Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 juin 2018 1 25 /06 /juin /2018 15:20
Le Cœur et l’Esprit

Chanson française – Le Cœur et l’Esprit – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 59
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXIII)

 

 

 

Laurence Sterne

 

 

 

Dialogue maïeutique

 

 

« Le Cœur et l’Esprit », en voilà un beau titre, dit Lucien l’âne. Encore faut-il savoir de quoi il est question. Peut-être même que ce pourrait être une de nos devises et pourquoi pas, une devise des Chansons contre la Guerre.

 

En effet, Lucien l’âne mon ami, c’est un titre qui évoque toute une forme de personnalité, toute une manière d’être et de se comporter. C’est en quelque sorte une boussole morale, une inclinaison de l’être qui penche toujours du bon côté.

 

Ainsi en va-t-il pour le titre, mais dis-moi Marco Valdo M.I. mon ami, dis-moi un peu ce que raconte la canzone, car – comme tu peux t’en douter – j’attends avec impatience la suite de l’histoire. Pour moi, tes chansons sont devenues comme les épisodes d’un feuilleton comme en écrivait Pierre Allexi Joseph, Ferdinand de Ponson du Terrail, connu sous le titre de vicomte de Ponson du Terrail.

 

Je reconnais bien là ton goût pour les noms à rallonge. Cependant, Lucien l’âne mon ami, je préférerais invoquer le feuilletoniste anglais ou presque, il publia au fur et à mesure de l’écriture – cette révélation prit dix ans, son proprement extraordinaire et décapant « Vie et opinions de Tristram Shandy », qu’on ne se fatigue jamais de relire, car il est à chaque fois une autre découverte.

 

Oh, je le sais, dit Lucien l’âne en riant, moi qui le relis depuis l’époque ce coïtum interruptum (accusatif) et tout ce qui s’ensuit comme on boit un porto datant de sa naissance. Imagine ce que ce serait dans mon cas ; d’ailleurs, à ma naissance, le porto n’existait pas.

 

 

 

Soit, dit Marco Valdo M.I., je ne voudrais pas tromper les gens : le porto est un vin vénérable, quand même. Ah, Sterne – ce presque archevêque d’York, car s’il n’avait écrit et eu des polémiques et des aventures amoureuses trop voyantes, il l’eut été comme son aïeul.

 

Mais quand même, Marco Valdo M.I. mon ami, Laurence Sterne, l’auteur de Tristram, archevêque d’York, Yorick porté au rang d’archevêque, troisième personnage du Royaume d’Angleterre, voilà qui aurait redoré la couronne et mis l’humour au rang de grandeur nationale.

 

De fait, Lucien l’âne mon ami, il est parfaiement louable d’imaginer Sterne comme archevêque, Sterne relatant aux fidèles de Sa Majesté les joies du baptême à la canule, Sterne est bien celui à qui nous devons tant et le droit de dialoguer à notre guise. Mais, vois-tu, Lucien l’âne mon ami, tout ceci n’a que peu à voir avec la canzone. Quoique… sauf à considérer évidemment que la chanson – comme le « je » de Rimbaud – est une autre, ainsi qu’elle l’a souvent démontré.

 

Oui, dit Lucien l’âne, ça ne lui va pas de servir de faire-valoir au commerce ou de trafiquer l’argent et le reste. D’ailleurs, elle se révolte, comme Till. Elle en a marre d’ânonner des insanités, de débiter des débilités. Bien sûr qu’il lui faut du son (parfois), mais enfin, elle a toute sa tête. Donc, lors de l’épisode précédent dans la réalisation en direct de leur guet-apens[[58007]], nous aviosn laissé nos amis Till et Lamme avec la nécessité de s’éloigner au plus vite de l’auberge de Marlaire et surtout, des cadavres des trois prédicants, qu’ils venaient d’assassiner – pur la bonne cause pourtant. Entretemps, ils sont arrivés à Huy, mais ayant changé de rive à Andenne pour égarer leurs poursuivants éventuels, ils ont franchi li pontia et ont repris le cours de leur périple, car ils doivent, comme on le sait, aller à Maestricht en dépit de tous les obstacles, en passant obligatoirement par Landen, comme le démontre la canzone. On les retrouve là-bas, après le cri de l’alouette et le chant du coq hardi – lequel, comme on sait ici, est le coq wallon, symbole de liberté, avec celui qui les a accueillis. Je ne te dirai pas le reste, sinon à quoi servirait de lire la chanson.

 

Bien sûr, Marco Valdo M.I. mon ami, il y faut du suspense, un brin de mystère, un territoire inconnu et inexploré et étant moi aussi un explorateur invétéré, un âne itinérant dans toute l’histoire, furetant sans désemparer depuis des milliers d’années, j’apprécie particulièrement d’avoir à découvrir ce que je ne sais pas ou que je ne connais pas encore. Maintenant, si tu le veux, revenons à notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde sans cœur, sans esprit, sans vue de lui-même, sans conscience, sans volonté et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Lamme demande : « Où allons-nous ? »

« À Maestricht », dit Till.

Lamme dit : « Il faut être fou,

Le duc espagnol tient la ville. »

 

Till dit : « Pour les trois prédicants,

Les corbeaux, les hiboux et les vautours

S’en chargent opportunément

Tour à tour. »

 

Lamme dit : « À Maestricht, ils sauront

Et à la mort, ils nous mèneront,

Haut et court, ils nous pendront. »

Till répond : « Nous passerons.

 

À Maestricht, nous devons être tantôt ;

En passant par Landen, nous y serons bientôt.

À Landen, l’alouette sifflera.

À Landen, le coq hardi répondra. »

 

À Landen, l’alouette siffle,

À Landen, le coq hardi répond.

« Vive le Gueux, amis libres !

Entrez en ma maison.

 

Envoyés du Prince, entrez,

Mangez et buvez !

Voyez le jambon et les boudins,

Les verres emplis de vin. »

 

Lamme boit comme le sable sec ;

Lamme mange à grand bec.

Filles, gars, tous viennent le voir

Titan besognant des mâchoires.

 

« Cent paysans partiront

Dans une semaine

Pour travailler à grande peine

Aux digues de Bruges et environs.

 

Par des chemins divers,

À cinq ou six, ils iront

À Bruges, les Gueux trouveront

Les barques pour atteindre la mer. »

 

Et dit encore le maître des lieux

« Je donnerai arme et argent :

Dix florins à chaque gueux

Et un grand coutelas bien tranchant. »

 

Till dit : « C’est là magnificence. »

Thomas, le maître des lieux, dit :

« Je ne besogne pas pour la récompense,

J’agis selon le cœur et l’esprit. »

Le Cœur et l’Esprit
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
19 juin 2018 2 19 /06 /juin /2018 18:24
Le Guet-apens

 

Chanson française – Le Guet-apens – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 58
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXII)

 

 

 

 

Sais-tu, Lucien l’âne mon ami, ce qu’est un guet-apens, puisque tel est le titre de la canzone ?

 

Et comment que je le sais, dit Lucien l’âne en secouant ses oreilles noires comme le basalte, c’est une embuscade, un piège, un traquenard tendus sur la route de quelqu’un, de quelques uns, de plusieurs, de groupes, de troupes et même, d’armées entières ; voilà ce que c’est un guet-apens ou alors, je me trompe du tout au tout.

 

Non, non, Lucien l’âne mon ami, répond Marco Valdo M.I., tu ne te trompes absolument pas. C’est bien ça. Ainsi, tu sais ce dont la canzone va raconter : l’histoire d’une embûche que nos deux amis Till et Lamme vont tendre à ces maudits (faux) prédicants qui préparent un attentat contre le Taiseux. Mais enfin, ce que font là Till et Lamme est un acte de guerre, mais de bonne guerre puisque guerre il y a et qu’ils sont bien forcés de la faire.

 

Comment ça, dit Lucien l’âne, ils sont bien forcés de la faire, de bonne guerre ?

