LA GRANDE ET LA PETITE VIOLENCE
Version française – LA GRANDE ET LA PETITE VIOLENCE – Marco Valdo M.I.– 2010
Chanson italienne – La grande e la piccola violenza – Ivan Della Mea – 1962
« […] Entre 1957 et 1960, viennent au jour les ballades de LA GRANDE ET LA PETITE VIOLENCE. C'est ce moment où Ivan Della Mea …, puise impétueusement dans les souvenirs et les images taillées dans l'irruption féroce de l'enfance et de l'adolescence, fouettées par la furie guerrière et par les blessures post-bellum, donne une marque précise à son engagement politique et artistique.
Au travers des aventures familiales (« la petite violence ») – où le père, brigadier fasciste, revit ses moments d'exaltation et ceux de déconfiture... jusqu'à sa mort – il réussit à construire une fresque magistrale qui recueille globalement le climat, à la fois tragique et effervescent, de la période dictatoriale et de celle post-résitancielle de la restauration. Dans la figure du père, revisitée pour la cause, en même temps qu'un morceau d'histoire nationale, le jour après-sa mort, on retrouve clairement de nombreuses autres figures de pères : hiérarques ou simples passionnés de la dictature, frustrés et impuissants dans leur fanatisme, n'hésitent par à décharger leur haine et leur violence sur les désarmés et les plus faibles, incarnant ce credo que fut l'exaltation et la barbarie du « Grand Fascisme ».
Tout en entrant presque toujours dans les thèmes de l'autobiographie – ou plus exactement, en faisant coïncider les aspects avec la phénoménologie de la haine collective de classe – Della Mea
transforme ses personnages en emblèmes ou, plutôt, en prototypes d'une ou plusieurs générations et, en tous cas, caractéristiques d'un moment historico-politique précis.... » (Teresio
Zaninetti, Rabbia e poesia in Ivan Della Mea)
MON PÈRE EST MORT HIER
Mon père est mort hier,
Seul et sans rien.
Je l'ai revu
Dans la chapelle ardente.
Ses moustaches faisaient taches
Elles semblaient des injures
Contre ce relent fort
De la mort.
« Une carcasse vide »
Mais aussi à son apparence
On pouvait comprendre
Ce qu'il avait été.
De grosses larmes, dures
Frappèrent le sol
Mon frère pleurait
Ma sœur aussi.
Et là, au cimetière
descendu sous terre, je pensai:
« Pauvre papa
Tu l'as perdue ta guerre ».
LA PREMIÈRE GRANDE GUERRE EST FINIE DEPUIS LONGTEMPS
La première grande guerre est finie depuis longtemps
La Sainte... Les morts sont déjà oubliés sous terre
Avec ses ailes peintes aux couleurs de Victoire
L'Italie vétuste sourit à sa Gloire.
Les enseignes de l'Empire Romain reparaissent
Le fascio s'avance avec son Duce fier
Et derrière les manipules, les cohortes, les condottières
Dans l'air un hymne de guerriers bravaches
« Qu'est-ce qu'on en a à foutre
de la prison
Chemise noire
Triomphera... »
Italie du Génie, Italie si grande
Ils t'ont enlevé la robe, la jupon et la culotte
De ton sein flasque envahi de sangsues
Le fascisme naissant veut tirer du lait...
Et après avoir bu jusqu'à l'ultime goutte
Il te laisse la marque d'un gros suçon.
DU GRAND FASCISME
Du grand Fascisme
Mon père fut un vrai croyant
Qui sous ses ailes noires
Se sentait puissant !
Les gens s'écrasent, se pressent contre les murs
Sur son cheval bai, altier, impuissant
Mon père sourit, sourit avec un certain mépris
Au peuple qui esquive les sabots durs
Après voir fait
le tour de tout le pays,
Pour se faire admirer par les femmes,
Il cavale à présent vers les champs.
La moisson est finie depuis longtemps
Dans la ferme, il y a une grande fête
Le grain est à terre, l'épi est blond et dur...
Mais voilà qu'avec son bai, mon père le piétine.
Les paysans
Sont là comme pantois
Sans réagir
à cet acte d'héroïque violence.
Excusez-moi, Mesdames, Messieurs, Je ne vous ai aps encore dit
Qu'avant le Fascio Papa était carabinier
Mais avec sa chemise noire, papa devint brigadier
Et donc une personne très respectable.
Il est minuit
Un chant s'élève dans la rue
La ritournelle de « Faccetta Nera »
C'est mon père bourré à mort.
Maintenant vous direz : « Quel mauvais père
Mais je l'aimais tant, j'en étais fier...
Qu'importe s'il était soûl, s'il avait vomi;
Pour moi, c'était toujours mon papa sur son destrier bai.
ADUA EST LIBÉRÉE
« Adua est libérée
Elle nous est revenue.
Adua est reconquise;
Les Héros ressurgissent
...va, Victoire, va,
Tout le monde sait :
Rouges dans leur visage mâle
avec un sourire, ils veulent chanter ! »
Mon père et l'Italie, dans un monde, qui change
Sont de grands piliers de la loi de Savoie
À qui le Père éternel, avec le Concordat
A donné son divin, son suprême consentement.
