Chanson — Texte : Anna Hanna Friesová — 1942-45 / Musique : Milli Janatková
Thieves of Dreams/ Zloději snů. Songs of Theresienstadt’s Secret Poetess — Voleurs de Rêves. Chansons d’une poétesse secrète de Theresienstadt.
LE PRINTEMPS
Alfons Mucha — 1898
Pour son album " Thieves of Dreams " — « VOLEURS DE RÊVES », enregistré très soigneusement avec dix-huit musiciens, Lenka Lichtenberg (voix, piano, synthé) s’est plongée dans la Tchécoslovaquie et l’histoire de sa famille en déportation : « Lorsque ma mère Jana Renée e Friesova est décédée en 2016, je rangeais son bureau à Prague et j’ai découvert deux petits carnets. Ils étaient remplis de poèmes que ma grand-mère, Anna Hana Friesova (1901-1987), avait écrits dans le camp de concentration de Theresienstadt. […] Devant mes yeux, il y avait les pages déchirées avec les rêves écrits à la main par ma grand-mère et ses cauchemars dans le camp, des histoires qu’elle ne m’a jamais racontées. Je me suis donc embarquée dans une recherche visant à partager ses écrits de « l’enfer sur terre », pour citer Primo Levi, et à faire revivre sa voix de la meilleure façon qui soit : en musique, dans un projet couvrant huit décennies et trois générations ». Les seize titres témoignent d’une sensibilité mélodique particulière et ont été composés et arrangés par Lenka Lichtenberg elle-même, parfois en collaboration avec d’autres musiciens, et sont en mesure de restituer à l’auditeur une texture affective dense qui invite à se plonger dans le livret bien édité, qui contient à la fois la copie des pages écrites à la main par Anna Hana Friesova et la traduction des textes en anglais, précédée d’une introduction autobiographique touchante et documentée écrite par Lenka Lichtenberg et intitulée Thieves of Dreams — « VOLEURS DE RÊVES ».
Chanson française — La Philosophie spéciale — Marco Valdo M.I. — 2022
LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.
Soit, dit Lucien l’âne, voici à nouveau que rejaillit ton obsession pour la philosophie au jour le jour, pour cette philosophie mise en chanson. Quelle idée, mettre la philosophie en chanson !
D’abord, dit Marco Valdo M.I., c’est une manière de la chanson depuis fort longtemps et nombreux sont les exemples ; de toute façon, qu’on le veuille ou non, dès qu’on s’exprime — chanson ou non — sur le monde comme il est, sur le monde comme il va, on y répand de la philosophie. Et puis voilà, cette chanson-ci s’intitule « La Philosophie spéciale » ; sur le sens de ce titre, on reviendra. Avant ça, j’aimerais dire quelques mots de la philosophie en chanson. Donc, je précise que ce n’est pas là mon projet de départ ; ce qui s’est passé, c’est que la philosophie — allez savoir pourquoi — s’est glissée dans mes chansons. Certes, il y a notre dialogue qui se dit lui-même maïeutique et qui, je le concède, a un furieux penchant à philosopher à la manière antique ; il est parent de ce dialogue ancien qu’on appelle le dialogue socratique.
Est-ce à dire,demande Lucien l’âne, que tu te pends pour Socrate ou que nous en sommes revenus à cette lointaine époque dont je te rappelle que je l’ai parcourue en long et en large à la recherche des roses de la vie. À ce sujet, je peux dire que la philosophie encore adolescente à l’époque était plus agréable à fréquenter que la vieille dame de ces derniers temps.
Tout ça est certainement vrai, Lucien l’âne mon ami, mais on pourra y revenir plus tard, car il faut que je remette le titre de cette chanson dans son contexte. Qu’est-ce que c’est que cette « philosophie spéciale » ? Que raconte-t-elle ? En fait de philosophie spéciale, on en entend des échos tout au long du voyage en Zinovie. En quelque sorte, on baigne dedans. C’est elle qui se montre à la manœuvre tout au long de notre séjour en Zinovie. C’est elle que les guides successifs et leurs affidés enfoncent systématiquement dans le cerveau des Zinoviens. C’est cette
« géniale philosophie,
Sa profonde et solide idéologie,
Sa conviction sociale-nationale,
Qui fait de la Zinovie, une nation spéciale. »
Voilà pourquoi la philosophie spéciale ; la première strophe y est entièrement consacrée.
Bien, déclare Lucien l’âne, mais il reste encore trois autres strophes et j’aimerais en savoir plus.
Alors, reprend Marco Valdo M.I., j’y viens très systématiquement.
La seconde strophe indique la cohésion du Guide et d’une partie des Zinoviens et l’ambition folle qui les emmène.