 

Souviens-toi, Lucien l’âne mon ami, Till et Lamme étaient de pacifiques et gentils garçons qui étaient venus au monde pour vivre et qui n’avaient en tête que le goût et le plaisir de vivre et qui à part quelques niches, ne faisaient jamais de tort à personne. Souviens-toi, sous prétexte d’Inquisition, on a fait mourir Claes, le père de Till, sur le bûcher après l’avoir méchamment torturé. On a torturé Soetkin sa femme et la mère de Till et Till lui-même. Et des scènes similaires se sont répétées à l’infini dans tout le pays avec en plus des massacres, des sacs, des saccages, des ravages, d’odieuses persécutions. Et Till qui ne songeait qu’à vivre sa vie, qu’à vivre en liberté s’est trouvé contraint à prendre la fuite, à vivre en exil permanent et à se faire gueux parmi les Gueux. C’est le thème de la Légende que cette marche vers la liberté : liberté de vie, liberté de choix, liberté de paroles, liberté de conscience, liberté de circulation, liberté d’alimentation, liberté d’opinion, liberté de pensée. Toutes ces libertés imposaient une lutte longue et difficile pour la libération de l’être humain vis-à-vis des tutelles et des dominations.

 

En somme, dit Lucien l’âne, la liberté de l’individu dans un monde sans frontières. Si j’applaudis des quatre petits sabots à cette revendication libertaire, laisse-moi te dire qu’on est encore loin d’y satisfaire. Il y a encore des religions, des églises, des partis, des pouvoirs, des frontières, des armées et plein d’autres choses aussi absurdes et aussi détestables. Cela dit, je comprends la révolte de Till et à sa place, j’aurais fait pareil, car comme disait le Taiseux : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », surtout en matière de liberté où les obstacles et les ennemis sont impitoyables, puissants et nombreux. J’aurais comme lui organisé ce guet-apens dont parle la canzone. Car, ce n’est pas faire la guerre que de s’en défendre. C’est même souvent le seul moyen de s’en débarrasser. Ainsi, dans la Guerre de Cent Mille Ans, par exemple, il faut insister sur le fait que ce sont les riches et les puissants qui font la guerre aux pauvres et aux faibles afin de maintenir leur domination, de conserver ou d’accroître leurs privilèges, d’augmenter leurs richesses et ainsi de suite. Que les pauvres soient contraints de s’en défendre pour pouvoir vivre leur vie, y compris par les armes, la rébellion et tous autres moyens, n’est que de la légitime défense. Mais dis-moi deux mots de la chanson dont jusqu’à présent je ne connais que le titre.

 

Oh, la canzone décrit de manière assez détaillée le guet-apens et tellement que je te laisse le plaisir de découvrir ces détails, car on a dit l’essentiel.

 

Bien, je vais de ce pas examiner les détails et pour l’heure, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde traître, vénal, dominateur, dogmatique, religieux et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

Lamme dit : Ces prédicants traîtres. Honte sur eux !

Ils sont trois, nous sommes deux.

Ces assassins veulent tuer le Taiseux.

Allons les attendre sur le chemin. Malheur à eux !

 

Patience et silence encore un moment !

À l’écart, préparons le guet-apens.

Assis sur le talus, je serai mendiant,

Dit Till, je les retiendrai en parlant.

 

Lamme, avec mon arquebuse, va te cacher

Là dans le taillis entre les rochers.

Quand comme le corbeau, je croasserai,

Il te faudra tirer, recharger et tirer.

 

Quand viennent les prédicants,

Till tend son chapeau suppliant.

Messires, je suis carrier, j’ai le dos cassé,

Le patron ne veut rien me donner.

 

Messires, dit Till, il fait froid,

Quand criera le freux ,

Un vent d’acier vous frappera,

Un vent de Gueux, je suis Gueux !

 

Les trois avancent aussitôt

Sortant leur bragmart.

Alors, Till sort son couteau

Et recule dans le noir.

 

Till dit : le vent de plomb va souffler,

Canailles, votre crevaille va venir.

Till croasse et Lamme tire.

Deux fois, l’arquebuse a parlé.

 

Une fumée bleue monte de la broussaille,

Deux prédicants sont tombés,

Le troisième continue la bataille

Un dernier tir vient l’arrêter.

 

Tu es blessé, mon ami doux, dit Lamme

Dis quelque chose, Till ! Parle !

Ils sont tous morts les prédicants.

Tu ne mourras pas, j’essuie ton sang.

 

Ces assassins ont des bedaines de florins,

Lamme prend l’argent et jette les corps.

Ce Vent d’acier ne soufflera pas la mort.

Et vers Huy, les ânes reprennent leur chemin.

 

 

 

Le Guet-apens
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
19 juin 2018 2 19 /06 /juin /2018 09:24

 

Les trois Prédicants

 

Chanson française – Les trois Prédicants – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 57
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXII)

 

 

 

 

 

Mon ami Lucien l’âne, il te souviendra que Till et Lamme s’étaient retrouvés près de Namur, où Lamme avait abouti toujours en quête de sa femme et pêchait en Meuse le sandre et le gardon. Après avoir croisé une espionne, réelle ou supposée, les deux compères s’étaient acheté deux ânes : Jef et Jean, afin de reprendre leur pérégrination vers Maestricht, où Till devait pénétrer afin de porter les messages du Taiseux.

 

Certes, dit Lucien l’âne. On en était là de l’histoire.

 

Cette fois, reprend Marco Valdo M.I., Till et Lamme continuent à longer le fleuve et s’arrêtent en fin de journée dans une auberge à l’enseigne « Chez Marlaire ». Pour ta gouverne, je signale que Marlaire est un prénom, même si à présent, il est plus usité comme nom de famille. En fait d’auberge, il faut se souvenir qu’il en est de toutes sortes. Ici, disons, c’est une halte sur le bord du chemin, tenue par une seule personne.

 

Sans doute le dénommé Marlaire lui-même, dit Lucien l’âne. Je me souviens très bien, moi qui ai parcouru tant de chemins depuis tant de temps, je me souviens très bien à quoi peuvent ressembler ce genre d’endroits. La plupart du temps, il s’agit d’une seule pièce où le voyageur ou le passant peut se faire servir à boire et à manger et se poser un peu à l’abri. Ça n’a rien de ce qu’on appelle aujourd’hui une auberge ; ça tient plus de la gargote ou du boui-boui. Ainsi donc, nous voici à nouveau dans une auberge et peut-être même, y trouvera-t-on un espion ?

 

Exactement, Lucien l’âne mon ami, il y a un espion et cette fois-ci, un vrai de vrai, un agent au service du duc (d’Albe), un papiste acharné qui va tenter de tirer les vers du nez de Till et de Lamme. Ces derniers, malheureusement pour l’espion, ne sont pas nés de la dernière pluie et vont aisément retourner la situation en trinquant avec le patron. C’est ainsi qu’ils vont découvrir un complot hispano-catholique, à l’évocateur nom de code « Vent d’Acier », qui a comme but d’assassiner le Prince d’Orange et qu’ils vont repérer le commando chargé de cette mission, composé de « Trois Prédicants », de vrais catholiques se faisant passer pour des réformés. Voilà toute l’affaire.

 

Ce n’est pas rien, dit Lucien l’âne. Ce qui me stupéfie un peu, c’est pourrait imaginer une affaire du genre actuellement.

 

Oh, dit Marco Valdo M.I., tu as parfaitement raison et il circule d’ailleurs toute une littérature à ce sujet et la presse raffole de telles nouvelles.

 

Et même, dit Lucien l’âne péremptoire, de tels complots existaient déjà dans la plus haute Antiquité. On s’y assassinait à tours de bras. En fait, dès qu’il y a du pouvoir, il y a des conflits qui s’installent et des complots qui s’élaborent. Songe seulement à la mort de Pompée et à celle de Jules César. Pour le reste, il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde méfiant, complotant, espionnant, mentant et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

À l’enseigne « Chez Marlaire », un lieu convenable

Ayant bu maint flacon,

Mangé force poissons,

Till et Lamme s’attardent à table.

 

L’hôte est bavard comme une pie,

Bon catholique, papiste en diable,

Maudit les rebelles et l’hérésie,

Espion pour sûr, mouche véritable.

 

Il trinque, il questionne

Il ruse, il demande à voir ;

Les passes signés du duc l’impressionnent.

L’hôte dit : Buvons au duc, notre espoir.

 

En quoi prend-on le rat, le mulot ?

