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11 janvier 2021 1 11 /01 /janvier /2021 20:34

 

LA BICYCLETTE

 

Version française – LA BICYCLETTE – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson italienne  - La bicicletta - Radici nel Cemento2008

 

 


 

 


 

Nous sommes contre la guerre, nous sommes tous d’accord… mais comment traduire cela en gestes concrets ? C’est-à-dire, quels peuvent être les gestes de paix ? Pour citer le MCR (Modena City Ramblers) : « penser global, agir local », et donc quelques chansons viennent à l’esprit qui expriment bien cette « culture de la paix » : La bicicletta et M’illumino di meno des Radici nel cemento… Je sais que l’idée est un peu tordue, mais l’essentiel serait : si les guerres sont menées pour le pétrole, l’eau… toutes les actions qui limitent l’utilisation de ces ressources vont directement dans le sens de nier la raison même de ces guerres

DonQuijote82


 

 

Dialogue Maïeutique

 

Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson qui a comme héroïne la bicyclette et comme héros, le vélocipède et le vélo. Ce n’est certainement pas la seule question où il est question de bicyclette, de vélo, de tandem, de triporteur, si ce n’est de bike, de vtt ou que sais-je encore.

 

En effet, dit Lucien l’âne, il doit sans doute y en avoir un certain nombre. À propos de chanson, moi, quand j’entends le mot bicyclette, j’ai immédiatement dans mes oreilles d’âne l’air de la chanson que chantait Yves Montand, intitulée également : La Bicyclette (https://www.youtube.com/watch?v=eoHjQs6C4UY), qui racontait l’histoire d’une bande de jeunes cyclistes amoureux d’une dénommée Paulette, fille du facteur et cycliste elle aussi.

 

Je la connais bien cette histoire des cyclistes amoureux de Paulette, reprend Marco Valdo M.I., mais celle-ci, celle des Radici nel Cemento raconte une histoire différente ; elle entend promouvoir l’usage de la bicyclette, du vélocipède, du vélo et si amoureux il y a, c’est un amoureux de la bicyclette et pas de la Paulette. Ce sont des amis de la manivelle et leur but est de faire la révolution comme il est dit dans la chanson.

 

« Avec le vélo, nous allons faire la révolution.

Le vélocipède, quelle grande passion,

Le vélo libère l’esprit, le corps et l’imagination.

Avec la bénédiction de la gracieuse Grazielle,

Sainte tutélaire des amis de la manivelle, »

 

C’est là une grande ambition, dont l’idée sous-jacente est de diminuer l’empreinte carbonée des humains qui se déplacent.

 

Je veux bien, dit Lucien l’âne, mais pour moi, pour nous les ânes, cette bicyclette a pris notre place. C’est du moins ce qui ressort du fait que selon Alfred Jarry, lui-même amateur de bicyclette – c’était avant 1900, les Chinois appelaient cette machine d’avant-garde : « un âne qu’on tient par les oreilles et dont on bourre le ventre de coups de pieds pour le faire avancer ». C’est évidemment une image horrible.

 

Oui, dit Marco Valdo M.I., je te comprends ; je n’aimerais pas non plus qu’on me bourre le ventre de coups de pieds. Quant à l’idée que la bicyclette soit un moyen de s’opposer à la guerre, elle vaut bien l’idée contraire qu’en ont eu les stratèges. Je voudrais juste rappeler les régiments de carabiniers-cyclistes de l’armée belge qui en 1940 infligèrent quelques déboires sanglants aux envahisseurs, les estafettes de la résistance (notamment, parmi les cyclistes émérites, Gino Bartali) et bien sûr, la contribution de la bicyclette à la guerre de guérilla vietnamienne. Cela dit, la bicyclette considérée dans ses usages quotidiens est une bonne fille.

 

Par ailleurs, dit Lucien l’âne, j’ai entendu dire qu’en Chine et sans doute, dans d’autres pays asiatiques, dans certaines grandes agglomérations, il y a des embouteillages cyclistes. Mais paix à son âme à cette honorable mécanique et tissons le linceul de ce vieux monde mécanisé, motorisé, pneumatisé, gonflé et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Avec cette ligne essentielle et élégante,

Belle et séduisante, elle n’est qu’à moi ;

Toujours plus attirante, je ne résiste pas,

La posséder est une émotion intense et exaltante.

Depuis que je l’ai rencontrée, j’ai beaucoup changé

Ma vie s’est améliorée, je ne suis plus jamais déprimé.

Chaque jour qui passe, j’ai une grande envie de sauter

D’un bond en selle et de commencer à pédaler, pédaler, pédaler…

 

Avec sa mécanique simple et parfaite,

Vole, vole, vole la bicyclette.

La petite vieille fait ses courses sur son vélo,

Elle vole, vole, vole sur sa bicyclette.

Avec son klaxon, son petit miroir et son drapeau,

Elle vole, vole, vole sur sa bicyclette.

Avec son panier, sa pompe et sa sonnette,

Elle vole, vole, vole la bicyclette.
 

Elle survole le trafic, elle survole le smog.

J’économise, je m’amuse et je me fais du bien,

Je ne peux m’en passer, c’est ma drogue

Si le voyage est long, je la charge sur le train.

On fait des kilomètres et on ne se fatigue pas.

Avec un chariot au cul, on transporte n’importe quoi ;

Et puis, je la monte chez moi par l’ascenseur,

Je l’accroche au mur et je l’astique pendant des heures.

 

Je navigue, je pédale sans hâte,

Je glisse et je flotte, sur ma bicyclette !
 

Selon moi, c’est un joyau de technique banale,

Le génie de l’humanité dans le coup de pédale,

Une plume au chapeau de l’ingénierie,

Un infaillible dispositif d’horlogerie.

On va sur la place au centre-ville ou à la plage,

Elle m’emmène au travail, au parc, chez l’épicier.

Avec le vent dans les cheveux, un sourire sur le visage,

Toujours sur la route ensemble, hiver comme été,

À pédaler, pédaler, pédaler…

 

Pour un monde plus propre, c’est l’unique recette

Vole, vole, vole la bicyclette.

contre la culture de consommation « use et jette »

Vole, vole, vole la bicyclette.

Pour être heureux comme avant, faites comme moi

Vole, vole, vole la bicyclette.

Roulez en rond ou allez tout droit.

Vole, vole, vole la bicyclette.

 

Pour survoler le trafic, pour survoler le stress,

Pour survoler l’asphalte, la terre ou les pavés,

Il n’existe pas de moyen de transport plus adapté

Et bon pour l’esprit et même pour les fesses.

Si je rencontre une montée et que l’affaire se durcit

Je me réjouis de la descente, avant même que ce soit fini,

Je dis faisons place au bonheur, bannissons la paresse,

Tous en selle pour pédaler entre amis !

 

Je navigue, je pédale sans hâte,

Je glisse et je flotte, sur ma bicyclette !

 

Le vélocipède, quelle grande invention,

Avec le vélo, nous allons faire la révolution.

Le vélocipède, quelle grande passion,

Le vélo libère l’esprit, le corps et l’imagination.

Avec la bénédiction de la gracieuse Grazielle,

Sainte tutélaire des amis de la manivelle,

Moins d’essence, moins de taxe à payer.

Beaucoup de pâtes et dans l’effort, se muscler.

 

Le vélocipède, quelle grande invention,

Il stimule l’endorphine, il active la circulation.

Le vélocipède, quelle grande passion,

Finies les amendes et les contraventions.