« Les Zinoviens typiques sont bien décidés
À imposer l’avenir radieux à l’humanité. »
La troisième détaille les conséquences de ce délire impérial et s’interroge sur sa pertinence et son funeste destin :
« Qu’avons-nous à faire de ce combat douteux ?
Qui a besoin de ce prestige miteux ?
Qui va payer tout ce cinéma ?
En plus, c’est peine perdue déjà,
On se fera jeter aussi de là-bas. »
La quatrième strophe fait elle aussi écho à la façon dont le locuteur (et d’autres) arrive à se déprendre de l’emprise de la philosophie spéciale — c’est-à-dire également des discours du Guide et aussi à son souhait de s’échapper (au moins individuellement) de cette enveloppe anesthésiante de l’homme nouveau, de ce carcan de vie qu’est la vie du citoyen en Zinovie.
« Pour rester humain, on se retire en marge,
On ne lutte pas pour les quatre sous des biens,
On ne profite d’aucune charge,
On se contente de la vie comme elle vient,
…
Un jour, je m’en irai très loin.
Prudent, je me tais, en attendant. »
je connais ça, dit Lucien l’âne ; dans des systèmes de ce genre, la désertion s’impose. Il s’agit de se déconnecter du « nous », d’échapper aux « Eux » et si possible, de trouver l’échappatoire pour « Un jour, s’en aller très loin ». Il n’y a pas d’autre solution. C’est un rêve actif, le mode de vie de surviedu Zinovien qui se débarrasse de la philosophie spéciale et qui accède à la conscience du monde. Quant à nous, encore et encore, tissons le linceul de ce vieux monde absurde, aberrant, abominable, assassin, aride, avare, arriviste, ambitieux, arrogant, avide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
En Zinovie, l’homme s’est élevé en marchant -
Comme font les oiseaux — sur deux pattes.
En Zinovie, un grandiose monument
Impérissablestupéfie et fait date.
Les congrès, les assemblées, les réunions,
Les journaux, les radios, la télévision
Répercutent des millions de fois ses discours.
En Zinovie, le Guide montre la voie sans détour,
Sa géniale philosophie,
Sa profonde et solide idéologie,
Sa conviction sociale-nationale,
Qui fait de la Zinovie, une nation spéciale.
En Zinovie, le guidisme fait le Guide.
Ce n’est pas un dogme, c’est une direction.
En Zinovie, le guidisme nous guide
Sous le regard du Guide, unis en une nation.
Les sirènes sonnent l’alarme.
Les voisins pas convaincus encore
Ont couru prendre les armes.
Depuis lors, les morts parlent aux morts.
En Zinovie, règne la plus grande indignation
Contre ces voisins qui refusent notre invasion.
Les Zinoviens typiques sont bien décidés
À imposer l’avenir radieux à l’humanité.
Combien coûte le fer et le feu ?
Pour quoi faire ? Pour quel jeu ?
Combien de chars, combien de canons,
Combien de missiles, combien d’avions ?
Combien coûte ce crétinisme ?
C’est la rançon du guidisme.
Discours, péroraisons, et patati et patata.
Qu’avons-nous à faire de ce combat douteux ?
Qui a besoin de ce prestige miteux ?
Qui va payer tout ce cinéma ?
En plus, c’est peine perdue déjà,
On se fera jeter aussi de là-bas.
Le Zinovien incarne l’homme nouveau,
Cet être extraordinaire, avide de biens élémentaires,
Chanson française — La Valse des Pronoms — Marco Valdo M.I. — 2022
LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.
Le je, le tu, l’il, le moi, le toi, le lui, le nous, tels sont les pronoms de la valse, sans oublier l’eux, dit Marco Valdo M.I. ; ainsi s’explique le titre de la chanson.
Moi, dit Lucien l’âne, je trouve que ça n’explique pas grand-chose ; alors, si tu voulais m’expliquer plus encore.
Évidemment, répond Marco Valdo M.I. ; d’ailleurs, je m’attendais à ta demande. Enfin, soit ! Quand même, tous ces pronoms sont ceux qui valsent dans la chanson. Bref, en Zinovie, ce qui compte et s’impose à chacun, c’est le nous ; c’est le pronom unificateur, égalisateur, assimilateur. Comme il est dit dans la chanson :
« Nous, c’est la base de la vie,
La volonté irrésistible de la Zinovie. »
En fait, le nous, c’est l’être social, le fondement de la société.
Voilà pour le nous, dit Lucien l’âne, et les autres ?