En ratière, en mulotière.

Et qui est le rat, qui est le mulot ?

Orange l’hérétique, le prince de l’Enfer.

 

Trois beaux prédicants

Réformés, de forts soudards

Des bonshommes vaillants

Vont venir un peu plus tard.

 

Dieu est à nos côtés ;

Trois beaux prédicants réformés

Viennent par la route de Huy

Pour eux, je verse, je cuis.

 

Vrai catholique et faux Gueux,

Vent d’Acier tranchera au nom de Dieu

Le cou du merle de Nassau ;

Il l’empêchera de siffler encore bientôt.

 

Et Till trinque et l’hôte boit.

Je bois au roi et au duc, santé !

Je bois aux prédicants et à Vent d’Acier !

Je bois au vin, je bois à moi, je bois à toi !

 

Alors, enfin fin soûl, l’hôte s’endort.

Et Till dit : Lamme, filons dehors

Attendre ces vilains oiseaux-là,

Ces noirs corbeaux du roi.

 

Ils viennent de Marche-les-Dames,

Le long des rochers au bord de Meuse.

Tendons un piège aux truands,

Il nous faut occire ces prédicants.

 

 

Les trois Prédicants
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 16:44

 

L’Auberge de Sambre et Meuse

 

Chanson française – L’Auberge de Sambre et Meuse – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 56
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XVII-XVIII)

 

Le caporal Trim et le Capitaine - Oncle Toby refont le siège de Namur dans le jardin.

 

 

 

L’Auberge de Sambre et Meuse, voilà encore un étrange titre, dit Lucien l’âne, qui trouverait mieux sa place dans un guide pour voyageurs. Il me rappelle cette auberge bavaroise que tu fis dans le temps. Donc, si l’auberge bavaroise se situait dans l’Allgau en Bavière, celle-ci doit se situer tout près de Namur ou carrément dans ma ville, où la Sambre conflue avec la Meuse. Comme dans l’épisode précédent, Till revenait du Cambrésis en passant par Mézières et puis, la vallée de la Meuse pour accomplir sa mission qui est, si je me souviens, de pénétrer dans Maestricht assiégée par les troupes espagnoles, Till devait immanquablement passer par cette ville.

 

Oui, dit Marco Valdo M.I., c’est effectivement ce qui se passe et ce que raconte la chanson. Avant d’aller plus avant dans les aventures namuroises de Till, je voudrais mettre un petit accent sur le rôle de cette ville qui depuis des siècles sert de verrou pour contrôler le trafic terrestre entre la mer, les plaines flamandes et brabançonnes et le relief ardennais ou condruzien et le trafic fluvial entre la France, le Pays de Liège, le Limbourg, la Saxe et les ports de la Mer du Nord. Les Romains y avaient déjà installé un lieu fortifié. Cela dit, Till descendant par les rives de Meuse devait nécessairement y passer. Il y retrouve Lamme qui cherche sa femme – ce qui est un des leitmotive de la Légende et dès lors, un trait qu’on ne peut ignorer. Tout comme son embonpoint et pour Till, l’évocation de Nelle et de Katheline.

 

Bien sûr, dit Lucien l’âne, mais il me semble aussi que Jef, l’âne de Till qu’on a déjà rencontré et qui ne peut pas plus être négligé.

 

Certainement, répond Marco Valdo M.I., d’ailleurs, dans cette chanson, les ânes se multiplient. Jef hérite d’un compagnon qui se nomme Jean. Jef porte Till, Jean porte Lamme.

 

Oh, dit Lucien l’âne en riant aux éclats, il doit avoir une force phénoménale, ce Jean, car porter Lamme et sa bedaine n’est pas une mince affaire. D’autre part, si je ne me trompe, tu dois bien connaître les lieux, toi, Marco Valdo M.I., car tu as résidé un temps sur le sommet de cette colline, du côté d’où l’on voit toute la vallée de la Sambre sur des kilomètres.

 

C’est exact, Lucien l’âne mon ami, mais c’était il y a bien longtemps et je ne sais si le lieu où je résidais est encore tel que je l’ai connu. Cela dit, la citadelle et la Meuse étaient de l’autre côté, sur l’autre versant. Disons que la citadelle regardait le soleil levant et nous le soleil couchant. De plus, ce n’était pas au temps de Till, la même citadelle qu’aujourd’hui ; cette dernière ne fut construire qu’un siècle plus tard, si pas un siècle et demi. Au temps de Till, l’artillerie commençait seulement à détruire les fortifs, les gens et le monde. La Guerre de Cent Mille Ans avait encore des côtés artisanaux, mais les choses ont mal évolué depuis.

 

N’était-ce pas, Marco Valdo M.I. mon ami, dit Lucien l’âne solennellement, cette citadelle qui fit l’objet d’un siège et d’une prise d’assaut un siècle et demi plus trad et que l’Oncle Tobie faisait soigneusement reconstituer, avec pioche, pelle, bêche et râteau, par le caporal Trim sur le demi-arpent derrière le potager à Shandy, lors même que grandissait au monde le brave Tristram ?

 

Celui-là même qui fit tant rire Diderot, répond Marco Valdo M.I. ; souviens-toi de l’activité de la main de la béguine, ravissante infirmière, au-dessus du genou de Trim, dont ne saura jamais l’aboutissement et pour en revenir à la chanson et à l’auberge, on y découvre une scène où Lamme chasse une espionne qui ensorcelle Till et où le brave Goedzak finit par retirer – manu militari – Till des griffes de cette Mata Hari mosane.

 

Houla, dit Lucien l’âne, tout cela m’intrigue, voyons ça de plus près. Puis, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde toujours aussi guerrier, militarisé, espionné, lâche, tueur et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

En Meuse, Lamme pêche le sandre et le gardon.

Till arrive, sa bonne arquebuse à la main,

Lamme interpelle son compagnon.

As-tu vu ma femme sur ton chemin ?

 

Lamme est triste comme un cloîtré,

Son cœur est gros comme une baleine,

Il mange tant pour se consoler.

On le voit à sa bedaine.

 

Demain, dit Lamme, on partira

Chercher ma femme ; on achètera

Un âne pour chacun. On les nommera

Jef et Jean, comme il se doit.

 

Juste deux gueux devisant :

L’un sur Jean ;

L’autre sur Jef ;

Entre eux deux, point de chef,

 

Califourchonnant côte à côte,

Face au soleil levant,

Sous les pluies grêleuses et le vent,

Vers les crêtes, ils montent les côtes.

 

Une jambe de-ci, sur leur baudet,

Une jambe de-là, ils allaient.

Pendant ce temps, à Damme, Nelle cousait

Et Katheline, le feu dans la tête, délirait.

 

Monsieur du Soleil, dit Till rieur,

Bénissez les pauvres pèlerins,

Réchauffez-nous le cœur !

Lamme dit : J’ai faim.

 

À l’auberge à la table si bonne,

Lamme se lamente et mange ;

Autour de la fille, Till tourne.

Lamme dit : C’est une espionne.

 

Corde, glaive et potence,

C’est une espionne, n’y va point !

Et la fille rit d’impertinence

Et Lamme lui montre le poing.

 

Et Lamme retient Till par le corps ;

Et Till rue et Till se démène encore.

Et Lamme dit : « Je vais faire ma crevaille

De rire. Il vaut mieux qu’on s’en aille. »

 

L’Auberge de Sambre et Meuse
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
15 juin 2018 5 15 /06 /juin /2018 10:35

LE COMBAT ENTRE

CARNAVAL ET CARÊME

 

Version françaiseLE COMBAT ENTRE CARNAVAL ET CARÊME – 2018

d’après la version italienneLOTTA TRA CARNEVALE E QUARESIMA – Krzysztof Wrona – 2014

d’une chanson polonaise –Wojna postu z karnawałemJacek Kaczmarski – 1992

Texte et musique : Jacek Kaczmarski
De son
album homonyme inspiré du tableau de Pieter Brueghel (ou Bruegel) l'Ancien
Texte tiré de http://www.kaczmarski.art.pl/index.php

 

 

 

 

Dialogue maïeutique

 

L’autre jour, dit Marco Valdo M.I., on parlait de Jérôme Bosch qui était le protagoniste d’une chanson polonaise, écrite et interprétée par Jacek Kaczmarski. Comme elle m’avait beaucoup plu, je me suis intéressé à d’autres chansons du même avec cette condition complémentaire qu’elles soient traduites dans une langue que je maîtrise plus ou moins ; en l’occurrence, l’italien. La chance veut que dans les Chansons contre la Guerre, il y ait un contributeur polonais de grande qualité qui ouvre le spectre des CCG sur le monde inexploré de la chanson polonaise contemporaine (ou presque) et même au-delà, vers d’autres langues et cultures slaves.

