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7 août 2012 2 07 /08 /août /2012 11:11

Chez Diener

 

 

 

Canzone française – Chez Diener – 1930 – Marco Valdo M.I. – 2011

Histoires d'Allemagne 29

 

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.

 

 

 

 

 

Nous voici à nouveau dans ces Histoires d'Allemagne, qui, tu t'en doutes bien, Lucien l'âne mon ami, vont nous occuper un certain temps encore.

 

Hou là là, oui, je le pense bien, Marco Valdo M.I. mon ami. À mon sens, sans doute encore une bonne année. Et qui sait ce que tu vas encore me raconter. Dans l'ensemble , on l'imagine assez clairement : le Reich, la guerre, la division, la réunification, le mur tombé d'un seul côté... La marche vers la Grande Allemagne, la marche vers la Grande Europe... C'est carrément téléologique.

 

En effet, Lucien l'âne mon ami. C'est bien à une téléologie qu'on a à faire ici. D'ailleurs, chacune des canzones qui ont été présentées jusqu'à présent, tu le remarqueras, chacune tend à décrire un mouvement dans le temps. En somme, elle ne raconte pas un instant, mais bien un instant comme point dans un tracé d'histoire. Les histoires sont des histoires dans l'Histoire. Je vois bien que mon propos est bizarre, mais je vois mal comment le formuler différemment. Ici, l'anecdote – c'est-à-dire la petite histoire particulière qui sert de clé pour entrer dans le processus historique est celle d'un boxeur. C'est anecdote, comme toutes celles que nous avons vues jusqu'ici, prend la forme d'une parabole. Elle eût pu s'en tenir à cette histoire de boxeur, à l'histoire de la boxe, à parler aussi de Max Schmeling, de ses combats... Elle aurait pu déborder sur d'autres boxeurs : Primo Carnera, Joe Louis...

Mais tel n'est pas le cas dans la canzone. Elle n'accorde pas trop d'importance à ces événements pugilistiques et regarde la vie dans un terme plus long pour se rendre compte de la brièveté des choses... On est boxeur un temps assez court et il vaut mieux qu'il soit le plus court possible, sinon les dégâts causés par le noble art sont irréversibles et catastrophiques. De cette gloire, sur cette gloire, on ne peut fonder une vie... Comme sur toute gloire, d'ailleurs. Et il faut bien se reconvertir et Franz Diener a une reconversion plutôt heureuse... Il s'installe au cœur de la vie nocturne de Berlin et de son comptoir-observatoire, il va connaître la vie culturelle de son temps... Au départ, on y trouve un chanteur que nous connaissons bien toi et moi, car nous avons déjà traduit deux de ses chansons, dont Bürgerliche Wohltätigkeit [[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=37187&lang=it]] écrites par Tucholsky, mais Ernst Busch en écrira lui-même au moins deux cents... et à la fin de l'épisode, on trouve l'écrivain suisse Friedrich Dürrenmatt qui commande une tournée.

 

Je vois, dit Lucien l'âne. Mais comment peut-il ce boxeur – fût-il champion d'Allemagne des poids lourds vers 1930 avoir une vision aussi panoramique...

 

Tout simplement parce que son établissement, un simple bistrot au départ, mais un bistrot de nuit attire d'autres boxeurs, des gens qui gravitent autour de la boxe et des admirateurs des boxeurs. Bertolt Brecht, par exemple, était assez amateur de la boxe. Je te rassure ce n'est pas mon cas. Puis, comme c'est devenu en ces temps-là un lieu du Berlin nocturne, il va attirer les gens qui sortent la nuit. Et il va garder cette caractéristique. Un lieu ouvert la nuit, pas cher, où l'on peut rencontrer des artistes, le Groupe 47, par exemple, qui va porter au monde la littérature allemande... Et un bistrot pas cher... Il existe d'ailleurs toujours, il porte toujours (aux dernières nouvelles) le nom de Diener et il est toujours au même endroit. Sic transit... Il témoigne aussi comme notre chanson que « Souvenirs, souvenirs désuets

La gloire, le Reich, comme tout cela est éphémère. ».

 

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.

 

 

 

Mais rien que pour dire, mes amis

Quand Franz a ouvert son boui-boui

Bien avant la guerre, avant même la montée du branleur

Y avait des artistes, y avait des sportifs, y avait les boxeurs

Tout ce monde se mélangeait

Pour dire, y avait Ernst Busch, qui chantait

Acteur, metteur en scène, contemporain de Diener

Ernst Busch chantait la Totenmelodie de Tucholsky

Quand les SA sont venus l'arrêter chez lui

Il avait passé la nuit chez Diener

Il dormait encore, il n'a pas ouvert à ces gens-là

Le jour-même, il filait en Hollande avec Éva

Puis, Belgique, Russie, Brigades Internationales

Et chanteur à Radio Madrid contre les fascistes

 

Dans les années cinquante, soixante

On sort progressivement de la tourmente

Un coin sympa pour les habitués du soir

Franz sert derrière le comptoir

À Berlin, Grolmanstrasse, métro Savigny

Nous autres du groupe 47, souvent, on y passe la nuit

Chez Franz Diener, on boit le schnaps et la bière

Œufs durs, moutarde, boulettes et desserts

Après les camps et les prisons et la guerre,

Ernst Busch joue et chante au Berliner.

Ne restent là à causer jusqu'au petit matin

Que des artistes, des gens du spectacles, des écrivains

Dürrenmatt, venu de Berne, y conte la galaxie.

Et commande une tournée pendant que l'Allemagne cajole son amnésie.

 

Diener poings en haut, Diener poings en bas,

Un gars avec qui on ne se dispute pas

Champion d'Allemagne mil-neuf-cent-vingt-trois

Un mètre quatre-vingt-trois

Quatre-vingt-un kilos, à ce moment

Donc, sur les photos de l'ancien temps

Torse nu, poings en l'air

Dans ses poses de boxeur

Franz dit : Je suis très fier

D'avoir perdu mon match contre Max le meilleur

Champion du monde et futur centenaire

Même si aujourd'hui, il élève des visons et des poulets.

Souvenirs, souvenirs désuets

La gloire, le Reich, comme tout cela est éphémère.

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Published by Marco Valdo M.I. - dans Marco Valdo M.I.

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