 

 

LA BICYCLETTE
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Published by Marco Valdo M.I.
8 janvier 2021 5 08 /01 /janvier /2021 18:01

RÉSOLUTIONS DU NOUVEL AN

 

Version française – RÉSOLUTIONS DU NOUVEL AN – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson allemande – Vorsätze fürs neue Jahr – Erich Kästner

 

 

LE VIEIL HOMME ET L’ENFANT

Georg Grosz - 1969

 

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Finalement, Lucien l’âne mon ami, des fois je ne sais trop quoi dire. J’ai comme un cerveau plat quand j’arrive à la fin d’une version française. Car c’est un foutu boulot que ces versions et sans blague, j’en sors l’esprit un peu vidé ; ce n’est pas seulement une traduction – la traduction n’est qu’une étape vers autre chose et la version, c’est la mise en forme de cette autre chose. Ce qui en fait un objet particulier, c’est ce qui s’y ajoute et qui lui donne toute sa valeur, mais qui augmente aussi considérablement le temps qu’on doit y consacrer ; c’est tout le travail du sculpteur quand il a dégrossi la pierre ou celui du ciseleur qui fait du métal un bijou. Dans le cas de la version, c’est souvent deux journées – parfois bien plus – qui y passent. Bien sûr, il faut y inclure les périodes de latence où on laisse le texte reposer pour le reprendre plus tard, avec du recul. Et puis, on le modifie, on le peaufine et on y revient et on le met à nouveau au reposoir. Il faut parfois quatre ou cinq versions de la version pour arriver à ce qu’on laisse voir au lecteur. C’est seulement tout au bout de ce processus que vient, que peut venir le moment du dialogue maïeutique.

 

Ce doit être ainsi, j’imagine, répond Lucien l’âne, mais quand même, il te faut me parler à propos de la chanson – peu importe laquelle, c’est toujours la même nécessité du dialogue maïeutique, même si parfois, je ne vois pas très bien le rapport.

 

Oh, dit Marco Valdo M.I., là, tu dis juste, car parfois, ce que je raconte – et qui est la matière du dialogue – n’a qu’un rapport très lointain avec le sujet de la chanson ou de la version dont on cause. À propos de cause, je veux dire de cause de cet apparent éloignement, c’est que j’ai comme Sterne, Grass, McBain, Pratchett, Vialatte ou Lucien (Apulée) lui-même – une forte tendance à la digression. Avec elle, on finit même par s’apercevoir que c’est la digression qui importe. Cependant, si je la pratique si volontiers, ce n’est pas à la manière d’un procédé, d’une sorte de recette magique, c’est que, vois-tu, en vérité, elle m’est naturelle ; en quelque sorte, coexistentielle, consubstantielle.

 

Soit, dit Lucien l’âne, Homère n’a pas fait autre chose quand il a mis toute une odyssée pour dire qu’Ulysse était rentré en retard chez lui. Ce n’est quand même pas une raison pour échapper à ton obligation. Qu’est-ce qu’elle raconte cette chanson ?

 

Vite dit, Lucien l’âne mon ami, c’est une sorte de monologue à l’usage de tous, une parabole de circonstance, assez banale en apparence, un propos aux allures de sermon, une adresse à la ronde, un peu guindée dont on n’aperçoit pas tout de suite l’impertinence. Mais, justement, s’agissant d’Erich Kästner, il faut replacer ce laïus dans un certain contexte. K. n’interpelle pas ses contemporains, il s’adresse aux suivants - c’est peut-être dû à sa formation d’instituteur, il n’arrête pas d’ailleurs de le faire depuis qu’il a connu la guerre, vu et su ses horreurs et leurs séquelles. Il leur suggère, comme le ferait le vieil homme à l’enfant, que la vie vaut par elle-même et qu’il faut la prendre tant qu’il y en a, tant qu’elle n’est pas encombrée, tant qu’elle respire les petits atomes de bonheurs. Il s’agit, pour lui, d’apaiser le monde, d’améliorer la vie, d’alléger l’existence ; ce qui fait de lui, à vie, un homme contre la guerre.

 

Oui mais, dit Lucien l’âne, la chanson ?

 

Oh, la chanson ?, répond Marco Valdo M.I., elle fait exactement ça. Elle va au plus près de la matière qui fait les jours, celle qui pétrie, maniée, mise en forme fait la vie quotidienne dans laquelle se débat chacun aux prises avec la Guerre de Cent Mille Ans. Ici, il s’agit de rendre l’année à venir douce et légère, en tout cas, moins dure, moins lourde à porter. Ce n’est pas une grande proclamation, ce n’est pas une doctrine, ce n’est pas un discours politique – Erich Kästner en a entendu assez de ces discours à programmes, c’est juste une façon de vivre. Comme on le voit, le Ferré d’Y en a marre disait la même condition essentielle de l’existence paisible.

 

« On vit on mange et puis on meurt ;
Vous ne trouvez pas que c'est charmant
Et que ça suffit à notre bonheur
Et à tous nos emmerdements. »

 

Peut-être bien, dit Lucien l’âne. De toute façon, il n’y a pas de mal à alléger le poids des jours et il est fort bien de ne pas trop charger le baudet, qu’on est, que chacun – en définitive – est. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde tristounet, chaotique, ballotté et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.

 


 

Il ne faut pas comme un malade,

Charger de programmes l’année nouvelle.

Si vous pesez trop sur elle,

Elle finira par tomber en capilotade.


Plus les plans fleurissent, plus ils croissent,

Plus l’action devient inextricable ;

On prend sur soi, on fait des efforts terribles

Et finalement, on se retrouve dans la poisse.

 

Rougir de honte ne sert pas à grand-chose.

Ça la fout mal et ça ne sert à rien

De se préoccuper de mille choses.

Oubliez les programmes et faites-vous du bien.

RÉSOLUTIONS DU NOUVEL AN
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Published by Marco Valdo M.I.
3 janvier 2021 7 03 /01 /janvier /2021 18:38
L’AVEUGLE

 

Version française – L’AVEUGLE – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson allemande – Der BlindeErich Kästner – 1931


 

 

Bettler (Mendiant) – Berlin

George Grosz – 1925

 


 

Dialogue Maïeutique

 

Écoute voir, Lucien l’âne mon ami, l’autre jour, je pourrais même dire l’autre semaine, l’autre mois et pourquoi pas, l’autre année.

 

Ça rime à quoi, ce charabia ?, demande Lucien l’âne.

 

Oh, à rien, dit Marco Valdo M.I., ou alors à pas grand-chose ; c’est une façon de dire la semaine dernière, il n’y a pas longtemps, il y a peu, il y a quelques jours avant que l’an ne tourne de l’œil ; bref, tout récemment, je te parlais des livres pour enfants d’Erich Kästner et si je t’en parlais, c’est que, je considère que ce sont de livres importants, car c’est dans l’enfance qu’on se forme, outre un corps avec toutes ses envies, une morale de vie, une personnalité, qu’on se construit soi-même et qu’on élabore sa conception du monde et le mode d’emploi de sa propre existence. Tout ça, fugacement en quelques années.

 

Je sais, dit Lucien l’âne, et ça, la plupart du temps sans le savoir et sans le vouloir, du moins consciemment. C’est pareil pour les ânes.

 

Certainement, reprend Marco Valdo M.I., et ce n’est pas pour rien que les religions exigent le tribut des enfants, les embrigadent dans leurs troupeaux et leur infligent leurs catéchismes, leurs prières et leurs salamalecs. C’est un de leurs plus sûrs moyens de domestication des gens, un de leurs instruments de conditionnement et de marquage des cerveaux et des cœurs des gens. Certaines religions en plus du décervelage, vont même jusqu’à mutiler les enfants de façon à imposer leur empreinte définitivement – je veux dire, jusqu’à la mort, et signifier – volens-nolens – l’appartenance du sujet au maître.

 

Je sais, dit Lucien l’âne, c’est une honte, c’est une infamie ; on fait pareil aux animaux : aux veaux et aux moutons. Mais tout ça nous éloigne du but de notre rencontre de ce jour qui est – je te le rappelle – de dire quelques mots à propos de la chanson. Par exemple, si on commençait par son titre.