 

En effet, dit Lucien l’âne, c’est une grande chance.

 

Mais en plus d’amener des chansons dans ces langues que je ne connais absolument pas, il en fait de très remarquables versions italiennes. Riccardo Venturi le fait aussi, mais il y a tellement de chansons dans tellement de langues qu’on n’est jamais trop à collaborer, ni trop à proposer de nouvelles chansons, ni trop à en proposer des versions dans l’une ou l’autre langue. Moi, comme tu le sais, je m’en tiens au français et à quelques langues proches – italien, espagnol, allemand, qui servent en quelque sorte de ponts qui permettent le passage depuis les autres langues. Dès lors, il est évident que les contributions de Krzysztof Wrona sont précieuses et en tout cas également, il me paraît juste et nécessaire (ou l’inverse) de connaître et de faire connaître Jacek Kaczmarski.

 

Mais, dit Lucien l’âne, il est mort il y a quinze ans.

 

Raison de plus, reprend Marco Valdo M.I., car il est d’une grande originalité. Je prends l’exemple de cette chanson et de celle que j’ai traduite précédemment : MAÎTRE HIERONYMUS VAN AKEN DE BOIS-LE-DUC, DIT JÉRÔME BOSCH, qui découlent du fait que Jacek Kaczmarski est fort intéressé par la peinture et qu’il a fait diverses chansons autour du travail des peintres. C’est pas banal et démontre une certaine ambition qui dépasse les frontières habituelles de la chanson. Cette fois, il s’agit de la description d’un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, intitulé « Het gevecht tussen carnaval en vasten », daté de 1559. Il n’est pas le seul à avoir abordé ce sujet, notamment des peintres issus de l’atelier de Jérôme Bosch. Tout cela m’intéresse encore plus du fait que Pieter Brueghel est un contemporain de Till, qui – comme tu le sais – est le héros de la Légende écrite par Charles de Coster, une légende que je mets en chansons.

 

Oh, dit Lucien l’âne, décrire des tableaux en chansons est certainement une riche idée, mais étrange. Enfin, pas si étrange que ça quand on y réfléchit puisque les tableaux racontent et scénarisent des histoires.

 

C’est, Lucien l’âne mon ami, précisément le cas de celui de Brueghel qui met en scène, à la façon des allégories, les deux moments antagonistes du monde que sont le Carême (ou le dénuement imposé) et le Carnaval (la profusion – un moment – reconquise) et par ce biais, il fait resurgir les contrastes qui meublent nos sociétés. Et par contraste justement, on voit apparaître la situation difficile du peintre dans un monde corseté par les églises et les croyances. Comme dans certaines peintures antérieures, le vrai sujet, le véritable endroit d’expression du peintre était dans tout ce qui était accessoire au sujet principal imposé, au sujet obligé – la Vierge, la Crucifixion, etc. : les personnages secondaires, le paysage, le décor ou alors, même quand il peint les personnages centraux, le peintre dévie quelque peu son art et les représente en introduisant de subtiles nuances dans leur allure, leur costume, leur posture, etc.

 

En somme, dit Lucien l’âne, l’art est codé et comme pour la musique et les chansons, il suffit de décoder. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde inculte, vénal, dogmatique, corseté et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

Une cohue insolite se presse sur la place du marché du centre,

Aux fenêtres, aux portes et au puits, dans l’église et dans la taverne.

La fourmilière disparate des marchands, des moines,

Des bouffons et des nains essaime au milieu du tapage.

 

Le travail est un jeu, la distraction est un travail :

Les dés roulent par terre, les cartes remplacent la limaille,

Qui ne joue pas, ne compte pas, ceux qui jouent – pardonnent,

Dans cette foule, on ne peut distinguer personne.

 

Sous le porche du temple, on voit sur une nappe des croix d’argent à trois sous,

Des pénitents sortent par la porte latérale, absous,

Parmi les moines, des mendiants implorent agenouillés dans la poussière ;

On ne réussit pas à distinguer, qui est un saint et qui un tartuffe.

 

Toute la ville est bancale,

Vieillards et ou jeunots même

Ne savent si Carême est Carnaval

Ou Carnaval Carême !

 

Toute la ville est bancale,

Vieillards et ou jeunots même

Ne savent si Carême est Carnaval

Ou Carnaval Carême !

 

Maître Carnaval est monté sur son baril de cent litres

Sa boudine sert de bouclier, le rire gras sur son visage fait son heaume.

Il a fixé la tête grillée d’un porcelet sur sa lance,

Elle sera bouffée ; à l’orgie, ce sera un butin à prendre.

 

Face à lui – un trône de bois tiré par des prêtres,

Et sur le trône, est engoncé l’apôtre émacié de Carême.

Pour la victoire, il demande pardon à Dieu, par avance,

Il empoigne la Rame de Pierre à la place de sa lance.

 

Les factieux se bombardent de slogans et de prières,

Le ménestrel chante comme une vache qui vêlaille.

Dans la taverne pleine à craquer, le populaire attend l’heure,

Un enfant agite son petit drapeau – il y aura une grande bataille !


Toute la ville est bancale,

Vieillards et ou jeunots même

Ne savent si Carême est Carnaval

Ou Carnaval Carême !

 

Toute la ville est bancale,

Vieillards et ou jeunots même

Ne savent si Carême est Carnaval

Ou Carnaval Carême !

 

Assis à la fenêtre, je regarde de haut, j’ai à l’œil le monde entier,

Je vois, qui vole quoi, qui trompe, ce qu’il cherche dans le tumulte.

À la brune, j’irai à l’église, je confesserai mes péchés,

De nuit, je ferai un tour sur la place pour ramasser les restes.

 

Avec ça, je réjouirai votre miséreux peuple bien-aimé

En lui offrant une grandiose noce carnavalesca-quadragésimale.

Pour révéler en votre compagnie toute la vérité :

Mon âme – désire le carême, mon corps – le carnaval ! ! !

LE COMBAT ENTRE CARNAVAL ET CARÊME
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
13 juin 2018 3 13 /06 /juin /2018 21:12

MAÎTRE HIERONYMUS VAN AKEN DE BOIS-LE-DUC, 

DIT JÉRÔME BOSCH

 

Version françaiseMAÎTRE HIERONYMUS VAN AKEN DE BOIS-LE-DUC, DIT JÉRÔME BOSCH – Marco Valdo M.I. – 2018

d’après la version italienneMAESTRO HIERONYMUS VAN AKEN DA HERTOGENBOSCH DETTO BOSCH – Krzysiek Wrona – 2014

Texte et musique : Jacek Kaczmarski
D
e son album « Carmagnole 1981 »
Texte : http://www.kaczmarski.art.pl/index.php

 

 

Et là, d’une certaine manière – mon frère
Comme un Christ étendu sur la harpe

Dialogue maïeutique

 

Ah, Lucien l’âne mon ami, la traduction ! On ne peut savoir tant qu’on n’en a pas fait un certain nombre, une certaine quantité, un certain volume, enfin, je ne sais en quelle unité l’exprimer. Mais bref, on ne peut savoir quels tourments elle éveille.

 

Oui, certes, évidemment, je compatis, dit Lucien l’âne rigolard, mais encore ?

 

Eh bien, reprend Marco Valdo M.I., je viens de terminer à l’instant la version française de cette chanson polonaise qui évoque, Jérôme Bosch. Je fais cette version française au travers d’une version italienne, écrite par un Polonais. Comme je l’ai souvent exposé, il n’y a pas à tortiller, je dois lui faire confiance, car pour ce qui est du polonais, en toute franchise, je ne le connais pas et ce n’est pas maintenant que je vais l’apprendre.