Oh, dit Marco Valdo M.I., les autres ? Les autres, en principe, n’existent pas, ils ne peuvent exister, il ne peut être question de moi, de je, tu, il, lui qui ont le gros défaut de faire exister un individu. Donc, je résume : là-bas, en Zinovie, on existe en bloc. Le nous est un en soi, le seul possible, car le nous fait la société. On ne saurait accepter sa décomposition en particules distinctes et autonomes.
J’entends bien, dit Lucien l’âne, mais qu’en est-il de l’eux dont tu as mentionné l’existence au début de notre dialogue. Il me semble que ce n’est pas le nous.
Ah l’eux !, dit Marco Valdo M.I., l’eux, c’est autre chose encore. L’eux, c’est une entité plurielle comme le nous, mais d’une autre nature. Alors que le nous est une entité compacte, multiforme et à usage multiple, l’eux se dissémine dans toute la société ; rien ne distingue les eux, sauf que comme le dit le moi de la chanson :
« En Zinovie, les Eux, ce sont les maîtres ;
En Zinovie, on sait les reconnaître. »
Il y a certainement intérêt à le faire, car les Eux sont le bras armé — parfois en uniforme ; souvent, en civil — du Grand Nous qu’est la Zinovie :
« En Zinovie, le moi doit se dissoudre,
Ou Eux le réduiront en poudre. »
Je me disais bien, conclut Lucien l’âne, que je n’aimerais pas vivre dans cette société zinovienne et qu’à la première occasion, il faudrait que je me défile. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde oppressant, fermé, étouffant, mortel, mortifère et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
En Zinovie, l’individu est mal vu.
En Zinovie, le moi est mal venu,
L’individu pense je, l’individu dit moi ;
En Zinovie, je et moi ne se peuvent pas.
En Zinovie, dans le jeu du je et du nous,
Mon cher ami Lucien l’âne, réjouis-toi, gaudeamus, réjouissons-nous : Zapata n’est pas mort. Enfin, façon de parler. C’est le titre d’une chanson de Casa del Vento — Zapata non è morto, chanson d’il y a vingt ans, dont je propose une version française, intitulée fort opportunément ZAPATA N’EST PAS MORT ; mais c’est aussi le titre qu’on pourrait donner au tableau que le peintre mexicain José Clemente Orozco fit déjà en 1930. Façon de parler ou incantation de mémoire, oui, Emiliano Zapata n’est pas mort.
Très bien, répond Lucien l’âne, voilà qui nous réjouit. Mais au fait, qui était ce Zapata, quand a-t-il vécu, qu’a-t-il fait et de quoi est-il mort ? Et puis, que raconte la chanson ?
D’abord, répond Marco Valdo M.I., à tout señor, tout honor, rendons justice à Emiliano Zapata, lequel était né au Mexique en 1879 et y est mort quarante ans plus tard, piégé et assassiné à la suite d’une déshonnête machination, d’une vénale fourberie, d’une trahison. Sur sa tombe, on a écrit :
« À l’homme représentatif de la révolution populaire
À l’apôtre de l’agrarisme, au visionnaire qui jamais ne perdit la foi
À l’immortel
EMILIANO ZAPATA
rendent cet hommage ses compagnons de lutte. »
Ainsi, comme on peut le voir, il fut et reste, d’ailleurs, un « apôtre de l’agrarisme » (question toujours en suspens de « la terre aux paysans »), un défenseur des paysans pauvres et un animateur de la révolution au Mexique et par-delà, à l’Amérique latine. Quant à la chanson, elle est une sorte de lamentation révolutionnaire et revendicatrice des péons qui réclament terre, justice et liberté. En gros, le programme que promouvait déjà Emiliano Zapata. Aujourd’hui, la misère est toujours encore présente et pesante dans les villages et les campagnes dans le Chiapas et au Mexique et le spectre d’Emiliano Zapata continue à animer la protestation des paysans pauvres bien au-delà du Mexique au travers de l’altermondialisme. Elle indique la filiation directe entre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale qui par la prise de San Cristobal de la Casas en 1994, lançait la guérilla dans le Chiapas, menée par le « sous-commandant Marcos ».
Ah, dit Lucien l’âne, voilà un spectre dont l’illumination dure, car il me semble qu’il y a bien un siècle depuis la disparition d’Emiliano Zapata. Et, pour ce que j’en sais, il s’agit d’une phase de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres et aux miséreux afin de maintenir leurs privilèges, de renforcer leur domination et d’accroître leurs richesses. Cela dit, tissons le linceul de ce vieux monde dominateur, exploiteur, inéquitable, inégal et cacochyme.
« Le Pain et les Épines » ?, sursaute Lucien l’âne, ça me rappelle furieusement l’adage de la Rome antique « Panem et circences », qu’on pourrait traduire par « Le Pain et les Jeux (du cirque) ».