 

Bien, bien, le titre, en effet, répond Marco Valdo M.I., je te l’avais indiqué l’autre jour. Souviens-toi quand on discutait du « Monologue de l’Aveugle » (Monolog des Blinden), je disais : « D’autre part, Erich Kästner a écrit deux ans plus tard un autre poème, intitulé « Der Blinde » (L’Aveugle), où il approfondira la réflexion ; je te le ferai voir prochainement. » Donc, voici « L’Aveugle » qu’on peut imaginer comme une deuxième partie du monologue et peut-être est-ce le même homme qui continue à mendier sur le trottoir et poursuit son monologue. Sans doute, car personne ne lui parle et personne ne le remarque ou ne veut lui parler ou le remarquer C’est un des sens possible de cette réflexion :

 

« Des pas viennent, des pas s’en vont,

Quel genre d’hommes les font ?

Pourquoi personne ne s’arrête ?

Je suis aveugle, et vous êtes aveugle. »

 

Deux ans se sont écoulés et sa situation ne s’est pas arrangée

 

Oui, bien, dit Lucien l’âne. Soit, mais pourquoi revenir deux ans plus tard au portrait de cet aveugle alors qu’il semble que tout avait été dit.

 

D’abord, Lucien l’âne mon ami, il faut penser qu’il y avait encore des choses à dire ou qu’il fallait insister. C’est là que je me suis dit, à part moi, que cet aveugle pourrait bien être aussi tout simplement l’incarnation de la conscience des gens d’Allemagne : dans la première chanson, de l’Allemagne qui pansait ses blessures de la Grande Guerre et dans celle-ci, de l’Allemagne qui ne voit pas, ne veut pas voir ce qui vient à elle. Et puis, l’aveugle a toujours cette sorte de don de trouble vue, de voir sans le voir ce que ceux qui voient ne voient pas en le voyant.

 

Exactement, dit Lucien l’âne, je vois ce que tu veux dire, car moi, j’ai vu et connu Cassandre, les aèdes aveugles et tout ce qui s’ensuit. De toute façon, merci pour des indications. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde indifférent, aveugle, à tout le moins amblyope, sourd et muet à son tour et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

Sans regrets, sans espérances

Il se tient le crâne baissé.

Accroupi contre le mur, épuisé,

Tassé, assis, il pense :

Les miracles ne sont pas venus.

Tout reste ainsi, comme c’était.

Qui ne voit rien n’est pas vu,

Qui ne voit rien est secret.

 

Des pas viennent, des pas s’en vont,

Quel genre d’hommes les font ?

Pourquoi personne ne s’arrête ?

Je suis aveugle, et vous êtes aveugle.

Votre cœur n’envoie aucun message

De votre âme à votre visage.

Si je n’entendais pas vos pieds,

Je ne saurais pas que vous existez.

 

Approchez, installez-vous ici à côté,

Jusqu’à ce que vous ressentiez la cécité.

Penchez la tête et baissez les paupières,

Jusqu’à connaître cette réalité étrangère.

Maintenant, partez ! Vous êtes pressé ;

Faites comme si rien ne s’était passé,

Mais n’oubliez jamais non plus :

« Celui qui ne voit pas n’est pas vu. »

 

 

 

 

 

L’AVEUGLE
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Published by Marco Valdo M.I.
1 janvier 2021 5 01 /01 /janvier /2021 19:16

 

MONOLOGUE DE L’AVEUGLE

 

Version française – MONOLOGUE DE L’AVEUGLE – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson allemande – Monolog des Blinden – Erich Kästner – 1929


 

 

 

Der Blinder - L'AVEUGLE

Anita Rée - 1925 ca


 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Décidément, dit Lucien l’âne, il me semble que tu es un peu toqué d’Erich Kästner ; j’ai comme l’impression que tu as déjà fait quelques versions françaises de ses « Gedichte », de ses poèmes, de ses chansons et par ailleurs, je sais que tu as lu ses romans, qui – si je ne me trompe – sont pour la plupart des romans pour enfants.

 

En effet, Lucien l’âne mon ami, comme beaucoup de gens, j’ai d’abord connu Erich Kästner comme un auteur de romans pour enfants qui sont fort surprenants et dénotent dans le genre par la confiance qu’ils ont en l’intelligence des enfants. En fait, pour tout dire, Erich Kästner voulait parler à l’enfant qui est en chacun, à l’intelligence de l’enfant qui est en chacun, quand intelligence, il y a – vus les événements de son temps et ceux qui se préparaient à ce moment (en Allemagne, vers 1930), il y avait de quoi douter de l’intelligence et même de l’enfance. Plus tard, j’ai découvert qu’il était aussi l’auteur d’un des romans-clés de la République de Weimar, qui est également un des grands romans de la littérature allemande, un chant de Cassandre annonciateur de la venue du Seigneur du Grand Reich de Mille Ans (qui n’en a duré que douze) et de la plongée abyssale de l’Allemagne dans la barbarie, comme l’indiquait le titre originel de son livre : « Der Gang vor die Hunde », qu’on pourrait dire en français : « La course devant les chiens ». Ce roman avait été, je te l’accorde, publié sous un autre titre, imposé par les éditeurs, en 1931.

 

Ah, je comprends, dit Lucien l’âne. N’était-ce pas « Fabian. Die Geschichte eines Moralisten » – « Fabian. L’Histoire d’un Moraliste » ?

 

Exactement, dit Marco Valdo M.I., mais il a été récemment republié en langue française sous le titre explicite de « Vers l’Abîme ». Encore que « Fabian, le Moraliste », c’était fort bien et était tout aussi nécessaire comme pendant à « Jacques le Fataliste ». Il faut dire que le roman de Fabian et son auteur avaient été tant vilipendés par les nazis et leurs fans, qui l’avaient condamné au bûcher (le roman), que longtemps, il fut oublié et confiné dans une sorte de purgatoire ; sans doute éclairait-il trop certain passé. Si on y ajoute, qu’en ce temps-là, Erich Kästner était journaliste à Berlin et qu’il ne laissait pas sa plume dessécher dans sa poche, comme – par exemple, son contemporain Kurt Tucholsky, on comprend qu’il y a vraiment intérêt à regarder de près ses poèmes de l’époque – ceux d’après aussi, d’ailleurs.

 

Oui, certes, dit Lucien l’âne, mais tout ça ne me dit toujours rien à propos de la chanson. Je ne connais même pas son titre.

 

Oh, dit Marco Valdo M.I., si tu connaissais son titre, tu saurais déjà énormément de choses à son sujet. Elle s’intitule : Monolog des Blinden – « Monologue de l’Aveugle » et date en 1929. La chose a son importance, doublement. D’une part, car cet aveugle méditant a perdu ses yeux emportés par un éclat d’obus en 1917, quelque part sur un des multiples fronts – la chanson ne dit pas lequel ; probablement, face aux Anglais du côté de Cambrai dans le Nord de la France ; c’est la grande offensive de ce mois-là. Donc, c’est un de ces innombrables mutilés de guerre qui hantent les trottoirs de Berlin. D’autre part, Erich Kästner a écrit deux ans plus tard un autre poème, intitulé « Der Blinde » (L’Aveugle), où il approfondira la réflexion ; je te le ferai voir prochainement. Pour le reste, il vaut mieux lire la chanson.

 

Oui, dit Lucien l’âne, c’est ce que je vais faire. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde aveugle, mutilé, blessé, malade, miséreux et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Tous passent, passent,

Passent et ne me voient pas,

Je suis aveugle, aucun ne s’arrête.

Et je suis debout depuis trois.

 

Maintenant, il commence à doucher !

Quand il pleut, l’homme est mauvais.

Un qui ensuite me recroise fait

En sorte de ne pas me rencontrer.

 

En ville le jour, sans yeux, sans rien,

Autour de moi, ça gronde comme au bord de la laisse.

Le soir, je cours la cité derrière un chien

Qui me tient et me tire en laisse.

 

Mes yeux ont commémoré en août

Le douzième anniversaire de leur mort.

