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22 décembre 2010 3 22 /12 /décembre /2010 10:28

LA BALLADE DE PIPU MAJEN

 

Version française - LA BALLADE DE PIPU MAJEN – Marco Valdo M.I. – 2010

Chanson italienne (Piémontais Mandrognais – Alessandria) a - LA BALLATA DI GIUSEPPE MAYNO - Piero Milanese – 2000

 

 

 

 

Dans cette ballade, Piero Milanese, écrivain et poète dialectal mandrognien (ce n'est pas une insulte, c'est le nom traditionnel des Alessandriens) , nous raconte l'histoire de Pipu Majen, Giuseppe Mayno (en italien), mieux connu comme Majen de la Spinëta (son village natal, près de Marengo) ou « Majen della Fraschetta » (son terrain d'action, la zone boisée, aujourd'hui disparue, qui au début du 19 ième se trouvait comprise entre Orba et Scrivia, à l'est d'Alessandria... je crois qu'elle correspond à l'actuel Bois de Marengo), ses noms de brigand.

 

Giuseppe Mayno était né en 1780 dans une famille pauvre et nombreuse. Son père était charretier. Giuseppe était un rebelle, rétif aux dominations et aux impositions. Enrôlé à quatorze ans dans l'armée royale, il en en vînt aux mains rapidement avec un officier et il déserta, trouvant refuge dans une communauté valdese (entre persécutés, on se comprend toujours) de la région de Cuneo. En 1796, faisant semblant de rien et profitant du chaos dû à l'invasion napoléonienne, Mayno se réenrôla, cette fois dans l'armée naissante du Royaume d'Italie, mais quand les soldats piémontais, de par l'annexion à la France de 1802, furent incorporés directement dans l'armée française, Mayno pensa qu'il avait déjà assez donné aux puissants et qu'il voulait attacher son fusil à un clou, épouser sa Cristina bien-aimée et fonder une famille. Le Pouvoir ne te laisse jamais en paix, même quand tu as des projets légitimes, modestes, en rien révolutionnaires. Pour remplir les rangs de son armée délabrée, constamment en action et sur de multiples fronts, ce « gran condottiere », fils de pute de Napoléeon avait étendu la circonscription obligatoire à tous les pays occupés. Mais le projet de l'Empereur des Français et Roi d'Italie entra en collision avec celui du bon Mayno qui – raconte-t-on – prit le maquis le jour-même de son mariage célébré à Spinëta. Autoproclamé à son tour « Empereur des Alpes et Roi de Marengo », pour se moquer de Napoléon, Majen de la Spinëta devînt chef des bandits de la Fraschetta, une paire de centaines d'hommes, qui durant deux ans donnèrent du fil à retordre aux Français et à leurs larbins, attaquant même plusieurs fois la garnison de Marengo et en vinrent à attaquer le commissaire napoléonien Antonio Saliceti, le général français Milhaud et jusqu'à – l'effronté – attaquer le convoi du Pape Pie VII, en route vers Paris pour couronner Bonaparte.

 

Malheureusement, le brigand était amoureux et l'amour fut fatal à la « Terreur des départements au-delà des Alpes ». Le 12 avril 1806, alors qu'il allait retrouver sa femme, il tomba dans une embuscade tendue par les Français, grâce à une dénonciation. Le corps de Majen, criblé de balles et tailladé de coups de sabre, fut exposé à Alessandria avec le classique carton au cou « Ainsi finit Giuseppe Mayno della Spinetta Brigand ». Il fut enterré secrètement dans une fosse anonyme, pour que le peuple qui avait perdu son « Robin des Bois » mandrognien, n'eut aucun endroit pour le pleurer et le célébrer. Sa bande fut éliminée en un rien de temps, quelques-uns furent tués, d'autres pendus après un procès, d'autres encore finiront leurs jours dans les prisons royales. Cristina elle aussi, dont le seul tort fut d'être l'épouse du chef des brigands, se prit quelques années de prison...

 

(Source: Mayno della Spinetta, scheda a cura di Franco Castelli su ISRAL, Istituto per la storia della Resistenza e della società Contemporanea in provincia di Alessandria)

 

 

Aujourd'hui encore, Mayno della Spinetta n'est pas oublié à Alessandria et en Piémont. Vincenzo Civale et Daniele Cosenza, maîtres brasseurs à Spinetta Marengo ont dédié une bière très appréciée : la Mayno.

 

 

En voilà bien une étrange affaire, tu traduis du mandrognais à présent...