L’allusion est évidente, dit Marco Valdo M.I., et tout aussi évidente est l’intention polémique ; il s’agit de montrer l’apparence et la réalité, non pas du monde antique, mais plutôt d’un monde contemporain intemporel, le monde de la misère ou à tout le plus, celui de la pauvreté. Regarde bien que dans le binôme romain, comme dans celui de la chanson, il est question de pain tandis que face aux jeux (du cirque — ce qui à présent se traduirait par la consommation, l’apparence, le superflu), on trouve les épines.
Je vois, dit Lucien l’âne, la situation est plus dure.
En fait, dit Marco Valdo M.I., elle est différente et part d’une intention différente et son énonciation ne provient pas du même interlocuteur. À Rome, il s’agissait d’une politique sciemment mise en place par le pouvoir (les riches et les puissants) pour satisfaire et apaiser la plèbe toujours revendicatrice et remuante, à savoir cette partie des citoyens qui votaient à Rome ou en tout cas, comptaient en ce qu’ils étaient paradoxalement ici les remparts du système. Comme bien tu penses, cela excluait les miséreux et les esclaves.
Je comprends, dit Lucien l’âne, ceux que représentaient les tribuns et qui avaient l’émeute facile.
De l’autre côté, répond Marco Valdo M.I., celui de la chanson, l’interlocuteur est la société elle-même et les gens qui ne trouvent presque toujours que des épines n’ont que peu à voir avec cette « plèbe » ; ils sont en dehors ou en deçà du jeu social rythmé par la consommation, le pouvoir d’achat, l’aspiration à plus, l’envie de la richesse, de son apparence ou de son semblant. La chanson ne réclame pas du superflu ; d’ailleurs, elle ne réclame rien. Elle se plaint du manque de l’essentiel et d’une vie réduite à l’attente de la réalisation d’une promesse. Je me demande tout de même si ce Saint Antoine de la chanson ne serait pas le cousin germain de Saint Glinglin. D’où sans doute, ce proverbe de ma grand-mère : « Saint Antoine de Padoue, grand voleur, grand filou, rendez ce qui n’est pas à vous ! » qui pourrait bien s’appliquer ici.
Finalement, demande Lucien l’âne, que raconte-t-elle cette chanson ?
Oh, c’est assez simple, répond Marco Valdo M.I. c’est un gars qui raconte sa misère et les rebuffades qu’il subit (lui et tous ses semblables) tout au long de sa vie. Il manque de pain (l’essentiel) et quand il pense en saisir, il ne trouve que des épines et se pose la question de son avenir.
« Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ? »
Oh, dit Lucien l’âne, des filles, des gars et des situations pareils, j’en ai croisés des tas au cours de mes pérégrinations et une longue cantilène résonne dans les vents du monde, comme en chantait déjà le Chant des Fileuses ou La Complainte des Tisserandes et malgré les indéniables progrès, elle a encore de beaux (ou de laids) jours devant elle.
Certains disent qu’il suffit de changer le monde, reprend Marco Valdo M.I. ; c’est bien beau, mais comment ? Je ne suis malheureusement pas un chat et je n’ai qu’une seule vie et j’y tiens. La Vie c’est comme une dent, disait Vian. Je n’ai aucune vocation au martyre, fût-ce en vue d’un avenir radieux. Et puis, il change tout seul le monde et la vraie question pour chacun, c’est comment vivre dans le monde tel qu’il est et tel qu’il change.
Alors, dit Lucien l’âne, quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde riche, misérable, inerte, insensible, changeant, mutant et cacochyme.
Version française — ANARCHIE — Marco Valdo M.I. — 2022
Chanson en langue allemande — Anarchie — John Henry Mackay — 1897 — poème en langue anglaise — 1888
JOHN HENRY MACKAY à 16 ans
Dialogue maïeutique
Il est toujours difficile, dit Marco Valdo M.I., de concevoir un commentaire à propos de ces chansons qu’on traduit ici ; c’est à chaque fois une gageure. Par exemple, pour elle-ci, j’ai longtemps hésité à en proposer un et à faire notre dialogue maintenant coutumier.
Je vois, dit Lucien l’âne, et je te rejoins complètement. Cependant, il me semble que tu viens d’en amorcer un et je ne vois pas où il nous emmène. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut en rester là, qu’il te faut poursuivre.
Bien sûr, répond Marco Valdo M.I., et je vais quand même essayer de comprendre ce qui m’a retenu au point que j’étais prêt à n’en faire aucun. Ce qui — à bien y regarder — en serait un en soi.
Et alors ?, demande Lucien l’âne.