Pourquoi l’éclat n’a-t-il pas touché mon cou

Et mon cœur qui ne peut plus aimer depuis lors ?

 

Personne n’achète de cartes postales

Peintes à la main, je n’ai pas de chance.

Un groschen, pièce par pièce !

Quand j’ai payé sept pfennigs moi-même.

 

Avant comme eux, je voyais

Tout : soleil, fleurs, ville et femmes.

Et à quoi ressemblait ma mère,

Que je n’oublierai jamais.

 

La guerre rend aveugle,

Je peux le voir dans ma chair.

Et il pleut. Et le vent souffle.

N’y a-t-il pas ici une autre mère

Qui pense à son propre enfant ?

Et un enfant,

À qui la mère donnera

Quelque chose pour moi ?

 

 

MONOLOGUE DE L’AVEUGLE
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Published by Marco Valdo M.I.
27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 21:16

BALLADE DES BONNES CERISES

 

Version française – BALLADE DES BONNES CERISES – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson allemande – Ballade vom gut KirschenessenWolf Biermann – 1989-90

 

 

 

 

Le Politburo en route vers l’avenir

LA PARABOLE DES AVEUGLES

Pieter Brueghel - 1568

 


 

Le Mur était tombé depuis peu et en février 1990, lors d’un concert à Altona, Hambourg (la ville du martyr antifasciste Bruno Tesch et des nombreux autres qui ont été tués par les nazis durant l’été 1932), Wolf Biermann chanta, entre autres, cette belle ballade dédiée à un de ses amis, également martyr du totalitarisme : Robert Havemann.

Robert Havemann (1910-1982) était chimiste. À l’avènement du nazisme, il était déjà chercheur universitaire à l’Institut Kaiser Wilhelm. Pas de chance, Robert Havemann était communiste, et pas seulement cela ; il devint rapidement un membre actif de la Widerstand, la résistance allemande. Arrêté par la Gestapo en 1943, il fut condamné à mort, mais l’exécution de la sentence fut continuellement reportée, grâce à l’intercession de certains de ses anciens collègues qui firent croire aux nazis que les recherches du chimiste communiste étaient essentielles dans le domaine de la guerre.

Ainsi de suite et après des mois, les troupes soviétiques arrivèrent également à la prison de Brandebourg-Görden où Robert Havemann était enfermé, toujours vivant…

Après la guerre, Robert Havemann devient directeur de l’Institut Kaiser Wilhelm à Berlin-Ouest, mais très vite, il se retrouva en conflit avec les autorités américaines qui exerçaient une forte pression sur les programmes du centre.

Ils le licencièrent en 1950. Robert Havemann passa à l’université Humboldt de Berlin-Est, remportant des prix importants pour ses recherches et devenant membre du Parlement.

Mais en 1963, l’idylle apparente avec les autorités communistes s’effrange : Robert Havemann présente une étude intitulée « Dialectique sans dogmatisme : les sciences naturelles contre le communisme ». Je ne pense pas que les gros « coquelicots rouges » de l’époque se soient donné la peine de le lire. Le professeur Havemann a été instantanément expulsé du Parti et de l’Université et, en fait, à partir de ce moment, il a été placé en résidence surveillée dans le village de Grünheide, dans le Brandebourg, où il est mort en 1982 après une longue et douloureuse bataille contre le cancer du poumon.

En 1989, Robert Havemann a été « gracié » et « réhabilité »” par le Sozialistische Einheitspartei Deutschlands.

Depuis 2005, Robert Havemann est à Yad Vashem à Jérusalem en tant que « Juste des Nations ».

 

 

 

Dialogue maïeutique

 

À mon avis, Lucien l’âne mon ami, Wolf Biermann, l’auteur et l’interprète de cette Ballade des bonnes cerises (Ballade vom gut Kirschenessen) – titre qu’il eût fallu traduire par Ballade du bon mangeur de cerises, mais comme on sait, je ne traduis pas –, outre que d’être un familier de François Villon, auquel il dédia sa Ballade du Poète François VillonBallade auf den Dichter François Villon, est aussi sans doute assez familier d’Arthur Rimbaud et particulièrement de ce qui concerne la guerre de 1870.

 

Ah bon !, dit Lucien l’âne, et qu’est-ce qui te fait dire ça ?

 

Les corbeaux, mon ami Lucien l’âne, les corbeaux, ne t’en déplaise, les corbeaux, funèbres oiseaux noirs. Je suis aussi sensible au ton de la chanson, à l’allusion à la Commune, à cette manière si particulière qui est celle des poètes. Des poètes, justement ! Dans cette chanson, Wolf Biermann se décrit, se dénomme, se plante dans le décor, se met en scène, s’engage, tout ce qu’on voudra, comme poète. Mais ce n’est là qu’un aspect de la chanson.

 

Ah oui ?, dit Lucien l’âne. Je l’imaginais bien, vu que le titre parlait de cerises. Et d’abord, quand même, qui est ce mangeur de bonnes cerises ou est-ce un bon mangeur de cerises ? Je ne sais trop ; les deux peut-être.

 

Eh bien, répond Marco Valdo M.I., c’est comme qui dirait le héros auquel est dédié la ballade – Robert Havemann. Un héros, véritablement particulier, une sorte d’anti-héros – tous régimes confondus ; toujours en rupture avec l’establishment ; comme Wolf Biermann lui-même, comme le fut, par exemple, Carlo Levi sous le fascisme.

 

Oh, dit Lucien l’âne, dissidence et résistance sont souvent une seule et même chose et l’une comme l’autre sont difficilement solubles dans la normalité du pouvoir.

 

Et puis, dit Marco Valdo M.I., donc, ces deux dissidents, tous deux déjà ostracisés dans leur propre pays, se retrouvent dans le jardin, au mois de juin 1989 ou celui de l’année suivante – c’est le temps des cerises, c’est le moment d’aller siffler – merle moqueur – entre les branches. Il y a une pie dans le cerisier, j’entends la pie qui chante, il y a une fille dans le cerisier, j’entends la fille chanter. C’est donc un moment symbolique que ce temps des cerises et Wolf Biermann trace un tableau philosophico-poétique de ces retrouvailles de deux amis.

 

Il y a, énonce Lucien l’âne, du Diogène dans ce réfugié politique perché – comme un baron d’Italo Calvino – dans ses branches. Et puis, cette fille (de ton invention) dans le cerisier me fait penser à la demoiselle sur une balançoire, dont « on pouvait voir ses jambes blanches sous son jupon noir ».

 

 

 

Pour en finir quand même, dit Marco Valdo M.I., sinon il n’y aura plus assez de temps pour la chanson, je voudrais attirer l’attention sur la confrontation avec les corbeaux et aussi à ce crépuscule du rouge qu’ils annoncent :

 

« Soudain, le ciel devint noir

De milliers de funèbres oiseaux noirs ;

La nuée s’envola dans la nuit éternelle

Et dans la bruine, croassa toujours plus haut.

(Devant tout le Politburo) :

« Au rouge crépuscule –

Au rouge crépuscule,

Au moment du rouge crépuscule. »

 

Oui, dit Lucien l’âne, j’y prendrai garde. Cela dit, tissons le linceul de ce vieux monde aux couleurs changeantes, aux irisations multiples, chatoyant, parsemé de fleurs, de fruits, de feuilles et de branches et pourtant, cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


 


 

Encore à moitié endormi ce matin,

J’ai fait un beau rêve enfantin.

Vivant, Robert, mon vieil ami,

Au milieu des cerises était assis ;

À Grünheide sur Möllensee dans le jardin,

Robert Havemann était assis ;

Assis sur une branche, joyeux, il cria :

Viens, poète vers moi !

Viens, poète !

Viens, poète !

Viens, poète !

Poète, approche-toi de moi.


 

Il me jetait des cerises de là-haut

Et me crachait des noyaux

Bienvenue, Wolf et il riait de moi,

Tu es de retour chez toi

Pas revenu en enfant perdu,

Pas devenu docile et brave gars,

Pas revenu en chien battu

Et pas non plus,

Et pas non plus,

Et pas non plus

Comme un mouton noir,

Comme un mouton noir.