 

Oh, dit Lucien l’âne en riant, pourquoi pas ? J’ai entendu dire que d’autres le font.

 

Bien sûr et c’est très bien ainsi, réplique Marco Valdo M.I., mais alors, il faudrait passer son temps à apprendre les langues de toutes les chansons et aux dernières nouvelles, dans les Chansons contre la Guerre, il y en a dans près de 150 langues. À raison d’une année seulement pour pouvoir maîtriser un peu la langue nouvelle, les traductions risquent d’attendre.

 

Soit, dit Lucien l’âne, on ne peut attendre un siècle et demi. Mais revenons à cette excellente chanson et à ce qu’elle raconte.

 

Comme l’indique le titre, dit Marco Valdo M.I., c’est une chanson qui évoque Jérôme Bosch et j’en ai fait une version française « à ma mode ». Dès lors, elle doit comporter quelques écarts par rapport au texte d’origine, mais je ne saurais te dire lesquels. Cependant, connaissant « de visu » l’œuvre de Bosch et vivant, comment dire, à l’intérieur d’une familiarité culturelle, d’un certain plissement mental commun, comme qui dirait mosan, je suis assez ravi du résultat que je trouve suffisamment grotesque et aussi, évocateur de ce temps des massacres et des bousculades iconoclastes où vécurent Jerôme Bosch et un peu plus tard, Till. L’un comme l’autre s’inscrivent en dissidents, en résistants, dans ce monde malmené par les guerres et les répressions qui ont pour cause les religions. L’un comme l’autre sont confrontés directement aux malheurs.

 

Et la chanson raconte ça ?, demande Lucien l’âne.

 

D’une certaine manière, oui, répond Marco Valdo M.I. et même assez directement quand elle dit :

« Que chacun amadoue ces diables aux groins grotesques de cadavres !
Que les bienheureux dorment dans leurs bulles d’arc-en-ciel tranquilles,
Avant que les crament les flammes des moulins, des châteaux et des villages ! »

 

Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu’elle évoque aussi le rapport individuel du peintre Jérôme Bosch au monde et sa peinture, qui sous couvert de paraboles religieuses – il lui fallait bien en passer par là, est une dénonciation de ce vieux monde dans lequel il était tombé à la naissance.

 

Comme nous tous, dit Lucien l’âne. Alors, comme lui, tissons le linceul de ce vieux monde grotesque, caricatural, délirant, déréglé et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Et je monte une truie ! Et cent diables me poursuivent !
Vous, occupés de même, tourn
ez-vous pour voir !
Ici,
la bière du broc, tenue par une main simiesque, au-dessus ma trogne
Coule de mon menton et de ma gorge engorgée sur ma poitrine poilue !
Ici, la rouchie aux cheveux rouges a un crapaud sur la vulve,
Sur les lacets de
mes bragues grimpe lentement sa main lascive ;
Sous le chaudron de ma panse, elle attise la flamme sauvage ;
Alors, je ricane
bruyamment et de mon escarcelle, je lui sors son !

 

Et là, d’une certaine manière – mon frère
Comme un Christ étendu sur la harpe
Et ce serait parfait, s’il le méritait !
Qui sait qu’il n’est pas toujours facile d’être un saint !

 

Et je monte une truie ! Et je m’agrippe à sa soie !
Mais qui s’en soucie que les oripeaux des corps sont accrochés sous la poutre ?
Je dois être peu sage pour émettre des bulles par la bouche
Et parler de parfums d’Arabie, quand tout autour fleurent les fèces !
J’ai ferré la coche d’or et j’imprime ses traces dans le fumier !
Que chacun amadoue ces diables aux groins grotesques de cadavres !
Que les bienheureux dorment dans leurs bulles d’arc-en-ciel tranquilles,
Avant que les crament les flammes des moulins, des châteaux et des villages !

Et là, d’une certaine manière – mon frère
Comme un Christ étendu sur la harpe
Et ce serait parfait, s’il le méritait !
Qui sait qu’il n’est pas toujours facile d’être un saint !

 

Et je monte une truie ! Je traverse le fleuve noir et brûlant,
Mais l’eau bouillante du feu n’éteint pas ses fougueux hurlements !
Alors, la joie nous suffira ! La fin est proche.
Ses liens pileux chatouillent, atroces !
Aucune pensée n’honore vos visages véreux,
Le monde est couvert d’yeux reflétant Couteau, Argent, Baise !
Alors regardez comme dans le ciel rampent les bruches luisantes,
Comme naît par nuées leur espèce d’insectes nocturnes !

Et là, d’une certaine manière – mon frère
Comme un Christ étendu sur la harpe
Et ce serait parfait, s’il le méritait !
Qui sait qu’il n’est pas toujours facile d’être un saint !

 

Et je monte une truie ! J’évite tous les obstacles !
Regardez, si à part vous-mêmes, vous voyez autre chose !
Profitez-en tant que, je prodigue les autographes gratis !
Je dépense et je répands le sang du doigt, car je peux me le permettre !
Je suis Moi, le Roi de la Vie !

 

 

MAÎTRE HIERONYMUS VAN AKEN DE BOIS-LE-DUC, DIT JÉRÔME BOSCH
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
12 juin 2018 2 12 /06 /juin /2018 20:23
Le Troupeau nu

Chanson française – Le troupeau nu – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 55

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XVI)

 

 

 

 

Et donc, Lucien l’âne mon ami, Till s’en allait par tous les lieux de terre porter aux gueux clandestins qui chantent le chant du coq le chant de l’alouette qui dit que la guerre s’en va sur la mer et l’océan et que tous se portent là-bas en Zélande au nid des Gueux de Mer.

Dans les champs de France, Till tournoyait au cœur de l’hiver ; il cherchait la route de Meuse qui s’en va vers Maastricht. Sur la neige, il vaguait ainsi armé de sa bonne arquebuse.

 

Ainsi va Till, dit Lucien l’âne malicieusement rieur.

 

Oui, reprend Marco Valdo M.I., ainsi va Till par les champs et les orées des forêts d’Ardenne. Il fuit les loups qui le suivent à la trace ; il doit en tuer un pour décourager les autres qui le serrent de trop près. Entretemps, le soleil s’était caché dans les brumes et en ce dimanche, à l’heure de la grand-messe, au bout de la prairie toute de gris et de blanc vêtue, sous la lueur pâle de la neige, Till distingue une cohorte fantomatique. C’est un troupeau d’hommes nus guidés au fouet par des gardians espagnols. Till planqué dans un bosquet élimine les soldats et emmène les prisonniers, qui se révélaient être des hommes de la même armée et du même régiment que lui, à la bonne ville de Mézières.

 

Que voilà-t-il pas un Till héroïque, dit Lucien l’âne.

 

Que nenni, réplique Marco Valdo M.I. ; il ne fait que ce que lui inspire sa conscience. Ensuite, avant son départ, Till laisse aux hommes l’or des Espagnols et le fruit de la vente des chevaux et sans en tirer nulle gloriole, il reprend sa route de Meuse.

 

Ah, dit Lucien l’âne, les routes sont parsemées d’embûches et Till s’y entend pour les éviter, les contourner ou les réduire à néant.

 

Certes, dit Marco Valdo M.I., c’est un exemple pour tous ceux qui partagent le goût de liberté et la tranquillité de l’esprit.

 

Ainsi, conclut Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde tricheur, menteur, flou, bluffeur, vantard, absurde et cacochyme.

 

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Vêtu d’un mantelet en loques,

D’un pourpoint en guenilles,

D’un haut-de-chausses à la mode de Séville

Une plume flottant sur sa toque,

 

Son arquebuse à la main,

L’épée arrimée à la hanche,

Till s’en va bon train

Vers l’est, un dimanche.

 

Au-delà du talus, la neige empile

Les flocons sur la plaine toute pâle,

Un grand vent ronfle ;

En tourbillons geignent les rafales.

 

Trois loups prennent sa trace.

Till de sa bonne arquebuse tire

Et d’un coup abat le premier sur place.

Les autres s’arrêtent pour le secourir.

 

Soulagé, Till reprend son chemin.

Au bout de la plaine, il voit des points,

De grises statues dans le brouillard.

Derrière avancent deux hautes formes noires.