Italie du Génie, Italie de l'Art,
Au mâle conflit, le Fascio ouvre la porte;
Cela ne sert à rien par la suite,
Nous deviendrons des Héros dans une Patrie de Héros.
Italie du Génie, Italie si grande
Tu as une nouvelle robe, avec jupon et culotte,
Et maintenant tu semble vraiment une grande reine;
Ils t'ont gonflé les seins à la paraffine
Et sur ta couronne, il y a une étoile dorée
Oh ! Italie, mon Italie, comme tu es belle !
VINGT-CINQ AVRIL
Vingt-cinq avril
La guerre est finie
Vingt ans et plus de noire gloire
Un repas pour les vers, là, sous terre.
La vie retrouve une lumière nouvelle,
Se perd peu à peu le souvenir du Duce,
Mais pour mon père, rien n'a changé,
De Fascio et de vin, il est à jamais intoxiqué...
MESDAMES, MESSIEURS, JE VOUS PRIE D'ÉCOUTER
Mesdames, Messieurs, je vous prie d'écouter
Cette histoire que je vais chanter.
Je vais vous parler des coups
Que ma mère a toujours reçus.
Dans une pièce sans âge,
Où régnait la misère,
La vie était chose assez grave
Avec un père, roi des buveurs.
Lequel saoul, presque chaque soir,
Divaguait nu dans cette pièce,
Chantonnait « Faccetta Nera »
Et n'arrêtait que quand maman
« Mon bel ami, mon bel ami !
Regarde dans quel état tu es;
Tu as bu même ton manteau,
Et pour tes enfants, il ne reste rien à manger ».
« Ma belle amie, ma belle amie !,
Combien de fois devrai-je te le redire
Que cette rengaine doit cesser
Car sinon ça va aller mal ! »
« Écoutez-moi çà, Monsieur se fâche
Pour qui me prends-tu , pour ton esclave:
Celle qui coud, qui repasse et qui lave,
Qui obéit sans piper mot ? »
Mon père alors, en vrai homme,
Ne voulut plus continuer à écouter
D'un coup, il se met à jurer
De tout le souffle qu'il a dans la gorge.
Puis, pas content, toujours plus vexé,
Avec une gifle à pleine main
Soulève maman à bout de bras
Et d'un coup de pied l'étale.
Dans cette pièce sans âge,
Voilà la scène de trop de soirs :
Papa et Fascio, vin et verres
Maman fatiguée et les claques.
UN JOUR DANS LA RUE
Un jour dans la rue, je reconnus un clochard
L'ombre de mon père à jamais alcoolisé
Un pauvre homme, un pauvre malheureux
Avec soixante années noires pesant sur son dos
Avec soixante années noires pesant sur son dos
Je me mis à son côté, il ne me reconnaissait pas
Je lui dis qui j'étais, il m'éructa en face
Il puait la grappa, le ranci de vinasse;
Il avait un visage jaune pire qu'un citron
Il avait un visage jaune pire qu'un citron
Avec son visage vide, son visage exalté,
Il parla longuement, mais en substance il dit
Que toute sa vie, ma foi, il vécut
Pour un idéal qui était destiné
À devenir le credo de toute la création.
« Si j'avais cent hommes, chacun hardi comme moi,
En moins de deux, nous serions au pouvoir.
Je retournerais au pays, faire le brigadier,
J'irais à cheval admiré et révéré,
J'irais à cheval admiré et révéré ».
Désormais sa mémoire s'égarait dans le vent
À la recherche vaine d'une gloire passée
Sur sa lèvre revînt le souffle de suffisance
Je revis mon père quand il était craint
Je revis mon père quand il était craint
Mais ensuite d'un coup la réalité le reprit,
Il me dit : « Gamin, tu n'as pas cent lires
À présent, il ne me reste plus qu'à boire,
Je noie mon passé et je peux rêver.
Je vois mes cent braves et je continue à espérer ».
Il s'éloigne en titubant et semble un clochard;
Son regard fixé à terre, il ne voit rien.
Avec mes cent lires, il se perd parmi les gens;
Avec cent lires, un litre d'illusion.
Avec cent lires, un litre d'illusion.
MON PÈRE EST MORT HIER
Mon père est mort hier,
Seul et sans rien.
Je l'ai revu
Dans la chapelle ardente.
Ses moustaches faisaient taches
Elles semblaient des injures
Contre ce relent fort
De la mort.
« Une carcasse vide »
Mais aussi à son apparence
On pouvait comprendre
Ce qu'il avait été.
De grosses larmes, dures
Frappèrent le sol
Mon frère pleurait
Ma sœur aussi.
Et là, au cimetière
descendu sous terre, je pensai:
« Pauvre papa
Tu l'as perdue ta guerre ».
ÉPILOGUE
Italie des héros, Italie de Gloire,
Pour toi a commencé l' histoire nouvelle
Tu n'as plus cet air de grande putain
Car tu es la Dame Italie républicaine...
Cependant, tu as un chapeau de feutre un peu étrange
Noir comme est noire la longue soutane.
Amen.