Eh bien, ce qui me retenait, Lucien l’âne mon ami, c’était l’ampleur du sujet, tout ce qui se cache derrière ce mot « Anarchie » et que j’entrevoyais là une interminable péroraison. Il me fallait synthétiser tout ce qui se bousculait dans mes pensées concernant ce mot, mais aussi je voulais dire un mot de l’auteur et de son texte poétique.
Faisons ainsi, dit Lucien l’âne. Quid du mot, d’abord ?
En premier, dit Marco Valdo M.I., avant d’aller plus avant, il me faut faire une solide rectification et dire que Riccardo Gullota voyait juste quand il affirmait dans sa notice en italien que le texte allemand était le plus suggestif : « Troviamo particolarmente suggestiva la versione tedesca di Christoph Holzhöfer », car il s’agit en fait du texte original de John Henry Mackay, repris exactement par Christoph Holzhöfer ; texte tiré des Gesammelte Dichtungen. Erste Reihe : Jugend 1882 — 1890. Mackay, John Henry. Verlag : Zürich u. Leipzig, Verlag von Karl Henckell & Co., o.J. (1897), 1897. Cependant, comme Mackay (de père écossais et de mère allemande et sans doute, bilingue) n’arrive à Berlin – venant d’Écosse, qu’en 1896, on peut supposer que la version anglaise, datée de 1888, est la version origine. Ensuite, j’écarte toute connotation négative ou péjorative, telles qu’en développent les adversaires de l’anarchie ; en cela, je suis la logique du poème et celle de John Henry Mackay ; « Laissons-les crier ! ». Je ne tiendrai compte que du côté optimiste de l’anarchie.
Fort bien, dit Lucien l’âne, il est vrai que le monde a changé de bases et sans doute, ceci explique cela : l’anarchisme violent et explosif a été abandonné.
Cependant, je n’entrerai pas dans l’histoire de cette évolution de l’anarchie et du monde, dit Marco Valdo M.I., sauf pour noter au passage que les révolutions violentes semblent avoir débouché sur des régimes qui se sont très fortement éloignés de leurs prémices et avoir donné des résultats très contraires à ce qu’elles promettaient. Et là aussi, la chanson est juste dans sa vision de l’anarchie et de l’anarchiste :
« Je suis un Anarchiste ! Et je ne peux accepter
De dominer, ni d’être dominé ! »
Oui, dit Lucien l’âne, mais n’est-ce pas là une affirmation individuelle ?
Exactement, tu fais bien de le faire remarquer Lucien l’âne mon ami. Pour John Henry Mackay et plein d’autres, l’anarchie est par essence individualiste et non-violente et tend à un futur pacifique et à une société enfin pacifiée. Quand et comment elle adviendra n’est pas dit dans la chanson, sauf ceci : « Quand chacun à lui-même s’éveillera » (Wenn jeder endlich zu sich selbst erwachte).
Je pense, comme lui, que c’est la condition sine qua non, dit Lucien l’âne. C’est évident quand on pense que l’anarchie ne peut être imposée par force — « ni dominer, ni être dominé ». C’est une société du consensus où chacun respecte chaque autre et où nul ne songe — fût-ce un instant, à prendre le pouvoir ou à profiter de l’autre. Sans aucun doute, on n’est pas rendus et la chanson le distingue bien. Mais il n’est pas d’autre voie possible. En attendant nous vivons, alors, tissons le linceul de ce vieux monde dominateur, dictatorial, aveugle, mal barré et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Toujours injuriée, maudite, jamais comprise,
Tu es la terreur barbare de notre époque,
Crie la multitude, la ruine de tout ordre,
La guerre et la rage sans fin du meurtre.
Oh, laissez-les crier. Pour ceux qui n’ont jamais lutté,
La vérité à trouver derrière le mot se cache,
Le juste sens du mot ne leur est pas donné,
Ils resteront des aveugles parmi les aveugles.
Mais toi, ô mot, si clair, si fort, si pur,
Tout ce que j’avais pris pour but, tu diras.
Je te donne au futur ! Le tien est sûr,
Quand chacun à lui-même s’éveillera.
Dans l’éclat du soleil ? Dans le frisson de la tempête ?
Je ne peux le dire, mais la terre, elle, le verra !
Chanson française – Les Nullités – Marco Valdo M.I. – 2022
LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.
Oui,Lucien l’âne mon ami, il faut toujours faire attention au titre de la chanson et
c’est spécialement le cas pour celui-ci : « Les Nullités ».
C’est ce que je me disais, répond Lucien l’âne. Je me demandais ce que peuvent bien être ces nullités.
D’abord, reprend Marco Valdo M.I., il faut dire que ce terme, ainsi compris, n’a d’usage qu’en Zinovie et dans les pays qui partagent sa conception des choses et du monde. Il désigne des gens, il les classe, il les catégorise, il les range, il les homogénéise et du coup, il les dépersonnalise. Une nullité n’a plus d’identité.