 

Le vent lui dit un long murmure,

Des pleurs, des plaintes lugubres.

Peut-être des pèlerins chantant,

Allant dans la neige en habits blancs ?

 

De plus près, il les voit

Vieux, jeunes hommes nus trébuchant

Et les deux cavaliers, noirs harnas

Sur leurs destriers trop grands.

 

Ces deux caballeros silencieux

Poussent lentement devant eux,

Comme des gardians, des taureaux,

À coups de fouet, ce pauvre troupeau.

 

L’arquebuse fait son œuvre encore

Et délivre les rebelles prisonniers,

Faute de payer rançon, d’avance, condamnés

À la torture, aux galères, à la mort.

 

Rendus à Mézières,

Les rescapés reçoivent soupe et bière,

Abri, habits aux frais de la commune

Et Till reprend sa route à la brune.

 

Le Troupeau nu
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
9 juin 2018 6 09 /06 /juin /2018 16:25

LEÇON D’HISTOIRE ANCIENNE

 

Version française – LEÇON D’HISTOIRE ANCIENNEMarco Valdo M.I.2018

d’après la version italienne LEZIONE DI STORIA ANTICA de Krzysztof Wrona

d’une

Chanson polonaiseLekcja Historii KlasycznejJacek Kaczmarski1979

Paroles et musique de Jacek Kaczmarski
Album : Krzyk [1981-1989]
Texte du site : kaczmarski.art.pl

 

 

 

AMBIORIX, ROI DES ÉBURONS

 

 

« Gallia est omnis divisa in partes tres
Quorum unam incolunt Belgae aliam Aquitani
Tertiam qui ipsorum lingua Celtae nostra Gali apelantur
Ave Caesar morituri te salutant ! »

 

 

Dialogue maïeutique

 

Lucien l’âne mon ami, je suppose que tu te souviens un peu de ton latin et que comme moi (et des millions d’autres), il te serait aisé de traduire ces quelques lignes ci-dessus, et même, d’en situer l’auteur et de donner le titre de l’ouvrage dont les trois premières lignes sont extraites.

 

Bien évidemment, Marco Valdo M.I. et tu as eu raison de remettre Gallia avec deux « l », car ainsi était-ce dans l’ancienne Rome. Comme tu le devines, un âne comme moi a dû rabâcher et entendre rabâcher ce texte comme le chardon sauvage. C’est le début du « De bello gallico », le début de la Guerre des Gaules de Jules César, un modèle pour bien des généraux ; un des derniers en date s’appelait coïncidemment Charles De Gaulle, avec 2 « l », cette fois ce qui évite d’en faire un Charles de Gaule, sorte d’empereur héréditaire à retardement. Certains pensent qu’il s’en est fallu de peu.

Bref, pour en revenir au texte de César, il est un autre passage qu’on répète à l’envi dans les écoles de Belgique, mais sans aller au-delà de la citation tronquée et ce texte, je le cite de mémoire en latin et en français :

 

« Hōrum omnium fortissimī sunt Belgæ, »

« Parmi eux tous, les plus forts sont les Belges »…

 

On croirait un commentaire footballistique comme ceux que pondent nos brillants journalistes. C’est en quelque sorte le « Nos ancêtres les Gaulois… » dont l’école française assomma les populations africaines, asiatiques, océaniennes et américaines qui étaient sous la domination de la République.

Pour en venir à la chanson, elle décrit assez bien la réalité de l’intervention de Jules César dans la vie des hommes, où il fit ce que firent ceux qui l’avaient précédé dans la Rome républicaine et que feront ceux qui le suivront dans l’Empire romain. À ce stade, il convient de se souvenir que Jacek Kaczmarski est un auteur polonais et de ce fait, habitait un pays sujet aux invasions impériales.

 

Et toujours susceptible de l’être, dit Lucien l’âne. Cette perspective était, sans doute, plus nette quand Jacek Kaczmarski écrivit la chanson (1979), mais le vent tourne à nouveau et pourrait soudain amener la tempête de ce côté.

 

Peut-être, dit Marco Valdo M.I., la chose n’est pas à exclure. Il est des habitudes dont l’Histoire a du mal à se défaire. Mais laissons là ces supputations horrifiques. J’aimerais pour finir régler un vieux compte avec Jules César et dire deux mots de son style tant vanté. La chanson se termine sur cette phrase énigmatique : « Et Jules César s’applique à la concision de son style ! », qu’à mon sens, il faut interpréter comme une variante du lavage des mains de Ponce Pilate ou la position du chameau dans la chanson : « Le chameau s’en fout ! ». Il faut cependant accorder la chose à Jacek Kaczmarski : le style de César est concis…

 

Si !, s’empresse de dire Lucien l’âne. Il l’est, je l’ai lu.

 

Je te l’accorde aussi, reprend Marco Valdo M.I., il l’est vraiment. C’est un style militaire qui fait la joie du militaire (sûrement) et rase avec la maîtrise de Figaro le civil amateur de poésie, de finesse et d’intelligence. Depuis de nombreux autres généraux (Ulysse S. Grant, par exemple ou Jacques Massu) se sont essayés à la dissertation – c’est une manie et on pourrait en remplir une bibliothèque style empire, avec des abeilles en ornement.

 

Tranchons, Lucien l’âne mon ami. Le style de César est un style militaire, c’est tout dire ; un style pompier, avec le casque au ras des sourcils et un front de grande guerre. Cependant, il faut se dire que tant que durera la Guerre de Cent Mille Ans, les militaires seront des acteurs incontournables et des protagonistes inévitables de la comédie humaine. Taratata !

 

D’accord, Marco Valdo M.I. mon ami. Maintenant, reprenons notre tâche avec encore plus d’ardeur et nous qui nous voulons et nous pensons civils, tissons le linceul de ce vieux monde militaire, galonné, casqué, botté, discipliné et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.

 

 

 

 

 

 

« La Gaule est divisée en trois parties :

Une habitée par les Belges, une autre par les Aquitains,

La troisième par ceux qu’on appelle dans leur langue Celtes ; dans la nôtre, Gaulois.

Ave César, ceux qui vont mourir te saluent ! »

 

Sur l’Europe tonne le pas martial des légions

Qui annoncent la fin inéluctable de la république,

Pourrissent les collines de la Gaule de sang loyal

Et Jules César écrit ses mémoires.

 

« La Gaule entière est divisée en trois parties :

Une habitée par les Belges, une autre par les Aquitains,

La troisième par ceux qu’on appelle dans leur langue Celtes ; dans la nôtre, Gaulois.

Ave César, ceux qui vont mourir te saluent ! »

 

César, laisse-nous, quand nous conquerrons le monde entier,

Violer, piller et rassasier toutes nos passions.

Les requêtes des soldats sont les mêmes depuis des années

Et Jules César, par son silence, n’interdit pas la distraction.

 

« La Gaule entière est divisée en trois parties :

Une habitée par les Belges, une autre par les Aquitains,

La troisième par ceux qu’on appelle dans leur langue Celtes ; dans la nôtre, Gaulois.

Ave César, ceux qui vont mourir te saluent ! »

 

L’ordre nouveau civilise les peuples soumis ;

Les croix poussent le long des routes du Rhin au Nil ;

Le monde entier retentit de lamentations, de cris et de plaintes

Et Jules César s’applique à la concision de son style !

 

« La Gaule entière est divisée en trois parties :

Une habitée par les Belges, une autre par les Aquitains,

La troisième par ceux qu’on appelle dans leur langue Celtes ; dans la nôtre, Gaulois.

