RITA EST REVENUE
Version française – RITA EST REVENUE – Marco Valdo M.I. – 2010
Chanson italienne – La Rita è tornata – Ivan Della Mea – 1979
Sur ce site, sont déjà présentes deux chansons provenant de Sudadio Giudabestia, l'œuvre collective qu'Ivan Della Mea et sa bande de « pirates » (que j'ai eu la chance de connaître) écrivirent et mirent en scène en 1979 : il s'agissait de
Storia di un cane e Sebastiano. Obligatoirement, tout le Sudadio devrait être inséré. Peu importe comment, et sous n'importe quel prétexte; petit à petit, il en sera ainsi. Entretemps, en insérant cette chanson magistrale que Ivan martelait presque en un crescendo rossinien, avec sa voix inépuisable nonobstant les neuf mille cigarettes par jour qu'il fumait ou d'autres choses du genre, je prends l'occasion de parler un peu mieux du Sudadio et de Rita qui en est la figure centrale.
Le Sudadio est l'épopée de la rue milanaise où habitait Ivan Della Mea, et où il est mort à cette aube maudite du 14 juin 2009. Rue Montemartini, ses jardins, ses maisons quelconques, ses chiens, ses gamins, ses seringues d'héroïne, ses révolutions et, précisément, sa Rita. Rita est la folle de la rue. Dans chaque rue, il y a une folle; même moi, ici, dans la rue de l'Argingrosso à Florence, j'ai ma folle de référence sur laquelle j'écrirais des dizaines de chansons si je savais les écrire comme Ivan.
Le Sudadio, qui ne découle pas par hasard d'une autre et ancienne chanson d'Ivan, Io so che un giorno... est la description totale de l'univers Montemartini; un univers de dureté et de douceur, de lutte et de résignation, d'ouvertures et de
fermetures, de la mort gratuite donnée à un chien et de la vie qui naît désespérément; et pour naître désespérée, ne peut faire autrement que le faire par le truchement d'une soi-disant
« folle ». Rita. Celle qui est toujours dans les jardins. Ce devait être une femme mûre mais pas encore vieille, encore belle, encore avec sa poitrine dressée et ses gestes d'amour
vécu; il vient à l'esprit, qui sait, une Alda Merini dans la quarantaine.
Rita est une folle avérée. Elle a sa chambre à la « Villa Fiorita » ( Villa Fleurie – nom typique des pavillons d'asiles d'aliénés : à Florence également, au milieu de la zone de San
Salvi ancien asile, on trouve actuellement une Villa Fiorita qui sert pour aux « visites fiscales » pour la concession des pensions d'invalidité), et elle sait déjà qu'un jour... Là
tout de suite, elle est dehors, dans un automnal après-midi enchanteur dans la rue Montemartini, avec en main une tige de rose à laquelle elle veut redonner vie et elle le plante en terre. Puis,
elle accomplit un autre et décisif acte de vie, un geste primaire. Elle se déshabille, nue. Elle veut elle aussi devenir une rose en se débarrassant de tout vêtement humain. On songe, avec ce
geste, à une de ses sœurs folles : la Teresa Torga de José Afonso.
Comme pour Terresa Torga, arriva la police; pour Rita, arriva l'ambulance. Je suis conducteur d'ambulances et je ne sais combien de fois il m'est arrivé , en trente-deux ans de service volontaire, d'être appelé à « emmener des fous ». Je me souviens d'une femme sarde, à l'incroyable nom d'Elmas Piras, qui dans la Florence des années 1980 aimait s'étendre au milieu des carrefours les plus fréquentés de la ville, bloquant complètement le trafic et créant autour elle un vide qui ramenait la rue à un calme absolu, presque irréel. Elle créait une île comme sa Sardaigne lointaine.
Nous arrivions et nous devions l'« emmener » pour recréer les conditions normales de confusion : ainsi va la vie. Arrive l'ambulance et Rita se rhabille « doucement doucement » et se laisse emmener. Dans son habituelle Villa Fiorita. Encore comme Teresa Torga, Rita s'était mise à danser nue; c'est sa fête. Folle, sainte, anarchique, ce qu'on veut : surtout belle.
Car de cette chanson émane un sens de la beauté, que même l'intervention de l'autorité et le « rétablissement de la normale » n'arrivent pas à éliminer. Le temps s'arrête presque, comme le souligne la façon dont Ivan exprime l'heure : quinze heures soixante. Pas quatre heures. Quatre heures n'arrive pas et n'arrivera jamais; il faudrait garder ces minutes de poésie et liberté. Des minutes qui sont en arrêt par la présence de Rita, en forme de « rose étrange » qui reste plantée là où elle était.[RV]
C'est très émouvant cette chanson et cette histoire de la Rita, dit Lucien l'âne. Et tu connais ma passion absolue et nécessaire pour les roses... Et puis aussi, Ivan Della Mea, tu as déjà traduit de ses chansons. La chanson de la Teresa Torga aussi tu l'avais traduite... Mais il me souvient d'une des chansons que tu avais écrite aussi à propos d'une folle...
Ah !, tu t'en souviens de Clara... Mais la mienne, c'est une folle de village, une folle dans un pays bien différent de ces grandes villes que sont Milan ou Lisbonne... C'est l'histoire de Clara la pazza qui finit dans le feu... et j'entends encore sa lamentation, son long hululement avant de quitter volontairement cette vie où on la laissait périr. Je l'avais rencontrée dans ce village de Sardaigne décrit par ce merveilleux conteur qu'est Ugo Dessy. J'en tremble encore du cri de Clara … C'est d'ailleurs le titre de la canzone : HOU HOU ! (http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=8853&lang=it)...
Cela dit, ce monde des humains est quand même assez barbare, dit Lucien l'âne...
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Quinze heures quarante
Rue Montemartini
L'automne s'enchante déjà
Dans le vide des jardins
Quinze heures quarante
Rita est sur le banc
Sculptée comme une sainte
Ou comme une Madone
La poitrine bien dressée
Semble aussi poser
Sa main tient droit serrée
Une tige de rosier
Comme si elle priait
La tête penchée à droite
On dirait qu'elle regardait
Par la fenêtre, droite
Au moment où l'amour
Doucement se renferme
Rita a pris la fleur
Et l'a plantée dans la terre
Ô rose bénie
à l'eau de la fontaine
Plus personne ne t'attend
Ni sainte ni putain
Toi l'ultime illusion
que le délirant accroche,
Ta passion si rouge
Déteint là dans la guerre.
« J'ôte ma robe
Je me défais de tout,
De toute vêture humaine,
Pour devenir rose »
L'ambulance arrive,
Avec sa sirène hurlante,
Rita danse nue
Et crie : « C'est ma fête ! »
La fête de la douleur
Une tige de rose
Qui découvre l'amour
Dans le néant de chaque chose
« Emmenez-moi donc,
Je suis folle et sainte
L'anarchie est douce
À quinze heures soixante.
Rendez-moi ma
chambre
Là-bas à la Villa Fiorata,
Ayez un peu de clémence
Pour Rita qui est affolée. »
Elle se vêt doucement doucement
Avec des gestes de poésie,
Puis chante à mi-voix :
« Courage, allons-y. »
Quinze heures soixante
Rue Montemartini
L'automne encor enchante
Le vide des jardins
Et de ma fenêtre,
Ni sainte, ni putain
Regardant sur la droite
Il y a cette rose étrange.