 

Wolf, sors tes cordes chantantes et chante

Le paradis terrestre ;

Oui, chante-moi l’enfer sur terre

Et chante-moi Le Temps des Cerises.

J’ai sorti de ma guitare

La chanson de la Commune.

L’air si aigre, si doux,

L’air si aigre, si doux,

Je chantais en allemand, je chantais en français,

Je fredonnais heureux comme jamais.


 

Je chantai mes anciennes, mes nouvelles,

Je chantai mes chansons les plus belles.

Soudain, le ciel devint noir

De milliers de funèbres oiseaux noirs ;

La nuée s’envola dans la nuit éternelle

Et dans la bruine, croassa toujours plus haut.

(Devant tout le Politburo) :

« Au rouge crépuscule –

Au rouge crépuscule,

Au moment du rouge crépuscule. »


 

En vol, contre le vent, croassaient

À l’est, les corbeaux ensorcelés.

Maintenant, ils nous ont tous pardonnés

Ce qu’ils nous ont fait

Dans mon mi-éveil, ce matin tôt

J’ai fait le plus fou des rêves, le rêve le plus beau

Et Robert riait comme quand il était vivant

Là-haut, là-haut,

Là-haut, là-haut,

Là-haut, là-haut,

Dans le cerisier,

Dans le cerisier.

 

 

BALLADE DES BONNES CERISES
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Published by Marco Valdo M.I.
23 décembre 2020 3 23 /12 /décembre /2020 20:24

 

Ô TOI, MON AUTRICHE !

 

Version française – Ô TOI, MON AUTRICHE ! – Marco Valdo M.I. – 2020

avec l’aide de la traduction italienne de Riccardo Venturi – OH TU, AUSTRIA MIA !

d’une

Chanson allemande – Oh, du mein Österreich ! – Erich Kästner1946

 

Texte d’Erich Kästner, pour cabaret littéraire à Die Schaubude à Munich (1945-48).

Sur la mélodie de la marche du même nom de Franz von Suppé (1849).

Texte in Geschichte und Poetik des österreichischen Kabaretts

 

 

             

 

Du haut de la Dachstein à Vienne : troulala hiho !

 

 

À la fin de la guerre, Erich Kästner s’installe à Munich et se consacre à la mise en scène de spectacles musicaux grâce auxquels il parvient à illustrer et à stigmatiser avec férocité tous les maux de cette sombre période de l’après-guerre. Marschlied 1945 et Lied vom Warten remontent à ces années-là, où l’Allemagne était une immense salle d’attente remplie de millions de femmes incertaines du sort de leurs hommes… Mais les chants accusateurs et les blagues vitrioliques atteignent leur apogée dans le « Deutsches Ringelspiel », le « German Round Trip », une production de l’automne 1946, qui comprend Die Jugend hat das Wort, une attaque véhémente contre la génération des pères, responsables de l’arrivée au pouvoir de Hitler, et ce « Oh, du mein Österreich ! » , couplet non moins impitoyable dédié par Kästner à l’Autriche, qui s’est déclarée victime innocente du nazisme, écartant complètement l’enthousiasme avec lequel elle avait accueilli l’Anschluss en 38. […] C’est ainsi que le numéro est apparu au public du Schaubude : sur scène, quatre jeunes hommes en short de cuir, avec des moustaches à la Hitler, récitent des vers de Kästner avec en fond une valse. À la fin de chaque couplet, ils yodèlent et dansent le Schuhplattler typiquement tyrolien. Ils répètent que le Danube n’a jamais été brun, mais seulement bleu, qu’il ne faut pas croire ce que disent les journaux et que voter pour Hitler n’était qu’une « petite blague ». Ce qui compte vraiment, c’est « le caractère viennois en or », dit la renversante finale.

 

 

La désormais mythique « Ronde allemande » d’Erich Kästner est une sorte de cercle infernal où défilent un à un tous les personnages les plus louches de l’après-guerre. Véritable danse macabre, elle présentait une scénographie complexe et grandiose ; le Schaubude, en effet, grâce au travail d’équipe d’artistes ingénieux et innovants, avait changé le schéma traditionnel du Kabarett, basé sur la succession de numéros uniques, au profit d’un spectacle basé sur un seul grand thème dont les chansons, interprétées par différents personnages, faisaient partie intégrante.

La « Ronde allemande » était l’exemple le plus frappant de cette nouvelle tendance dans le grand Kabarett de Munich.

 

Extrait de « Kabarett ! : Satire, politique et culture allemande sur scène de 1901 à 1967 », par Paola Sorge, Elliot, 2014.

 

Commentaire de la traduction italienne de Riccardo Venturi.

 

La marche patriotique « O du, mein Österreich ! » est une des compositions les plus célèbres du Dalmate Francesco Suppé Demelli, né à Split en 1819, qui faisait alors partie de l’Empire des Habsbourg. Et le musicien était fidèle à l’empire des Habsbourg, au point de changer son nom en « Franz von Suppé », avec lequel il est entré dans l’histoire. Vous connaissez tous la marche pour l’avoir entendue plus ou moins chaque 1er janvier lors du concert du Nouvel An diffusé en Eurovision :

 

Le fait qu’Eric Kästner l’ait utilisé à nouveau pour cette pièce légèrement satirique sur l’Autriche et son attitude d’avant et d’après-guerre est une moquerie qui revient à l’actualité : dans l’Autriche d’aujourd’hui (et pas seulement en Autriche, cela va de soi…) certaines choses ne semblent jamais s’être démodées. Il y a quelques jours à peine, deux touristes britanniques qui s’étaient arrêtés dans un Gasthof soigné comme celui peint par Kästner ici, ont été accueillis à l’entrée par une belle photo du grand-père du propriétaire en uniforme SS avec une croix gammée sur le mur (« un souvenir de famille », a déclaré le propriétaire en question). Le natif de Dresde Kästner s’est méchamment mis dans l’ambiance, en écrivant cette pièce intentionnellement pleine d’idiotismes autrichiens (pour laquelle j’ai sorti l’Österreichisch für Anfänger, le petit dictionnaire autrichien qu’un jeune homme de 21 ans en camping-car a acheté à Vienne en 1984). Il s’ensuit que la traduction est parsemée de notes : sans elles, il serait assez difficile de comprendre pleinement le texte.

 

 

 

Nous sommes les Ostmärker, nous, les Autrichiens, pardon.

Mes respects, Monsieur le Baron.

Les clochards du Reich allemand, renvoyés à la maison.

Nous sommes une glorieuse nation.

 

Il ne faut pas croire les journaux, madame,

Je vous baise la main, ma chère dame !

Il n’a jamais été brun le Danube bleu,

Notre Danube bleu a toujours été bleu.

 

On s’est dit quand ça a commencé :

« Par ce falot, on ne se laissera pas berner ! »

Jamais dans le Reich, on n’a voulu entrer,

On voulait juste demeurer plus riches dans notre foyer.

 

Parfois, il semblait en être autrement, même si

Nous avons toujours été contre lui !

Il a peint tout en brun les Prussiens,

Mais chez nous, il n’est arrivé à rien.

 

Comment peut-on croire l’un d’entre nous, devenant

(anxieux) Membre du Parti ?

Membre du Parti ?

Nous n’agissons pas si légèrement.

 

Du haut de la Dachstein à Vienne : troulala hiho !

Contre lui, nous avons toujours été !

Et pourtant, que nous a pas conté

Le conteur d’histoires de Braunau.

 

Le seul faux pas que nous ayons commis,

Ce fut de voter deux fois pour lui.

Ce n’était pas un facteur décisif,

C’était plutôt un canular inoffensif

 

L’important, c’est notre caractère fort

Et de Vienne, le cœur d’or !