Ave César, ceux qui vont mourir te saluent ! »

 

LEÇON D’HISTOIRE ANCIENNE
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
8 juin 2018 5 08 /06 /juin /2018 11:43

AUX TERRASSES

Version française – AUX TERRASSES – Marco Valdo M.I. – 2018

A’ TerrazziniLa versione livornese dell’ Anonimo Toscano del XXI Secolo
(6 giugno 2018)

 

 

Était-il possible de ne pas accueillir l’invitation que Marco Valdo M.I nous a faite dans son Dialogue maïeutique ? Voilà donc que l’Anonyme Toscan du XXI Siècle nous offre sa revisitation en livournais du Bistrot de Brassens, replacé dans une taverne à quelques pas d’où il a habité un temps (l’Anonyme, pas Brassens). L’œnothèque Mannari des Terrazzini (quartier du Pontino) avait son respectable nom officiel grécisant (mais, en grec, on dit enopòlio : οἱνοπωλεῖον), mais ensuite, quant au nom de la rue, pour tous c’était l’Osteria des Terrazzini dans un quartier, le Pontino, où beaucoup de rues prennent le nom d’osteries (Rue de la Pina d’Oro) et de putains (Eugenia, Adriana et la stupéfiante Pompilia). L’adaptation de l’Anonyme est évidemment même un hommage à une ancienne réalité bien connue, vu qu’il s’y rendait quasi-quotidiennement et souvent nuitament : grâce au « vinaccio » de cette taverne, par exemple, le-dit Anonyme un soir est roulé gaiement en bas de toute une rampe d’escalier de la station de Livourne, s’écrasant enfin dans un mur. L’Anonyme s’excuse évidemment de ne pas connaître aussi bien les bistrots parisiens (mais assez bien les estaminets de la région de Valenciennes). Sa revisitation, ou adaptation, présente peut-être l’une ou l’autre strophe en plus que l’original : patience. L’Anonyme tient enfin à préciser être contraire à l’affirmation commune selon laquelle l’enjambement (en dernière analyse, dérivant en de l’ancien scazonte de la métrique classique), si typique de la métrique française et dont Brassens use souvent et volontiers, s’adapte mal à la métrique locale : il a donc enjambé assez bien dans ce texte.(A.T.XXI)

 

 

 

Dialogue Maïeutique

 

 

Avant de commencer notre dialogue maïeutique proprement dit et en complément aux autres chansons déjà mentionnées sur le même thème ou proches – comme « Le cul de la patronne », je voudrais signaler en vrac : La Madelon , Le Pinard – toutes deux ont inspiré le texte :

 

« Ici, le pinard, c’est de la vinasse

Fatale et grasse

À deux ronds

Le demi-litron de Madelon.

Imaginez un peu, mes amis,

Quel boui-boui ! »

 

et d’autre chansons de port et de femmes-phares : Mylord (Moustaki), Ostende (Caussimon, Ferré et d’autres), Adélaïde(Debronckart) et je m’en tiens à la langue française. J’imagine qu’on pourrait construire tout un parcours autour des ports, des bistrots et des femmes qu’on y trouve et des hommes qui s’y égarent.

 

Ce serait certainement passionnant, dit Lucien l’âne, mais poursuivons.

 

Dès lors, Lucien l’âne mon ami, revenons à cet étonnant exercice de style – Raymond Queneau en a fait tout un livre – et parlons un peu de cet étonnant et magnifique A’ Terrazzini que l’Athée du XXIème Siècle nous a offert. C’est ce que Riccardo Venturi appelle une revisitation ; elle est en livournais – une revisitation du Bistrot de Georges Brassens. À moins, c’est une hypothèse que j’avance sur la pointe des pieds, à moins que ce ne soit Georges Brassens qui ait nocturnement, entre deux gallons de « pinard menaçant », hanté le-dit Anonyme – Athée, comme il se doit. Ça s’est déjà vu à Berlin quand Villon hanta Wolf Biermann.

 

C’est un peu stupéfiant, dit Lucien l’âne. Enfin, si je comprends, Marco Valdo M.I., le jeu continue. Georges Brassens a écrit, composé et interprété Le bistrot. Riccardo Venturi en a fait une traduction en italien assez proche, d’où le titre « Il BISTROT » ; on lui suggère de la traduire en livournais. Comble de chance, notre Ventu fait appel à son hétéronyme l’Athée du XXIème Siècle, dit ici pour la commodité du discours l’Athée XXI, lequel maîtrise la langue des côtes et du port. L’Anonyme accède à la pressante demande et nous envoie ce « À Terrazzini ». Est-ce bien là qu’on en est ?

 

Oui et non, Lucien l’âne mon ami. Oui, car on y est arrivé – et pas sans mal et non, car on en est un pas plus loin avec cet « Aux Terrasses », qui est la version française que je viens d’en faire. Note immédiatement que cette version française au lieu de clore le cycle et de mettre fin au jeu, pourrait bien relancer encore la balle. En effet, comme je l’ai établie, je le sais pertinemment, elle est (forcément) différente de la version livournaise (qu’elle traduit cependant assez correctement) et tellement différente qu’il conviendrait – pour la clarté de la discussion – de la traduire en livournais ou en italien.

 

Moi, Marco Valdo M.I. mon ami, je m’amuse beaucoup à regarder cette dérive, cette évolution. On dirait un phénomène proche de celui qui se passe dans la nature. Donc, B réplique A (mais pas tout à fait), C réplique B (mais un peu adapté), D réplique C (et décale encore) et ainsi de suite aussi loin que l’on veut. Moi, je me demande où on finirait après des dizaines de translations. Sans attendre jusque-là, je me contente déjà de tes « Terrasses », je regarde, je compare, je m’étonne, je m’esbaubis et j’attends – j’espère – je souhaite la version suivante. Et « ad infinitum ».

 

Tu fais bien de le dire, Lucien l’âne mon ami : « ad infinitum » ; ce pourrait d’ailleurs être la devise, le motto des Chansons contre la Guerre. D’autre part, c’est une suggestion excellente de demander de prolonger ces traductions en cascade. Le tout serait de trouver des joueurs, mais l’expérience vaut d’être tentée. En tout cas, si demain, une nouvelle traduction de ce « Aux Terrasses » en italien, ou en toscan ou en romanesque apparaissait, je ne manquerais pour rien au monde d’en faire à mon tour une version française. Ces cascades seraient des recherches précieuses pour comprendre le phénomène de traduction, mais aussi l’évolution des langues et ce pourrait être éclairant sur le fonctionnement intime de la pensée.

 

Oh, dit Lucien l’âne, rien n’interdit, rien n’empêche comme pour « La Déclaration Universelle des Droits », qu’on en fasse sur mesure une version dans n’importe quelle langue. Évidemment dans ce cas (mettons en polonais – ce qui suppose l’exploration d’un caboulot de Varsovie ou de Gdansk, ou, ou… au choix ; une version grecque, ou espagnole, ou allemande ou, ou, ou…), si la langue t’échappe, il faudra attendre une version italienne qui ne manquerait pas de surgir un jour dans les Chansons contre la Guerre.

Encore une fois, je suis impatient de voir tout ça. En attendant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde caquetant comme un idiot, plein de mots et de cris (paraphrase en mémoire de John, l’anonyme italien de Londres – XVI et fabuleux traducteur de Montaigne en anglais) et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Si un jour, tu retournes

Te perdre à Livourne,

Au Pontino,

Il y a là-bas une osteria,

Trois tables de guingois,

Va-z-y boire un pot.

 

Prends garde au patron,

Une merde, un bourrin

Déjà rond

À neuf heures du matin.

Il dégage une senteur

À tuer le malheur.

 

Si tu veux du vin

De bec de rupin,

Si tu veux ton Sassicaia.

Il te faudra payer

Pour te soûler

À l’Ornellàia.

 

Ici, le pinard, c’est de la vinasse

Fatale et grasse

À deux ronds

Le demi-litron de Madelon.

Imaginez un peu, mes amis,

Quel boui-boui !

 

Ici, il vous faut

Un estomac en peau

De taureau.

Quiconque entre là pour boire

Laisse tout espoir

Et sombre dans le noir.

 

On se retrouve à cet endroit

À deux ou trois

Péquenots,

À la regarder

Comme des dévots

Extasiés.

 

On n’a jamais su

Comment cet infâme,

Ce ventru,

A eu une femme

Belle à couper

L’envie de pisser.

 

Certains soirs d’été

Tout le quartier,

Une moitié de l’Europe,

Est là à contempler

En vrais nyctalopes

Ce popotin d’antilope.

 

J’irai jusqu’à boire

Cent litres

D’eau de ciboire

Si tu tiens

En ermite

Jusqu’au matin.

 

À voir comment la fée

L’a métamorphosée,

L’osterie, chaque jour,

Se mue en cour du soir,

Pleine d’espoirs

Et de petits amours.