En quelque sorte, réfléchit Lucien l’âne, ce seraient comme des pions.
Exactement, dit Marco Valdo M.I., et la chanson le dit : « Ce sont des pions peu importants » et, logiquement dès lors, ils ne comptent pas, ils n’existent que comme un matériau primaire que manipulent des « responsables », lesquels comptent et font l’Histoire. D’ailleurs, les nullités ne font pas d’histoires ; les nullités n’ont pas d’histoire. Cependant, il faut remarquer que la chanson elle-même dément cette conception et affirme :
« C’est une terrible absurdité,
Car chose établie par la science,
De l’humanité, la nullité est la quintessence. »
Décidément, dit Lucien l’âne, vue de l’intérieur, la Zinovie est un drôle d’État.
Un pays, Lucien l’âne mon ami, où tout est « sens dessus dessous, mal fagoté », de guingois, où les citoyens (autrement dit, pour l’essentiel, les nullités) en viennent à se demander et à conclure :
« Faut-il en rire ou en pleurer ?
Nous, on rit d’une triste hilarité. »
Mais au fait, dit Lucien l’âne, il me semble qu’il serait là-bas question d’une guerre ; de quelle guerre s’agit-il ?
La guerre, dit Marco Valdo M.I., la guerre, quelle guerre ? Il n’y a pas de guerre en Zinovie et la Zinovie ne fait pas la guerre, la Zinovie n’envahit pas les pays voisins. Rien de tout ça n’a été confirmé par les « responsables » de la Zinovie. D’ailleurs, officiellement, en Zinovie,
« En Zinovie, l’avenir radieux sourit déjà.
Quel imbécile ne voudrait pas
D’un espoir grandiose comme celui-là ? »
Ambiance, ambiance, dit Lucien l’âne. Quelle ambiance, quelle atmosphère en Zinovie, je n’aimerais pas en être citoyen, j’y serais placé (et toi aussi) au rang des nullités – de celles qu’on envoie devant ; cela est certain. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde méprisant, dépressif, démoralisé, immoral et cacochyme.
Oui, répond Marco Valdo M.I., son titre complet est « La Vie, c’est comme une Dent » et elle est de Boris Vian. Une chanson, c’est beaucoup dire au départ ; juste un petit poème, un de ceux dont Boris était coutumier – il adorait ça. Un petit poème qui en grandissant est devenu une chanson que Serge Reggiani se fit un plaisir d’interpréter. C’est d’ailleurs comme ça, d’une petite idée à une petite sentence, d’une petite sentence à un petit poème que naissent et fleurissent les chansons. Cependant, celle-ci, à bien y regarder, en dit plus que bien des grandes et moins discrètes qu’elle.
Soit, mais que dit-elle ?, demande Lucien l’âne. Mais il faut me dire pourquoi et comment elle est venue ici seulement maintenant, alors que tu la connais depuis longtemps ; cela je le sais.
Oh, dit Marco Valdo M.I., elle dit plein de choses et elle les dit fort bien. Si elle est venue ici à présent, c’est à la suite de la chanson « La Vie » de Léo Ferré, qu’on a insérée récemment, où – dans notre dialogue, je l’avais citée et tout comme cette dernière, elle resurgit du fin fond des années 50 du siècle dernier. Ensuite, cependant, elle a de droit sa place dans des Chansons conte la Guerre du simple fait qu’elle est issue de la même veine que Le Déserteur et qu’à vrai dire, elle lui donne tout son sens : cet attachement profond à la conscience d’être et de la précarité d’exister. Et puis, elle donne à la vie toute sa capacité de résistance, une dimension qui nous est chère.
Oui, dit Lucien l’âne, sans doute ; la vie est le fondement de notre être qu’il importe naturellement de préserver jusqu’à tant que ça en vaut encore la peine. Il y a là une limite certaine autant que floue : celle du moment où, comme une dent précisément, il faut l’arracher, à laquelle chacun in fine est confronté seul ; seul et lui seul et lui seulement doit pouvoir en disposer. Pour ce qui nous concerne et en attendant, tissons le linceul de ce vieux monde absolu, absurde, abstrus, absorbé et cacochyme.
La Vie, dit Lucien l’âne, c’est toute une histoire.
Certes, Lucien l’âne mon ami, et Boris Vian avait excellemment résumé l’affaire en un court poème où il disait péremptoire comme il pouvait l’être : « La vie, c’est comme une dent. »
Soit, dit Lucien l’âne, mais cette chanson-ci n’est pas de Boris Vian.