 

Oui, oui, nous Ostmärkers, pardon, nous Autrichiens.

Bonsoir, mon colonel !

Nous allons valser, – plus jamais de rapin !

Nous créons du vrai culturel !

 

La loyauté inconditionnelle est un héritage sacré.

Votre esclave Mademoiselle, mignonne enfant !

Nous sommes un peuple montagnard très accueillant.

Dans nos Alpes, il n’y a pas de péché.

 

Comme nous avons à nouveau la paix,

Vous êtes bienvenus dans notre hôtel !

Bonsoir, Monsieur ! Bonsoir, Mademoiselle !

Monsieur le Baron, mes respects !

 

Innsbruck, St. Johann, Salzbourg,

La saison recommence !

La neige brille. Les lacs sont immenses.

Quand vous en aurez envie, faites le détour !

 

Pour les voyageurs d’un passeport allemand munis,

(anxieux) C’est in…

C’est in…

C’est tout à fait interdit !

 

Notre chancelier l’a ordonné :  troulala hiho !

L’Allemagne ne peut pas se redresser !

Maintenant, les barrières tombent à nouveau.

Nos spectacles sont déjà commandés.

Bienvenue aux dollars, aux francs,

Aux livres du monde du monde entier !

 

L’argent est un facteur important

Même si le cœur n’a pas parlé.

L’essentiel, c’est le caractère,

Et le nôtre, on ne peut pas le contrefaire !

Ô TOI, MON AUTRICHE !
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Published by Marco Valdo M.I.
22 décembre 2020 2 22 /12 /décembre /2020 17:13
LES PETITS HÉROS FATIGUÉS

 

Version française – LES PETITS HÉROS FATIGUÉS – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Piccoli eroi stanchi PeggiorItalia – 2020

 

 


 

 

 

Dialogue maïeutique

 

Oh, dit Lucien l’âne, « les petits héros sont fatigués », ça me rappelle quelque chose, on dirait le titre d’un film.

 

En effet, Lucien l’âne mon ami, j’avais eu la même sensation quand j’ai vu le titre en italien « Piccoli eroi stanchi », mais ce peut être seulement une coïncidence ou alors, une réminiscence inconsciente. Le film « Les héros sont fatigués » est sorti depuis longtemps de l’affiche, car il date quand même de 1954. Cependant, on ne sait jamais. Cela dit, la chanson n’a rien à voir avec ce film où d’anciens aviateurs guerriers ennemis trafiquent ensemble du diamant et se racontent leurs souvenirs. Rien de rien qu’elle a à voir.

 

Je le pensais aussi, Marco Valdo M.I. mon ami, et je me demandais évidemment, du coup, de quoi ou de qui il est question dans cette chanson. Dis-le-moi, ça m’intéresse. Toutefois, avant que tu me répondes, je voudrais te remémorer tes chansons où il est question de héros, question de montrer que j’apprécie ce que tu fais. Il y a La Loi des Héros, Nicolas le civil et le Héros militaire et la Bravade héroïque.

 

Eh bien, voilà, dit Marco Valdo M.I., ces « petits héros fatigués », ce sont les enfants qui sont contraints de travailler pour assurer leur subsistance et souvent aussi, celle de la famille ; certes, certains d’entre eux sont moins écrasés, car ils ne travaillent pas ou qu’ils sont encore trop jeunes pour passer déjà sous le joug et que leur rendement s’en ressentirait. Par contre, ils s’en vont tous tout autant à la dérive. Ces enfants-là sont à de très rares exceptions près, condamnés à une vie peu enviable.

 

Je sais cela, dit Lucien l’âne, je l’ai même souvent rencontré. Et puis, il y a ceux qui sont encore moins bien lotis, ceux qui survivent en fouillant les poubelles ou qui vivent carrément sur les décharges d’immondices.

 

Tels sont les « héros » de cette chanson, reprend Marco Valdo M.I., tandis qu’à l’opposé, on y trouve des anti-héros, c’est l’avant-garde de l’humanité consommatrice, les « repus ». Loin de moi, l’idée qu’il faudrait aller à contre-courant, qu’il faudrait régresser ; je trouve satisfaisant le fait que chacun ait un logement, un coin où dormir, de quoi s’habiller, manger, apprendre, se laver, que sais-je, se distraire, mais tout est question de mesure et d’équité. À mon sens, c’est là que réside le nœud de la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre que les riches font aux pauvres pour accaparer les richesses, pour détenir le monde et les choses, pour se vanter de l’avoir, pour jouir en exclusivité, et ainsi de suite, on y mettrait une encyclopédie.

 

Oui, dit Lucien l’âne, trop, c’est trop ; l’ennui, la souffrance, l’épuisement, la maladie des uns sont les ingrédients nécessaires du confort de la frivolité des autres et à ce jeu de domination et de plastronnage, ces « petits héros fatigués » sont des victimes directes. On a supprimé l’esclavage chez les humains, dit-on, mais c’est faux. Ces petits héros fatigués ont tout de l’esclave, du serf ou de l’ilote ; on les traite comme des sous-hommes.

 

En effet, Lucien l’âne mon ami, pourtant, ils entrent en ligne de compte, ils sont inclus dans l’équation qui régit ce monde : « Combien faut-il de pauvres pour faire un riche ? ».

 

Oui, dit Lucien l’âne, l’affaire est claire : du point de vue du système, il faut maintenir une inégalité, car comment être riche, si tout le monde est riche. Les pauvres et toutes les misères sont indispensables au système, ils sont les sources et le réservoir de la richesse. Alors quand j’entends le mot richesse, j’entends une musique funèbre et détestable ; celle qui accompagne de son absence cette grande dépression humaine qu’est la vie superflue. Je songe alors que des hommes ont maltraité les ânes comme ils maltraitent ces « héros fatigués », petits et grands. Il faudrait quand même un jour arriver à faire appliquer La Déclaration universelle des Droits de l’Âne. Allons, en avant, y pas d’avance, il faut rire et vivre quand même et tisser le linceul de ce vieux monde riche, poussif, étouffé, repu et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 


 


 

Ils vivent mal, pire que vous imaginez,

Une vie sans jeux, qui passe à travailler,

Sans avenir, désireux de partir,

La maladie est leur seul devenir.


 

Les petits héros fatigués,

On ne les voit pas, ils vont par milliers.

Les petits héros sont mis sur le côté,

Ils sont toujours humiliés.


 

Dans leur immeuble de banlieue, sans malice,

Ils ont appris à fuir la police,

Aux aléas d’internet, leurs parents les ont laissés

Entre violence et combats, mais on ne peut vivre ainsi.

À l’école, on leur colle une étiquette, on dit

Qu’ils portent malheur, qu’ils ne sont pas intégrés.

Inadaptés, survivants d’une nouvelle guerre,

Ils se relèvent, mais retombent à terre.


 

Les petits héros fatigués…


 

Vous préférez ne pas les voir ; il y en a tant,

Vous êtes pressé, vous n’avez pas le temps.

Ils sont nombreux, qu’est-ce que ça peut faire ?

Tant qu’ils ne se rebellent pas et savent se taire.

S’ils sont malades, personne ne le remarque,

La fumée toute la journée les suffoque,

À l’âge où les enfants pensent à jouer.

Elle me dégoûte de plus en plus, cette société.


 

Les petits héros fatigués…


 

Vous les exploitez, mais vous vous le cachez.

Quand un nouveau vêtement, vous achetez,

Quand de modèle de portable, vous changez,

D’enfants lointains, la souffrance vous ignorez.


 

Les petits héros fatigués…


 

Ils vivent dans la rue, des vies délabrées

Dans les banlieues dégradées et délaissées.

Condamnés sans avoir commis de délits,

Enfermés comme des bandits.

Certains rêvent toujours de liberté,

D’autres fuient ou se laissent aller

Et si le sourire devient difficultueux,

Certains rêvent toujours d’un avenir fabuleux.