 

Oui, mon ami Lucien l'âne, et il le faut bien puisque la légende de Majen de la Spinëta est écrite dans cette langue un peu particulière. Et je te jure que je la découvre... Heureusement qu'il existe une traduction en italien... Elle m'a bien aidé. Voilà pour l'intermède linguistique. L'essentiel est pourtant ailleurs, il est dans le personnage et disons le tout net, dans le héros. Un héros comme on peut en avoir en tête et dans le cœur quand on est un enfant ou quand on garde son cœur et son imagination d'enfant. Cette dimension-là a beaucoup d'importance, car c'est elle la fameuse source de jouvence que cherchaient inutilement ailleurs de sages savants et de « konsidérables dokteurs ».

 

De la manière où ils s'y prenaient, ils avaient peu de chances de la trouver, cette source miraculeuse...dit tout frétillant, Lucien l'âne.

 

En effet, dit Marco Valdo M.I. en souriant étrangement. Mais, car il y a un mais... Ne t'en vas pas confondre enfance, cœur ou esprit d'enfant et infantilisme, qui est – pour le coup – une maladie de l'âme dont les effets sont redoutables et ont entraîné l'humaine nation dans les pires catastrophes. Et même, je l'ajoute pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, l'infantilisme continue à faire d'immenses ravages. Il menace l'espèce toute entière et même les espèces animales et végétales. C'est lui qui induit cette propension absurde à la consommation qui sévit aussi bien dans le domaine alimentaire – massacre des espèces, obésité, maladies diverses, empoisonnement toxique... que dans le domaine matériel – automobiles, objets divers, gadgets, inutilités, horreurs esthétiques, tourisme imbécile... Le tout débouche bien évidemment sur l'exploitation criminelle des enfants, des gens afin de produire ce délire et effet collatéral évident, les conquêtes, les guerres, les armes et les armements... Ainsi, le tableau est brossé...

 

L'infantilisme serait donc, si je comprends bien, dit Lucien l'âne, en quelque sorte, le moteur de la Guerre de Cent Mille Ans, que les riches font aux pauvres pour accaparer les richesses, pour voler leur vie et leur temps, pour accroître leurs pouvoirs et leurs privilèges...

 

C'est bien cela... Une sorte de maladie qui hypertrophie l'égo, qui le rend insatiable et impuissant à contrôler ses dérèglements... Par exemple aussi, sur le plan personnel, cette boulimie des vieux pour tout ce qui est jeune, ce goût pervers des flaccides pour les jeunes personnes – mâles ou femelles. À l'autre bout, si j'ose ainsi dire, l'hypertrophie de l'égo s'étend progressivement à tout, jusqu'aux confins de l'univers. Adi en était atteint, Béni aussi et d'autres surgissent à tous moments marqués au fer par cette virosité vague. On devrait quand l'affaire prend des proportions procéder avec ces gens-là comme on fait du chien enragé : les euthanasier, purement et simplement, car il n'y a pas de remède. On rendrait ainsi de grands services, des services incommensurables à l'humaine nation. À terme, on arriverait peut-être même à éradiquer le phénomène. cela dit, ce n'est pas le sujet de la ballade de Pipu Majen... Quoique...

 

Oui, au fait, que raconte-t-elle cette ballade ?, demande Lucien l'âne un peu interloqué.

 

Donc, je te disais qu'elle racontait l'histoire d'un héros, comme ceux qui sont chers au cœur enfantin (et j'insiste, pas infantile)... Il s'appelle Pipù Majen, qu'on traduit en italien par Giuseppe Mayno, va-t-en savoir pourquoi, d'ailleurs. C'est un personnage d'un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans, comme je te l'ai dit auparavant. Poussé par la réalité de sa condition, et de celle de tous ses « gens », de ses pays, de tous ses contemporains directs, il entre en rébellion contre le système, prend le maquis et mène une guerre de guérilla contre les autorités. Pourtant, il aurait bien aimé une vie pacifique, une vie simple avec ses simples complications de vie simple, qui sont bien assez suffisamment compliquées. Mais le Pouvoir voulait lui imposer de servir, de servir encore jusqu'à plus soif, de servir toujours, de donner toute sa vie, de donner tout son temps...

 

En somme, dit Lucien l'âne, on lui réservait un destin de travailleur, un destin d'ouvrier, ou de terrone, de somaro, ou de serviteur, ou de domestique, ou d'employé ou de ... Cette vie qu'on force à échanger contre quelques deniers, à peine suffisants pour l'entretenir souvent. Cette vie de travailleur qu'on prend et puis qu'on jette.