Oui, elle est de Léo Ferré, répond Marco Valdo M.I. et elle est peu connue à présent du fait qu’elle est une de ses premières chansons – enregistrée en 1955 sur un disque 78 tours, tout dur et tout noir. Cela dit, dans cette chanson, on trouve déjà tout Ferré ; je veux dire l’homme et son tempérament assez caustique : canaille, gouailleur, drôle, léger, provocant, anar et dès lors, moraliste et philosophique. Comme tu le verras, c’est une chanson avec de la pensée dedans.
J’imagine très bien tout ça, répond Lucien l’âne, mais je ne sais toujours rien de la chanson elle-même. Si tu pouvais m’en dire plus, un peu, façon d’introduire la réflexion et de donner à la chanson sa pleine dimension.
Ehbien, Lucien l’âne mon ami, comme son nom le suggère, la chanson par le de la vie – qu’elle trouve ma foutue et les éléments qui lui donnent sens et l’animent : le cœur, l’argent, l’amour.
Joli trio, dit Lucien l’âne, qu’en dit-elle ?
Ah, continue Marco Valdo M.I., il me faut d’abord préciser l’antienne qui court tout au long et qui les qualifie chacun à leur tour – la vie, le cœur, l’argent, l’amour : « C’est une vieille peau ».
Oh, s’esclaffe Lucien l’âne, dans une version plus vingt et unième siècle, il faudrait y adjoindre le cul. Ça sonne bien, non ? « Le cul, c’est une vieille peau et on s’assied dessus ».
S’asseoir dessus, évidemment, répond Marco Valdo M.I., et ça fait la rime, en plus. La dernière strophe est en quelque sorte optative, elle ouvre sur une manière volontaire d’affronter le destin et conclut avec une bonne dose de fatale conviction et d’asinesque obstination : « D’ailleurs, nous on s’en fout, On vit !… » et j’ajouterais volontiers ce que disait ma grand-mère : « Moi, je m’en fous ! Je m’en fous tellement que je m’en fous ! »
Eh, dit Lucien l’âne, ça, Ferré l’aurait bien aimée, cette réflexion de ta grand-mère. Il ne nous reste plus qu’à vivre et à tisser le linceul de ce vieux monde décati, assoupi, chaotique, hérétique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La vie,
C’est une vieille peau,
Mais quand c’est la sienne, On y tient.
Pardi, Il n’y a que ça qui compte !
Dis, la vie,
Tu es mal foutue,
Tu as l’air d’une fille perdue,
Tu es fagotée comme une sans foi ni loi,
Qui croit en Dieu sait quoi
Et qui se fout de tout d’ailleurs,
Mais pas des coups au cœur.
Le cœur,
C’est une vieille peau,
Une peau de tambour…
Taratata,
Ma sœur,
C’est lui qui compte.
Dis, le cœur,
Tu es mal planqué,
Je m’en fous, je ne suis pas gaucher,
Tu comptes les coups,
Pour finir où ?
Pan, pan !
Dans un placard,
Pénard,
Où il y a peau de balle Et balai de crin, mais pas
D’argent.
L’argent,
C’est une vieille peau,
Une peau de chagrin qui fait
Ding ding,
Tiens, tiens !
On fait ses comptes !
Dis, l’argent,
Tu es rien nickel
Dans ton papier ficelle Quand tu n’es pas là,
Nous on est là.
Copain,
Sans argent, on n’est rien,
Mais rien du tout,
C’est tout.
Tu as bien le bonjour
De l’amour.
L’amour,
C’est une vieille peau,
Une peau de vison ou bien
Tintin,
L’amour,
Ça fait des comptes.
Dis, l’amour,
Tu es tout ou rien,
Mais quand tu es tout,
C’est fou,
Et quand tun’es rien,
Alors tu n’es rien du tout,
Faut mettre les bouts
Surtout
Et puis s’en fout,
Mes petits
Quand on a toute La vie.
La vie,
Une foutue peau,
Mais comme c’est la mienne,
Moi j’y tiens,
Pardi,
Pour moi, ça compte.
Dis, la vie,
Sois bien foutue,
Aie l’air d’une môme cossue,
Mets ton beau pull
Des fois qu’on tourne la boule Àcelui qui compte les coups
Et qui,
Que, quoi, donc, où…
D’ailleurs, nous on s’en fout,
On vit !…
Chanson française – La Queue– Marco Valdo M.I. – 2022
LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.
Oui,Lucien l’âne mon ami, je sais, La Queue est un titre étrange et il faudrait un peu l’expliciter.
Certainement, répond Lucien l’âne, car il est pour le moins ambigu. Déjà, de quelle queue, il s’agit ?