 

Les petits héros fatigués

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Published by Marco Valdo M.I.
20 décembre 2020 7 20 /12 /décembre /2020 20:22

BALLADE DE L’ICARE PRUSSIEN

 

Version française – BALLADE DE L’ICARE PRUSSIEN – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson allemande – Ballade vom preußischen IkarusWolf Biermann1978

 

 

 

 

 

 

 

 

ICARE ET DÉDALE

Félix Labisse – 1942

 

 

 

 


 

Dialogue maïeutique

 

Ach, Lucien l’âne mon ami, kennst du das Land wo der Adler am Geländer steh ?, ou quelque chose comme ça ; ce qui peut se traduire par « Connais-tu le pays où l’aigle s’accroche à la balustrade » ?

 

Qu’est-ce que tu racontes, dit Lucien l’âne, un peu ébahi ? Aigle, balustrade, pays ? Je me demande bien lequel de pays ; c’est peut-être un pays qui n’existe pas.

 

D’une certaine façon, Lucien l’âne mon ami, tu as raison. C’est un pays qui – aujourd’hui – n’existe pas ou plus exactement, n’existe plus. Ça arrive souvent d’ailleurs que des pays qui disparaissent ou se dissolvent ou à l’inverse, que d’autres apparaissent, comme quoi les pays, ce sont des êtres vivants. Bref, en ce qui concerne l’aigle et la balustrade, il faut décomposer. L’aigle, en l’occurrence dans la chanson, il n’y en a qu’un, c’est l’aigle prussien, animal redoutable s’il en fut, et de fait, il est accroché à la balustrade du pont du quai des Weiden (saules) – le Weidendammerbrücke et ce depuis la construction du pont en 1895. Comme tu le sais, l’accroche – je veux dire ma première question, était une allusion à Erich Kästner, qui demandait : « Kennst du das Land, wo die Kanonen blühn ? » (Connais-tu le pays où les canons fleurissent ?) et à l’écrivain allemand du siècle précédent Johann Wolfgang Goethe, qui rêvait de citrons et demandait : « Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn ? ».

 

D’accord, répond Lucien l’âne, je comprends ce que vient faire l’aigle ici, mais je ne vois toujours pas ce que vient y faire Icare et moins encore, un Icare prussien, car moi, Icare, son histoire est dans ma mémoire depuis très longtemps.

 

Soit, répond Marco Valdo M.I., je reprends mon histoire. Sur le pont, il y a une rambarde, autre mot pour balustrade ; sur cette balustrade est fixé un aigle en fonte et même plusieurs, comme je t’ai déjà expliqué, le pont est bordé de deux balustrades – une de chaque côté, chacune ornée d’aigles d’acier. Ils symbolisent l’Empire allemand, dominé par le roi de Prusse. Voilà pour le caractère prussien de l’aigle. Il me reste à situer Icare dans cette histoire. Comme tu le sais, de ça je suis sûr, Icare est célèbre pour son envol vers le soleil de la liberté et surtout, pour sa chute consécutive, quand la cire qui tenait ses plumes (sans doute, d’aigle) a fondu et que ses ailes n’ont plus fonctionné. Voilà pour Icare et la parabole qu’il incarne. Pour le reste, à l’évidence, un aigle en fonte ne agiter ses ailes et ne peut s’envoler ; il en est tout effondré et se tient la tête penchée au-dessus de la Sprée.

 

Au fait, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’est-ce que la Sprée ? Il faudrait sans doute le préciser.

 

La Sprée, Lucien l’âne mon ami, est cette rivière-canal-fleuve sur les bords de laquelle se trouve Berlin et que le Weidendammerbrücke traverse.

 

Et puis après, dit Lucien l’âne, je ne vois toujours pas où nous emmène cette chanson.

 

Après ?, dit Marco Valdo M.I., il faut te souvenir que Berlin, en 1978 – quand fut créée la chanson, était divisée – comme du reste, l’Allemagne, entre un Est et un Ouest politiques et que la Sprée était une des lignes qui marquait cette division. Le fait est aussi qu’en 1978, l’auteur de la chanson Wolf Bierman vivait à Berlin – Est et qu’il avait écrit de nombreuses chansons contestant le régime en place et notamment, si tu te souviens qu’on en avait dialogué, la Ballade auf den Dichter François Villon, écrite et chantée dix ans auparavant en 1968, dont la version française s’intitule Ballade du Poète François Villon. Le fait est aussi qu’il envisage dans la chanson de fuir de « demi-pays », mais que « l’oiseau immonde » le retient de ses serres. Comme il est apparu plus tard encore, Wolf Bierman, alias l’Icarus prussien, a finalement pu s’en aller – à pied, dans l’autre « demi-pays ».

 

Merci, merci beaucoup, Marco Valdo M.I. mon ami, mais arrête-toi là, j’en sais assez et si tu continues, j’en saurai trop et il n’y aura plus de plaisir à découvrir la chanson – du moins, sa version en français. Maintenant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde malade, transi, tremblant et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

Poème à Félix Labisse, peintre décorateur de théâtre

 

Un tableau de Félix Labisse, Icare et Dédale – en train d’inventer l’aviation – illustre la version française Ballade de l’Icare prussien de Wolf Biermann.

À ce propos, il est amusant de retrouver de petit poème que Boris Vian avait écrit et dit pour saluer son ami Félix Labisse :

https://www.youtube.com/watch?v=wERKvysuHG0


 

Ainsi Parlait Lucien Lane

 

 


 


 

Là, où la Friedrichstraße à l’accoutumée

Fait son pas arqué par-dessus l’eau,

Là pend au-dessus de la Sprée

Le Weidendammerbrücke. Beau.

L’aigle de Prusse est à la parade

Et moi, je suis devant la balustrade


 

L’Icare prussien se tient là

Avec ses ailes grises en fonte ;

Ses bras inertes lui font honte,

Il ne s’envole pas, il ne tombe pas,

Il n’agite pas ses ailes et se tient la tête penchée

Sur la balustrade au-dessus de la Sprée.


 

Peu pressé, le barbelé pénètre en profondeur

Dans la poitrine, dans les jambes, sous la peau,

Dans les cellules grises, dans le cerveau.

Ceinturé de ce métal oppresseur,

Notre pays est une île tout du long

Cernée de vagues de plomb.


 

L’Icare prussien se tient là

Avec ses ailes grises en fonte ;

Ses bras inertes lui font honte,

Il ne s’envole pas, il ne tombe pas,

Il n’agite pas ses ailes et se tient la tête penchée

Sur la balustrade au-dessus de la Sprée.


 

Et si vous voulez vous en aller, allez-y.

J’ai vu beaucoup d’hommes se tailler

De notre demi-pays.

Moi, je reste jusqu’à ce que j’aie froid.

Cet oiseau immonde me serre déjà

Et m’entraîne et me jette bas.


 

Alors, je me tiens là, Icare prussien,

Avec mes ailes grises en fonte,

Mes bras inertes me font honte,

Je m’envole et je tombe soudain,

J’agite l’air, je m’effondre la tête posée

Sur la balustrade au-dessus de la Sprée.


 

BALLADE DE L’ICARE PRUSSIEN
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Published by Marco Valdo M.I.
18 décembre 2020 5 18 /12 /décembre /2020 11:51

 

HONNEUR AUX DÉSERTEURS

 

Version française – HONNEUR AUX DÉSERTEURS – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Onore ai disertoriPeggiorItalia – 2020

 


 

 

LE DÉSERTEUR

Octav Băncilă - 1906

 

 

Dialogue Maïeutique

 

Je résumerais ainsi la chanson : « Mais finalement, le vrai sage est le déserteur. Le héros inconnu des grands monuments », dit Marco Valdo M.I.

