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17 février 2010 3 17 /02 /février /2010 16:53

LA GRANDE ET LA PETITE VIOLENCE

Version française – LA GRANDE ET LA PETITE VIOLENCE – Marco Valdo M.I.– 2010

Chanson italienne – La grande e la piccola violenza – Ivan Della Mea – 1962

 

« […] Entre 1957 et 1960, viennent au jour les ballades de LA GRANDE ET LA PETITE VIOLENCE. C'est ce moment où Ivan Della Mea …, puise impétueusement dans les souvenirs et les images taillées dans l'irruption féroce de l'enfance et de l'adolescence, fouettées par la furie guerrière et par les blessures post-bellum, donne une marque précise à son engagement politique et artistique.

Au travers des aventures familiales (« la petite violence ») – où le père, brigadier fasciste, revit ses moments d'exaltation et ceux de déconfiture... jusqu'à sa mort – il réussit à construire une fresque magistrale qui recueille globalement le climat, à la fois tragique et effervescent, de la période dictatoriale et de celle post-résitancielle de la restauration. Dans la figure du père, revisitée pour la cause, en même temps qu'un morceau d'histoire nationale, le jour après-sa mort, on retrouve clairement de nombreuses autres figures de pères : hiérarques ou simples passionnés de la dictature, frustrés et impuissants dans leur fanatisme, n'hésitent par à décharger leur haine et leur violence sur les désarmés et les plus faibles, incarnant ce credo que fut l'exaltation et la barbarie du « Grand Fascisme ».


Tout en entrant presque toujours dans les thèmes de l'autobiographie – ou plus exactement, en faisant coïncider les aspects avec la phénoménologie de la haine collective de classe – Della Mea transforme ses personnages en emblèmes ou, plutôt, en prototypes d'une ou plusieurs générations et, en tous cas, caractéristiques d'un moment historico-politique précis.... » (Teresio Zaninetti,
Rabbia e poesia in Ivan Della Mea)

 

MON PÈRE EST MORT HIER

 

Mon père est mort hier,

Seul et sans rien.

Je l'ai revu

Dans la chapelle ardente.

Ses moustaches faisaient taches

Elles semblaient des injures

Contre ce relent fort

De la mort.

« Une carcasse vide »

Mais aussi à son apparence

On pouvait comprendre

Ce qu'il avait été.

De grosses larmes, dures

Frappèrent le sol

Mon frère pleurait

Ma sœur aussi.


Et là, au cimetière

descendu sous terre, je pensai:

« Pauvre papa

Tu l'as perdue ta guerre ».

LA PREMIÈRE GRANDE GUERRE EST FINIE DEPUIS LONGTEMPS

 

La première grande guerre est finie depuis longtemps
La Sainte... Les morts sont déjà oubliés sous terre

Avec ses ailes peintes aux couleurs de Victoire

L'Italie vétuste sourit à sa Gloire.

 

Les enseignes de l'Empire Romain reparaissent

Le fascio s'avance avec son Duce fier

Et derrière les manipules, les cohortes, les condottières

Dans l'air un hymne de guerriers bravaches

 

« Qu'est-ce qu'on en a à foutre

de la prison

Chemise noire

Triomphera... »

 

Italie du Génie, Italie si grande

Ils t'ont enlevé la robe, la jupon et la culotte

De ton sein flasque envahi de sangsues

Le fascisme naissant veut tirer du lait...

Et après avoir bu jusqu'à l'ultime goutte

Il te laisse la marque d'un gros suçon.

DU GRAND FASCISME

 

Du grand Fascisme

Mon père fut un vrai croyant

Qui sous ses ailes noires

Se sentait puissant !

 

Les gens s'écrasent, se pressent contre les murs

Sur son cheval bai, altier, impuissant

Mon père sourit, sourit avec un certain mépris

Au peuple qui esquive les sabots durs

 

Après voir fait

le tour de tout le pays,

Pour se faire admirer par les femmes,

Il cavale à présent vers les champs.


La moisson est finie depuis longtemps

Dans la ferme, il y a une grande fête

Le grain est à terre, l'épi est blond et dur...

Mais voilà qu'avec son bai, mon père le piétine.

Les paysans

Sont là comme pantois
Sans réagir

à cet acte d'héroïque violence.

 

Excusez-moi, Mesdames, Messieurs, Je ne vous ai aps encore dit

Qu'avant le Fascio Papa était carabinier

Mais avec sa chemise noire, papa devint brigadier

Et donc une personne très respectable.

 

Il est minuit

Un chant s'élève dans la rue

La ritournelle de « Faccetta Nera »

C'est mon père bourré à mort.

 

Maintenant vous direz : «  Quel mauvais père
Mais je l'aimais tant, j'en étais fier...

Qu'importe s'il était soûl, s'il avait vomi;

Pour moi, c'était toujours mon papa sur son destrier bai.


ADUA EST LIBÉRÉE

« Adua est libérée

Elle nous est revenue.

Adua est reconquise;

Les Héros ressurgissent

...va, Victoire, va,

Tout le monde sait :

Rouges dans leur visage mâle

avec un sourire, ils veulent chanter ! »


Mon père et l'Italie, dans un monde, qui change

Sont de grands piliers de la loi de Savoie

À qui le Père éternel, avec le Concordat

A donné son divin, son suprême consentement.