 

Quand je pense à celui

Qui la baise,

J’en suis tout étourdi.

Un balaise,

Ce Gorille qui

Lui sert de mari.

 

Quand je repense à celui

Qui l’embrasse,

Qui l’enlace,

Je me dis

Que je boirais bien

L’eau de mon bain.

 

Mais qu’y peut-on ?

À part penser à ses petons

Et prier Eros et Aphrodite.

Comme l’amour est mal voyant,

Sûr que cet hypocrite

En profite joliment.

 

Et tu peux essayer !

Elle se raidit et, pan !

La claque. Et

Ne t’y reprends

Pas, sinon elle t’éveille

À coups de bouteille.

 

Et son mari

Tout attendri,

Tout énamouré,

Offre à boire

Un verre de son pinard

Au maltombé.

 

Il n’est pas encore né

Le fortuné

Qui la dégèlera,

Qui fera

Des cornes d’élan

À cet orang-outan.

 

Si un jour, tu retournes

Te perdre à Livourne,

Au Pontino,

La fée Margot,

Dans son caboulot

T’offrira un pot.

AUX TERRASSES
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.
7 juin 2018 4 07 /06 /juin /2018 18:17
LA GUERRE

 

Version française – LA GUERRE – Marco Valdo M.I. - 2018

d’après la version italienne de Riccardo Venturi – LA GUERRA – 2018

de la

Chanson polonaise – WojnaJacek Kaczmarski2006

Texte et musique : Jacek Kaczmarski

De "Suplement" [2006]

(Album supplémentaire a Syn Marnotrawny, l’"opera omnia" de J.K.)

 

Je vis dans le sous-bois parmi de vieux arbres

Sans savoir que la Machine et la Raison existent.

 

Dialogue maïeutique

 

« Je ne le fais pas souvent, au contraire, presque jamais. Pourtant, dans ce cas, je voudrais attirer l’attention sur ce chef-d’œuvre de Jacek Kaczmarski. Un chef-d’œuvre, si tant est que, pas très connu même en Pologne (mais ici je demande évidemment confirmation Christophorus Corvinus). Je saisis l’occasion pour faire une autre chose pour moi fort rare de demander une traduction française à Marco Valdo M.I., parce qu’il me semble que cette chanson « préhistorique » (ou mieux, qui parle de la préhistoire d’aujourd’hui) raconte bien la « guerre de 100 000 ans ». Dobranoc. Riccardo Venturi ». Telle était, en italien que j’ai retranscrit en français « à ma mode », l’invitation que R.V. nous a faite de « traduire » cette chanson polonaise, qu’il avait lui-même traduite en italien. Évidemment, tout ça a l’air bien complexe, mais c’est le fonctionnement normal des Chansons contre la Guerre, un site où rigoureusement personne n’est capable de comprendre toutes les chansons ou les textes qui s’y publient directement dans leur langue originale. Aux dernières nouvelles, on y rencontre 144 langues, sans compter que ces langues n’utilisent pas toujours les mêmes alphabets, les mêmes signes et caractères, ni même la même notation, la même écriture.

 

Oh, dit Lucien l’âne, voilà qui est preuve d’une belle solidarité internationale et interlinguistique.

 

En effet, Lucien l’âne mon ami, mais tu m’avais interrompu au moment où je voulais te préciser encore – chose que tu connais certainement, que toutes ces langues non seulement sont différentes, mais en plus, elles n’écrivent pas toutes dans le même sens. Et puis, ce dont on se rend moins compte a priori, c’est que du point de vue informatique, ce site, c’est de la jonglerie de précision. Mais n’importe, je voulais dire aussi que comme toutes les autres transcriptions que firent les copistes à travers les âges, il y a des modifications, des erreurs, des glissements qui s’intercalent.

 

Ha, dit Lucien l’âne, c’est un vrai problème aussi.

 

Certes, dit Marco Valdo M.I., mais pour bien fixer les choses, voici ce qui peut se passer schématiquement. On a donc une chanson A dans la langue A – par chance, on possède le texte original de la main de l’auteur ou une édition plausible (ainsi, pour l’instant, on laisse de côté la transcription à l’oreille ou une lointaine copie d’une chanson ancienne ou une série de versions dissemblables) ; le premier traducteur B en fait une version B dans la langue B (on suppose qu’il connaît quand même un peu la langue A) ; le deuxième traducteur C utilise la version B, car il ne comprend pas A et même, il ne peut pas la lire en raison des caractères ou de l’écriture utilisée et il en fait une version C, etc. On suppose qu’ils sont tous compétents dans leur propre langue et que leur version est fiable au moins dans sa propre langue.

 

C’est bien ce que j’imaginais, Marco Valdo M.I. mon ami. Dans ce cas, B fait confiance au texte A, C à B, et ainsi de suite.

 

Et c’est le cas, dit Marco Valdo M.I. et souvent même, sans aucun moyen de vérifier les étapes antérieures. D’où l’intérêt et la nécessité de préciser clairement sur quelle version on s’appuie. Ici, par exemple, la version italienne de Riccardo Venturi d’une chanson polonaise de Jacek Kaczmarski. Idéalement, il faudrait dater la version de référence.

 

Oui, en effet, dit Lucien l’âne. On peut avoir plusieurs versions d’un même texte établies pas un même traducteur à des époques différentes.

 

Maintenant, reprend Marco Valdo, quelques mots à propos de cette chanson pour dire qu’elle a de la chance que R.V. l’a traduite en italien et qu’il m’a sollicité pour une version française et ceci quelle que soit la « valeur » ou la « qualité » de la version française que j’en ai faite.

 

Je sais, dit Lucien l’âne, mieux vaut une mauvaise version française que pas de version française du tout. Cela dit, j’espère qu’elle est quand même correcte. S’agissant de cette Pologne souvent si mal embarquée dans l’Histoire, si malmenée par ses voisins et par ses propres dirigeants et pour ce que j’en sais, encore aujourd’hui où elle sombre dans l’idiotisme nationaliste, xénophobe et réactionnaire, concluons en réaffirmant la nécessité de tisser le linceul de ce vieux monde trop nombriliste, conservateur, réactionnaire, passéiste, borné, national, croyant, crédule et cacochyme.

 

Heureusement !

 

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

 

 

 

Je vis dans le sous-bois parmi de vieux arbres

Sans savoir que la Machine et la Raison existent.

Je reconnais l’élan aux traces d’excréments ;

Je tue des poissons et je lave le sang dans la rivière.

Je vois l’autour ravager les nids

Et le lac révéler le parcours de la loutre ;

Et je sais, quand je tourne mon regard vers les étoiles,

Qu’elles ne sont pas les étincelles de feux du printemps.

 

Voilà pourquoi je crois au prodige et à la vérité des prophéties.

Voilà pourquoi je crois au prodige et à la vérité des prophéties.

 

Chaque soir, je me penche vers le feu

Et je murmure des invocations improvisées.

J’ai peur du noir et du bruit de la traque ;

Il y a des choses que je ne me représente pas.

J’existe, et ça suffit pour que le monde existe,

Je lis les augures dans les flammes

Et je vois en moi la Folie et l’Ordre,

Comme dans le feu, je vois le Chaud et le froid.

 

Voilà pourquoi je crois au prodige et à la vérité des prophéties.

Voilà pourquoi je crois au prodige et à la vérité des prophéties.

 

Les hommes sont mauvais, mais j’en connais quelques bons.

Ils ne tuent pas l’aigle pour avoir ses plumes,

Et dans leur âme, on ne voit pas la Race Victorieuse.

Ils aiment les Hommes, pas l’Humanité ou le Peuple.

La peur gouverne l’esprit des reptiles,

Mais dans l’éclat des soleils d’été,

Sur le chemin couvert d’herbe,

Leur passage calme ne laisse pas de traces.

 

Voilà pourquoi je crois au prodige et à la vérité des prophéties.

Voilà pourquoi je crois au prodige et à la vérité des prophéties.

 

LA GUERRE
Partager cet article
Repost0
Published by Marco Valdo M.I.

Présentation

  • : CANZONES
  • : Carnet de chansons contre la guerre en langue française ou de versions françaises de chansons du monde
  • Contact

Recherche