 

Pour ce qui est de la sagesse, dit Lucien l’âne, c’est absolument vrai du point de vue statistique. Il y a beaucoup plus de soldats morts à la guerre que de déserteurs fusillés. Et même, on pourrait en faire une sorte de loi – au sens scientifique du terme, quelque chose comme : plus il y a de déserteurs vivants, moins il y a de soldats morts. C’est mathématique et imparable ; quand il n’y aura plus que des déserteurs, il n’y aura plus de soldats morts. C’était la logique de Pottier :

 

« Les rois nous saoulaient de fumées

Paix entre nous, guerre aux tyrans

Appliquons la grève aux armées

Crosse en l’air, et rompons les rangs

S’ils s’obstinent, ces cannibales

À faire de nous des héros

Ils sauront bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux. »

 

et de l’Internationale.

 

Ça, dit Marco Valdo M.I., c’est vrai pour le grand nombre, en gros. Mais pour le déserteur individuel, le pauvre pékin, « Le héros inconnu des grands monuments », celui qui ne veut rien grand-chose d’autre que de ne pas être tenu de tuer son vis-à-vis ou un parfait inconnu croisé au coin d’un bois. Pour lui, les choses sont plus complexes, on le met hors la loi, si on l’attrape, dans le meilleur des cas, on le renvoie au feu et souvent même, on le fusille – pour l’exemple.

 

Pour l’exemple, dit Lucien l’âne. Pour quel exemple ? Pour montrer ce que ça fait de tuer quelqu’un, pour montrer de près comment meurt un homme, pour faire voir ce que c’est que tirer sur un homme désarmé, humilié ? Décidément, l’humanité a des côtés bien inquiétants.

 

Donc, dit Marco Valdo M.I., supposons que le déserteur ainsi mis hors la loi et devenu de facto (et même, de jure) un ennemi dans son propre monde, il lui faut fuir, se cacher ; alors, tout va dépendre de la durée. La fuite, c’est comme l’éternité, à la fin, ça devient long et dur à vivre. Plus ça va, moins ça va.

 

Eh oui, dit Lucien l’âne, il suffit de se remémorer la longue fuite de Matthias Kuře, l’Arlequin amoureux, né déserteur à Marengo (1800), repris, réincorporé, renvoyé au champ de bataille et déserteur à nouveau à Austerlitz (1815), où l’on a fait encore une fois de la compote d’hommes :

 

« Par rangs entiers dégringolent les soldats.

Expert, le fantassin Matěj ne reste pas ;

Il noie sa pétoire, jette son barda

Et conclut : « Finissez sans moi !

 

Je me tire ailleurs, chère Cacanie ;

Bien le bonsoir, très chère Patrie. »

Enfin assez loin, il ralentit.

Sous une meule, il s’enfouit. »

 

Quand même, continue Marco Valdo M.I., il a fallu plus de cinquante chansons pour raconter cette terrifiante escapade de l’Arlequin amoureux.

 

C’était même tout un opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979, dit Lucien l’âne. Il est d’ailleurs assez réjouissant que l’Autriche ait installé à Vienne un monument aux déserteurs de la Wehrmacht ; c’est un bon début ; quoique le plus beau monument à la désertion, c’est la paix pure et simple, tranquille entre tous les êtres.

 

Tout ça est vrai, dit Marco Valdo M.I., le métier de déserteur est fort pénible, mais il faut bien dire qu’ici et maintenant (hic et nunc), on n’a plus trop l’occasion de déserter. Ici et maintenant, j’insiste, car ici et maintenant, il n’y a plus de guerre du genre militaire.

 

Pourvu que ça dure !, dit Lucien l’âne, et que cette curieuse nouveauté se répande au reste du monde. En attendant, tissons le linceul de ce vieux monde quand même toujours belliqueux, mais ici et maintenant, marchand d’armes, profiteur, exportateur, hypocrite et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Pour beaucoup, ce sont des lâches, car ils se sont cachés ;

Car à une sale guerre, ils se sont opposés,

Car tuer un autre, ils ne le voulaient pas.

Alors, ils n’auront jamais de médailles,

Car n’ont pris part à aucune sanglante bataille.

Pourtant, qui a une arme à la main ne raisonne pas.

 

Honneur aux déserteurs, ce sont de braves gars.

Parmi tant de soldats, les seuls à avoir de la pitié.

Honneur aux déserteurs qui n’ont jamais tué

Qui, comme eux, jamais n’a voulu être soldat.

 

Ils n’ont pas servi la patrie, pas servi l’État,

Qui était pris, était torturé ; ils ne portaient pas

D’uniforme, c’étaient de fiers rebelles,

Comme tous les exaltés, ils étaient réticents,

Leur jeunesse se passa à fuir comme des criminels,

Car ils ne voulaient obéir ni aux généraux, ni aux commandants.

 

Honneur aux déserteurs, les seuls hommes sains,

Sans armes ni uniformes, les seuls êtres humains,

Honneur à tous les anti-militaristes,

Car ce sont les vrais pacifistes.

 

Avec un fusil, certains se croient supérieurs,

Mais finalement, le vrai sage est le déserteur.

Le monde n’a pas de frontières et pas de drapeaux,

Pour les renégats, les prisons sont toujours prêtes.

Pourtant, ils refusent ce mal qui les dégoûte ;

Ils ont choisi le bon côté, l’engagement le plus beau,

 

Honneur aux déserteurs, rebelles désobéissants,

Car enfin, tous ceux-là qui ont refusé

De se battre sont des soldats oubliés,

Les héros inconnus des grands monuments.

HONNEUR AUX DÉSERTEURS
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Published by Marco Valdo M.I.
16 décembre 2020 3 16 /12 /décembre /2020 12:03

 

LE RAT QUI MANGEAIT

 

LES CHATS

 

 

Version française - LE RAT QUI MANGEAIT LES CHATS – Marco Valdo M.I. - 2020

Chanson italienne - Il topo che mangiava i gatti - Gianluca Lalli - 2020

 

 


 

 


 

IL TOPO CHE MANGIAVA I GATTI est une chanson librement tirée d’une fable de Gianni Rodari contenue dans l’œuvre « Favole al telefono » de 1962. La chanson fait partie de l’album de Gianluca Lalli « LE FAVOLE AL TELEFONO » de 2020.


 

 

Dans une bibliothèque vivait un vieux rat

Qui lisait, lisait, lisait, lisait, lisait, des tas

D’histoires, de livres, de savants ouvrages.

Sans répit, il avalait les personnages

 

Et dévorait des chiens aux blanches dents,

Et des rhinocéros de trois empans,

Des princesses, des frères et des éléphants.

Sa soif de connaissances surprenait tous les gens.

 

À ses cousins incultes, il racontait et se vantait

Que d’un seul coup, un chat il dévorait,

Des chats d’encre et de papier ;

Des chats qu’à tout prix, il fallait déchirer.

 

Mais un mauvais jour, sa tranquillité fut ébranlée, car

Un chat noir en chair et en os surgit de nulle part

Et dit — Mon cher petit rat, j’apprécie la littérature,

Mais tu n’as jamais vu un chat, qu’en peinture !

 

Ainsi disait le chat qui sous ses moustaches riait,

Tandis que le rat pensait à la façon de se libérer

Et contait une histoire qu’il lui fallait improviser :

Une histoire que le chat attentivement écoutait.

 

C’était celle d’une araignée qui luttait contre le vent,

Il la racontait lentement pour gagner du temps,

Une histoire d’araignées, une belle histoire,

Tirée d’un livre d’école trouvé dans une armoire.

 

Le rat connaissait peu les vrais félins,

Mais il profita d’une hésitation du chat

Et pour ne pas devenir un misérable repas,

Il s’enfuit d’un bond rapide et soudain.

 

La fable d’aujourd’hui nous enseigne qu’étudier

Ouvre l’esprit et dans l’inconnu, nous fait alors voyager,

Et nous fait découvrir tant de mondes nouveaux,

Et parfois, peut sauver la peau,

Et parfois peut… sauver… la peau !

 

 

LE RAT QUI MANGEAIT LES CHATS
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Published by Marco Valdo M.I.