoin.
Un matin Stratos
La machine le saisit
Le tire en dedans
Et on ne l'a plus vu .
Viens vite Stratos
T'inscrire au syndicat
NOS VILLAGES SONT DÉSERTS
Des herbes folles dans les cours, des pierres dans les champs
Où sont donc les gars et les filles à présent
Nos villages sont déserts, ô ma mère
Nos enfants sont dispersés sur toute la Terre
Cache ces photographies, elles te font mal seulement
Tu peux les regarder, elles ne répondent aucunement
Nos villages sont déserts, ô ma mère
Nos enfants sont dispersés sur toute la Terre
L'ARBRE
Dans le centre
d'Athènes
A poussé un arbre nouveau
Il a les feuilles rouges
Et des fruits très doux
Il ne plaît pas à cinq ou six
Ils le frappent pour l'abattre
Mais il ne plie pas
Et il y a comme un vol de feuilles mortes
Tout autour le peuple et les travailleurs
Le protègent et se relaient
Sous un an sous un mois
Il aura recouvert Athènes.
AIE, MA PAUVRE PATRIE
Les oranges invendues
Les fruits jetés
Les vieux sur leurs balcons
Comme des feuilles fanées
Aie, ma pauvre patrie
Quelle malédiction t'a frappée
Et nous quelle vie en
ville
Employés et ouvriers
À porter tout le jour
Les patrons sur les épaules
Aie, ma pauvre patrie
Quelle malédiction t'a frappée
Et devant notre porte
Un va et vient d'étrangers
Qui à la face du monde sucent
Notre sang et notre sueur.
Aie, ma pauvre patrie
Quelle malédiction t'a frappée
Si tu pars pour Arta ou Gianena
Demande à mon frère comment il vit et si ça va
Dis-lui que nous nous
unirons aux autres villages
Pour qu'eux aussi s'en tirent avec la récolte
Il ne reste plus que des villes et villages
Liés dans la lutte pour le pain et la liberté
Quand ensuite tu iras à
Athènes va jusqu'au quartier
Voir comment va maman cette année
Et si elle n'a pas assez et ne s'en sort pas, dis-lui
Que ce n'est pas la faute de ses fils, mais du noir médiateur
Il ne reste plus que des villes et villages
Liés dans la lutte pour le pain et la liberté
MEGARA
Un bateau va en secret à Megara
Porter des bulldozers, des soldats et des chiens
Il transporte des milliers d'armes pour faire des arsenaux
À Athènes les hommes passent devant les juges
Et les étrangers ramassent les olives comme des voleurs
Des parents et des filles tristes ont levé les drapeaux
Un bateau rentre au
Pirée
Pour faire rapport aux patrons noirs
Megara et Elefsina marchent sur Athènes
MIGRANTS
Des migrants et des valises
Et des mégots jetés
Près des rails
Au-dessus, les haut-parleurs
Croassent comme des corbeaux
Les médecins avec les
surveillants
Nous trient en toute hâte
Séparent les bons des incapables
Maintenant on te met en file
Et on te donne un papier
Comme on agite les gens
Et des villages de Drama
Tu t'es retrouvé dans un endroit
Où on regarde les hommes
Comme des feuilles de tabac
Les autobus qui arrivent du quartier
Sont pleins de tricots et de yeux ardents
Des essaims de maçons devant la mairie
Morceaux de nuit dans les coins sombres
La ville se fait rouge dans le gel de l'aube
Mets-tes vêtements vieux
Il a commencé à se faire jour
Sur les chantiers boueux
Du quartier jusqu'au port
Sur les épaules courbes du travailleur
Sang et ciment font un mélange
Se construit notre vie, emplie de mort
La ville se fait rouge dans le gel de l'aube
Mets-tes vêtements vieux
Il a commencé à se faire jour
Sur les chantiers boueux.