E bien, dit Marco Valdo M.I., il est très pertinent de poser cette question, car comme tu le soulignes, des queues, il y en a beaucoup et de tous les genres. En plus, il s’agit non pas de la queue comme en porte fièrement l’âne, mais de la queue considérée comme une institution nationale en Zinovie et même comme un phénomène historique et une dimension quasiment folklorique. Ce n’est pas une nouveauté, elle fait partie du quotidien des Zinoviens depuis au moins un siècle. Pour tout dire, il s’agit de cette procédure de la file d’attente que l’on subit là-bas à répétition, à propos de tout et de rien. Le moindre achat, la moindre démarche administrative, la visite médicale, tout est régi par la queue. C’est une sorte d’embouteillage piéton. Là-bas, tout est régi par la queue.
Tout ?, demande Lucien l’âne, c’est énorme. Il ne manquerait plus que de devoir faire la queue pour ses propres funérailles.
Si, répond Marco Valdo M.I., il faut faire la queue partout, du début à la fin de la vie et comme tu le supposes, pour ces derniers instants. C’est ce que content les deux dernières strophes dans lesquelles il apparaît que la queue (interminable – il faut même parfois s’y reprendre à plusieurs fois et réserver sa place) est requise pour avoir le document nécessaire à l’accès au crématorium et subséquemment, une place au columbarium. Toutefois, arrivé à ce point de leur existence, ça n’étonne plus personne ; les Zinoviens ont intégré la queue, c’est devenu un usage familier, une habitude. Et la question se pose de savoir si les Zinoviens croyants, qui la plupart du temps s’abîment dans la croyance en un Dieu anthropomorphique, s’attendent à retrouver la queue dans leur au-delà, de voir la queue s’étendre à l’entrée du paradis ou de l’enfer, c’est selon. De ce fait, il est probable qu’ils doivent s’imaginer l’extension de l’univers bureaucratique à l’éternité.
Ohlala, dit Lucien l’âne, l’éternité gérée par une grande administration, voilà qui ouvre des perspectives de carrière à plus d’un et pour certains, des perspectives de rattrapage infinies aux examens de promotion. J’aime mieux ne pas y penser. Qu’y a-t-il d’autre à dire de cette chanson ?
Il faut noter, Lucien l’âne mon ami, qu’il s’agit du cinquantième épisode, de la cinquantième étape de ce voyage et Zinovie et qu’elle clôt notre incursion dans les Hauteurs Béantes. Cependant, rassure-toi, on va poursuivre notre périple en visitant La Maison Jaune, autre roman qui conte la vie en Zinovie, où sans doute, on pourra découvrir de nouvelles choses. Pour le reste, voir la chanson elle-même.
Bien sûr, dit Lucien l’âne, j’y compte bien et je vais m’y employer. Ensuite, tissons le linceul de ce vieux monde embouteillé, encombré, engorgé, bouché, surchargé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
On entend le pas de la gloire,
Le soleil monte sur les lendemains.
De la plaine suinte une odeur noire,
C’est le grincement de la fin.
Songeant aux grouillantes hécatombes
Dans les boues des trous de bombes,
Les morts quittent leurs tombes.
Aux vivants écharnés, il incombe
De remettre aux jours pacifiques
Ces fantômes traumatiques
Et y rallier les visages et les yeux
Pour accueillir l’avenir radieux.
En Zinovie, la criminalité a disparu ;
Elle a longtemps sévi,
Mais à présent, c’est fini.
Si certains sont de sordides individus,
Si certains doivent être punis,
Que faire, si le crime n’existe plus ?
Les vrais crimes échappent au châtiment
Et les punis sont souvent innocents.
Sous la contrainte du réel,
En Zinovie, on pratique la prévention.
Avant leur crime, on extermine les criminels ;
C’est une grandiose évolution.
En Zinovie, on fait la queue partout ;
En Zinovie, on fait la queue pour tout ;
Avec lenteur, avec patience, avec ennui ;
La queue, mon ami, ce n’est jamais fini.
Par exemple, la queue aux Pompes Funèbres ;
Au comptoir, il y a un drôle de zèbre.
Il touche un salaire de misère,
Il peste et déteste toute la Terre.
Il vérifie les papiers d’un air sévère,
Fait remplir pointilleusement les formulaires,
Et fait tout recommencer plusieurs fois.
C’est à en mourir et on n’y arrive pas.
Alors, pour vous, tout est en ordre.
Enfin, presque, mais ça ne fait rien.
On n’est pas des bureaucrates aux ordres,
On est là pour faire le bien.
Un billet pour le crématoire ?
Trop jeune, faut être retraité
Ou au moins, avoir attrapé
Une maladie rédhibitoire. Je souffre d’un ennui mortel.