 

Telle était sa révolte. Mais il est une autre dimension de sa vie qui a retenu mon attention, et tu verras que c'est bien normal. Quand il s'est enfui, quand il a dû fuir face à un oppresseur nombreux et puissant, il s'est réfugié en montagne et précisément, il s'en fut dans une communauté valdese... Chez les descendants de Valdo de Lyon. Tu comprends que je m'y retrouve un peu dans son histoire. Je te rappelle que les descendants de Valdo étaient eux-mêmes arrivés dans ces montagnes poursuivis par les armées des papes, des empereurs et des rois, des ducs, des marquis, des évêques et des princes. Des centaines d'années plus tard, ce furent ces mêmes descendants de Valdo qui – Ora e sempre : Resistenza ! - qui accueillirent Fra Dolcino, les dolciniens, Majen, puis plus tard encore, les antifascistes, puis encore se portèrent au secours de Marco Camenisch, dont je t'ai conté l'histoire... Pour le reste, c'est une belle histoire que celle de Majen, qui court encore dans les montagnes comme un souffle de vent.

 

Soyons comme les souffles des vents, insinuons-nous partout, courons dans tous les recoins et quand nous nous posons, reprenons inlassables, notre tâche qui est de tisser le suaire (comme nous ne sommes pas loin de Turin, on dira suaire) de ce monde infantile, flaccide et cacochyme.

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.

 

 

Vole en l'air une chanson; elle chante les histoires

Du temps de Napoléon, devenues légendaires

Des histoires de guerre et de soldats, de mort et de vendetta

De Majen, bandit sur les terres de la Spinëta.

Pipu et Cristina mariés, un jour de fête

Fusillade dans l'air, cris, vin qui donne à la tête

Échauffourées avec les gendarmes, les gens hurlent

Majen laisse son épouse et se défile.

Il devient brigand pour ne plus être soldat

Rusé et fourbe comme les gens de son pays

Il rit des puissants, les voue aux gémonies

Paysan de souche, Majen della Spinëta.

 

Cours Majen

Vaincs la grogne

Ouvre le destin

Des gens de Mandrogne

Vole dans le rêve

d'une chansonnette

Roi de Mandrogna

Fils de la Spinëta.

 

Passe le carrosse de Saliceti

Ministre de Napoléon, faisons le sauter

Mieux vaudrait une rançon, le faire prisonnier

Que l'argent volé à nos gens revienne au pays.

 

Déguisé en marquis ou en ferblantier

On le retrouve là quand on le croit éloigné

Mandrognien dans l'âme, c'est un brigand différent

Il vole et il s'échappe en pirouettant.

Brigand que personne ne dupe, que personne ne trompe.

Despinoy s'y essaye, à chaque fois, il se plante

Pièges, poursuites, il s'échappe le malin

L'Empereur de Marengo, un démon … Majen.

 

Va-z-y Majen

Ordonne d'attaquer

Ces maudits Français

Ces vilains assassins

Tire dans la songerie

D'une chansonnette

Roi des Mandrogniens

Fils de la Spinette.

 

Majen le bandit gamin avait l'envie de rire

Il sent l'odeur des sous et sait à qui les prendre.

Quand il ôte l'or à un riche, à un puissant

Il se souvient des pauvres, de ses gens

Au pont de Broni, trois cents soldats

Par suite d'une traîtrise, l'attendent là.

Il les regarde, s'enfuriose, il entre en rage

À coups de tromblon, il traverse le barrage

Son unique faiblesse est l'amour

Autour de la maison de sa femme et de ses filles, il tourne toujours

Pour un peu, par la faute d'un espion, ils l'ont attrapé

Le champêtre le piège, l'assomme, et le pend au mûrier.

 

Tu as perdu Majen

Ce n'est pas un déshonneur

Tu a vaincu dans les cœurs

Des Mandrogniens.

Tu cours dans le rêve

D'une chansonnette

Roi de Mandrogna

Fils de la Spinëta

 

Fin de l'aventure, le rideau est tombé

Toile noire dans la nuit devenue linceul

Flammes d'escopettes, gendarmes, la nuit de Bettale

Majen personne ne l'a tué, il s'est tué

À Alessandria, le lendemain, pendu en place

On ne le reconnaît pas, les gens passent

« Ce n'est pas vrai qu'il est mort – disent les paysans

Majen s'est enfui, pour toujours, loin d'ici... »

Majen est vivant dans la tête de ses gens

Choses que racontent les vieux, écrites dans l'esprit

Spinëta, terre rouge, sang et histoire

Du temps de Napoléon, de Marengo et de la gloire.

 

Vole Majen sans peur

Vers ta gloire

Reste dans les cœurs

Et dans la mémoire

Vis dans le rêve

D'une chansonnette

Roi de Mandrogna

Fils de la Spinëta.

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Published by Marco Valdo M.I.

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