Italie du Génie, Italie de l'Art,

Au mâle conflit, le Fascio ouvre la porte;

Cela ne sert à rien par la suite,

Nous deviendrons des Héros dans une Patrie de Héros.


Italie du Génie, Italie si grande

Tu as une nouvelle robe, avec jupon et culotte,

Et maintenant tu semble vraiment une grande reine;

Ils t'ont gonflé les seins à la paraffine

Et sur ta couronne, il y a une étoile dorée

Oh ! Italie, mon Italie, comme tu es belle !

VINGT-CINQ AVRIL

 

Vingt-cinq avril

La guerre est finie

Vingt ans et plus de noire gloire

Un repas pour les vers, là, sous terre.

La vie retrouve une lumière nouvelle,

Se perd peu à peu le souvenir du Duce,

Mais pour mon père, rien n'a changé,

De Fascio et de vin, il est à jamais intoxiqué...


MESDAMES, MESSIEURS, JE VOUS PRIE D'ÉCOUTER

 

Mesdames, Messieurs, je vous prie d'écouter

Cette histoire que je vais chanter.

Je vais vous parler des coups

Que ma mère a toujours reçus.

 

Dans une pièce sans âge,

Où régnait la misère,

La vie était chose assez grave

Avec un père, roi des buveurs.


Lequel saoul, presque chaque soir,

Divaguait nu dans cette pièce,

Chantonnait « Faccetta Nera »

Et n'arrêtait que quand maman

« Mon bel ami, mon bel ami !

Regarde dans quel état tu es;

Tu as bu même ton manteau,

Et pour tes enfants, il ne reste rien à manger ».

 

« Ma belle amie, ma belle amie !,

Combien de fois devrai-je te le redire

Que cette rengaine doit cesser

Car sinon ça va aller mal ! »

« Écoutez-moi çà, Monsieur se fâche

Pour qui me prends-tu , pour ton esclave:

Celle qui coud, qui repasse et qui lave,

Qui obéit sans piper mot ? »

 

Mon père alors, en vrai homme,

Ne voulut plus continuer à écouter

D'un coup, il se met à jurer

De tout le souffle qu'il a dans la gorge.

 

Puis, pas content, toujours plus vexé,

Avec une gifle à pleine main

Soulève maman à bout de bras

Et d'un coup de pied l'étale.

Dans cette pièce sans âge,

Voilà la scène de trop de soirs :

Papa et Fascio, vin et verres

Maman fatiguée et les claques.

 

UN JOUR DANS LA RUE

 

Un jour dans la rue, je reconnus un clochard

L'ombre de mon père à jamais alcoolisé

Un pauvre homme, un pauvre malheureux

Avec soixante années noires pesant sur son dos

Avec soixante années noires pesant sur son dos

Je me mis à son côté, il ne me reconnaissait pas

Je lui dis qui j'étais, il m'éructa en face

Il puait la grappa, le ranci de vinasse;

Il avait un visage jaune pire qu'un citron

Il avait un visage jaune pire qu'un citron

Avec son visage vide, son visage exalté,

Il parla longuement, mais en substance il dit

Que toute sa vie, ma foi, il vécut

Pour un idéal qui était destiné

À devenir le credo de toute la création.

« Si j'avais cent hommes, chacun hardi comme moi,

En moins de deux, nous serions au pouvoir.

Je retournerais au pays, faire le brigadier,

J'irais à cheval admiré et révéré,

J'irais à cheval admiré et révéré ».


Désormais sa mémoire s'égarait dans le vent

À la recherche vaine d'une gloire passée

Sur sa lèvre revînt le souffle de suffisance

Je revis mon père quand il était craint

Je revis mon père quand il était craint

 

Mais ensuite d'un coup la réalité le reprit,

Il me dit : « Gamin, tu n'as pas cent lires

À présent, il ne me reste plus qu'à boire,

Je noie mon passé et je peux rêver.

Je vois mes cent braves et je continue à espérer ».

Il s'éloigne en titubant et semble un clochard;

Son regard fixé à terre, il ne voit rien.

Avec mes cent lires, il se perd parmi les gens;

Avec cent lires, un litre d'illusion.

Avec cent lires, un litre d'illusion.

MON PÈRE EST MORT HIER

 

Mon père est mort hier,

Seul et sans rien.

Je l'ai revu

Dans la chapelle ardente.

Ses moustaches faisaient taches

Elles semblaient des injures

Contre ce relent fort

De la mort.

« Une carcasse vide »

Mais aussi à son apparence

On pouvait comprendre

Ce qu'il avait été.

De grosses larmes, dures

Frappèrent le sol

Mon frère pleurait

Ma sœur aussi.


Et là, au cimetière

descendu sous terre, je pensai:

« Pauvre papa

Tu l'as perdue ta guerre ».

ÉPILOGUE

 

Italie des héros, Italie de Gloire,

Pour toi a commencé l' histoire nouvelle

Tu n'as plus cet air de grande putain

Car tu es la Dame Italie républicaine...

Cependant, tu as un chapeau de feutre un peu étrange

Noir comme est noire la longue soutane.

Amen.

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Published by Marco Valdo M.I. - dans Ivan Della Mea

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